Jeudi matin, 23 mars, la radio nous apprend la libération de James Loney et de Harmeet Singh Sooden. Les deux canadiens travaillaient pour une organisation chrétienne d’entraide humanitaire, les Christian Peacemakers Teams, lorsqu’ils furent enlevés par des terroristes le 26 novembre dernier. Depuis ce jour, presque pas de nouvelles d’eux. Chaque soir, le Télé-Journal de Radio-Canada diffusait les photos des deux victimes canadiennes en comptant les jours. Petit rituel très sobre qui enracinait lentement la solidarité dans le coeur des téléspectateurs.
Après quatre mois de travail déployé par des policiers, des diplomates, avec la collaboration des autorités irakiennes, nos compatriotes sont secourus, sains et saufs. Un Britannique, Norman Kember retrouve lui aussi la liberté. Un des responsables de l’Organisation a dit: «Notre joie aujourd’hui n’est pas complète, car Tom Fox n’est pas avec nous et ne partagera pas notre fête». Il faisait allusion à l’Américain qui fut enlevé en même temps que les trois autres. On l’a retrouvé mort, il y a quelques jours. Il portait des marques évidentes de torture.
La libération de ces trois employés d’une organisation humanitaire chrétienne survient en pleine semaine de la justice raciale. Cette semaine de réflexion et de prière a été créée par différentes Églises du Canada réunies dans le Réseau oecuménique canadien contre le racisme.
Les Églises chrétiennes sont particulièrement sensibles aux questions raciales. Au coeur comme au sommet de la sagesse évangélique, il y a un appel à l’amour et à l’accueil inconditionnel de l’autre, qu’il nous ressemble ou qu’il soit différent. Quelle que soit la couleur de sa peau, quelle que soit son origine, quelle que soit sa langue ou sa culture, l’autre est un frère, une soeur. Dans sa poitrine bat un coeur d’homme ou de femme. Il n’est pas apprécié pour des qualités particulières, des charismes spéciaux ou des valeurs exceptionnelles. Il est aimé pour lui-même, en toute gratuité.
Cet idéal n’est pas toujours perçu, ni mis en pratique. Les humains sont trop souvent jugés comme on évalue les choses. Celui-ci ou celui-là a de l’importance parce qu’il vaut quelque chose. On le soupèse comme on soupèse en termes d’argent le produit qu’on trouve sur les tablettes des centres commerciaux. On évalue l’étudiant plus encore que le travail qu’il a réalisé ou l’habileté qu’il a pu développer. On paye l’ouvrier au rendement. On offre des faveurs à tel ou tel immigrant selon son origine raciale. Bref, on finit toujours par mesurer les humains plutôt que de les accueillir en toute gratuité.
Nous partageons une terre, un pays, une ville ou un village avec des gens qui sont différents de nous. Nous vivons dans des cadres et faisons appel à des structures qui ne favorisent pas toujours l’acceptation inconditionnelle de nos particularités. Nous avons des préjugés. Nous entretenons des clichés qui créent des distances et dressent des murs. Le racisme ne va pas toujours jusqu’à la haine, mais il souligne les faiblesses et encourage le mépris. On oublie que l’humain se situe au-delà de la valeur.
Le Réseau oecuménique canadien contre le racisme propose pour thème de la semaine: «Dieu a tant aimé le monde». Il emprunte les mots au quatrième évangile. Le texte mérite d’être cité: «Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.» (3, 16-17)
Jésus affirme donc que Dieu aime les humains pour eux-mêmes, en toute gratuité, sans aucun mérite de leur part. La présence de son Fils unique manifeste jusqu’où va l’amour de Dieu. Un Dieu qui ne juge pas. Un Dieu qui n’évalue pas. Un Dieu qui accueille tout simplement.
Nous ne pouvons pas conclure autrement qu’en faisant appel à la Première lettre de saint Jean: «Si Dieu nous a aimés ainsi, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres.» (1 Jean 4, 11) Nous engager contre le racisme petit à petit, au jour le jour, c’est prolonger la joie qui nous habite depuis la libération de nos deux compatriotes et de leur compagnon britannique.
Denis Gagnon, o.p.