L’humour est devenu triste, tout à coup. Il ne rit plus, ne fait plus rire. L’humour pleure. Car il vient de perdre un de ses meilleurs porte-parole. Raymond Devos est décédé.
En Raymond Devos, un jongleur vient de disparaître. Sur ses lèvres, les mots tourbillonnaient, s’entrecroisaient. De l’élégance dans le verbe, avant tout de l’élégance. Quand Raymond Devos parlait, on aurait dit que la langue française n’hésitait plus à exposer tous ses charmes. Elle ne parlait plus, elle chantait, elle dansait.
La langue chantait et déclenchait le rire. Pas le rire gras qui manque d’intelligence quand il accompagne les grossièretés. Devos avait l’humour tout en finesse. Ce n’était jamais juste pour rire! Son rire enrobait les choses les plus sérieuses et savait nous les faire avaler sans indigestion. «La raison du plus fou est toujours la meilleure», disait Devos.
Devos n’était pas un clown ordinaire. Il avait saisi toute la richesse du rire. «Le rire, disait-il, est une chose sérieuse avec laquelle il ne faut pas plaisanter.» Ce n’était pas l’opinion de Qohéleth, l’auteur biblique, qui tristement affirmait plusieurs siècles avant aujourd’hui: «Mieux vaut le chagrin que le rire, car sous un visage de peine, le cœur peut être heureux; le cœur des sages est dans la maison de deuil, et le cœur des insensés, dans la maison de joie.» (7, 3-4) Il est vrai que la souffrance force au réalisme et que l’épreuve peut conduire à la sagesse. Mais le rire révèle le côté plein soleil de la vie. Il peut manifester chez le rieur sa capacité de prendre une distance par rapport aux réalités qui l’entourent, aux événements et aux drames qu’il vit. Le rire peut être un témoignage de foi. D’une certaine façon, il reflète l’espérance qui croit à l’impossible de Dieu. Une foi qui ne rit pas ne peut être une foi chrétienne.
Probablement que Dieu riait, bien avant de faire rire les humains. La langue hébraïque emploie le même mot pour traduire «rire» et «jouer». Imaginez l’éternité de Dieu sans rire, sans jeu! Un vrai enfer! Le psalmiste reconnaît que Dieu a le sens de l’humour : «Il rit, celui qui siège dans les cieux» (2, 4)! «Il se moque des moqueurs…» (Proverbes 3, 34) Selon un psaume, Dieu aurait même créé un animal comique, le Léviatan, «que tu formas pour t’en rire» (Psaume 104, 26)
Au matin de la résurrection du Christ, Marie-Madeleine se rend à la course annoncer la nouvelle aux disciples barricadés par peur des juifs. Pierre et l’autre disciple accourent au tombeau et reconnaissent le miracle. Et les autres disciples apprennent l’affaire grâce à des témoignages éclatants ou en forme de rumeur. Les récits évangéliques ne le disent pas mais, chaque fois, j’imagine d’abord un rire incrédule. Puis, lentement ou subitement, le rire de l’étonnement, de l’émerveillement devant l’action inimaginable de Dieu. Et j’entends Dieu qui se met à rire en écoutant les rires heureux de ses enfants.
«Il y a de grandes choses qui ne peuvent être exprimées que par le rire.» (Raymond Devos)