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Témoins du Christ

Préparer sa mort. Une traversée de la maladie (1ère partie)

Imprimer Par Nicolle Carré

Accompagner jusqu’au bout celui qui va mourir préoccupe de plus en plus de soignants, familles et mais. Mais que sait-on vraiment de ce vivant qui sent sa fin proche ? Et nous-mêmes, savons-nous apprivoiser notre propre mort ? Ce livre fait entendre une parole rare : celle d’une femme qui a côtoyé la mort. Atteinte de leucémie, victime d’une rechute, elle réunit ses proches pour un banquet, reçoit le Sacrement des malades, part pour l’hôpital. Au cœur de ses nuits, au bord de l’asphyxie, elle découvre à nouveau la vie et la reçoit comme un fabuleux cadeau, une grâce. Débordant d’une joie grave, sortie grandie de l’épreuve, Nicolle Carré est aujourd’hui en rémission : « j’apprends à vivre en apprenant à mourir. Je pressens que l’inconnu est l’inconnu du don. Ma peur de la mort s’apaise lorsque j’entre dans ce mystère du don. La vie est assez large pour tout contenir, même la mort ». Psychothérapeute, Nicolle Carré est mariée et a deux enfants.

La saveur de la vie et la saveur de la mort se sont mélangées quand j’appris ma rechute. Je me sentais si vivante que je ne voulais pas croire à cette rechute. J’en faisais un drame. Le cours des choses ne pouvait se poursuivre comme avant puisqu’on m’annonçait ma rechute. Je pouvais, pourtant, m’y attendre puisque depuis trois mois, semaine après semaine, ma formule sanguine était moins bonne. Quelques personnes à qui j’en avais parlé avaient fui mon angoisse et ce qu’elle soulevait chez eux, en disant : «  Je prierai pour toi ». Cette phrase me laissait seule. J’en vins donc, sans m’en rendre compte, à vouloir me rendre importante, lorsque le diagnostic fut posé de façon certaine. En allant à ma séance de psychanalyse, je me suis dirigée vers le fauteuil au lieu du divan habituel. Je ne me souviens plus de ce que j’ai dit. Mais la réponse claire, ferme, pleine d’une tendresse respectueuse, m’est encore présente : «  La vie continue ». Je me suis alors allongée, comme les fois précédentes, et j’ai parlé. J’ai continué ainsi jusqu’à mon entrée à l’hôpital.

Je laissais mûrir en parlant, à l’écoute des autres et de moi-même. Tout alla très vite et se fit, en quelque sorte, tout seul. Je commençais par refuser de recevoir ce sacrement un dimanche, devant toute ma paroisse. On me disait : « Ce sera bien pour les autres ; tu leur montreras ce qu’est ce sacrement ». C’était une tentation. La question n’était pas ce que j’apporterais aux autres mais d’être à ma place. Je ne voulais pas briller, me sentir faussement importante, me revêtir d’une mission que je n’avais pas. Cela n’était là qu’imagination. Cela aurait été mensonge. Je ne voulais pas de la solitude amère du mensonge. Je sentais un appel à la joie. Je voulais prendre le chemin de la joie. Il passait par la désappropriation. Je l’avais déjà cherchée, j’avais voulu vivre l’esprit de pauvreté mais j’avais voulu y arriver par moi-même. J’étais encombrée. Le désir qui fait grandir, qui tire hors de soi et d’un monde rétréci me manquait. Ce jour-là, la désappropriation m’était donnée, sans que je le sache.

Il avait suffi que je dise oui à la vie pour que tout me soit donné. J’étais attirée. Je ne voyais les non à dire. Il n’y avait que ce « oui » à la vie qui m’emplissait de plus en plus et me transformait. Il me mettait au large, il me rendait de plus en plus claire. Je consentais à mon désir.

Le sacrement des malades fut pour moi une initiation au sens profond du terme. Ce fut un nouveau commencement. Ma vie changea. L’acte social que j’avais voulu pour signifier mon entrée en maladie prit une profondeur que je n’imaginais pas et que je découvre encore. Je suis étonnée, émerveillée de ce que je reçois. La maladie grave a brisé ma compréhension étroite du monde pour m’ouvrir à d’autres horizons dont je pressens que les limites ne sont que celles que je donne. Il y a en moi une joie profonde, paisible. Je me sens vivante malgré mes limites physiques, psychiques et spirituelles. Je ne cherche plus à tout tenir. La peur s’en va tout doucement de ma vie et elle est remplacée par la confiance. Il ne m’est plus nécessaire d’être forte, de m’épuiser en efforts de volonté. Je sais que je ne peux pas tout, et je n’en ai pas de regret. A vrai dire, je m’attarde de moins en moins sur ce dont je suis capable ou incapable. Certes, la tentation est encore là. Mais j’essaie de ne pas me prendre trop au sérieux et je ne suis pas seule. Pourquoi tout cela ? Pourquoi tout cela pour moi ? J’ai tant désiré, mais je ne savais ce que je voulais alors même que je croyais le savoir. J’ai eu la chance de la maladie grave, la chance de la rechute, la chance d’un certain nombre d’échecs dans mes projets et mes rêves. On peut dire qu’en me heurtant à mes limites, en renonçant à une imaginaire toute-puissance, le salut pouvait entrer chez moi, une place commençait à se faire pour l’Autre ; l’Autre dont on ne peut se saisir, dont on ne sait, ni d’où il vient, ni où il va, l’Autre en lequel s’inscrit la profondeur sans mesure de la vie humaine et l’autre, le frère, qui est à l’image du tout Autre.

C’est par l’Autre que le salut m’est venu. Il n’est pas tant venu du fait que j’ai renoncé à moi-même et me suis tournée vers Lui. Je n’ai pas fait de sacrifice. Je ne me suis pas humiliée. Le salut m’est venu de ce que j’ai été attirée. Moi aussi, comme Saint Augustin, j’ai été attirée. Moi aussi, comme saint Augustin, j’ai été attirée « non par la nécessité, mais par la volupté, non par l’obligation mais la délectation. Si l’âme n’avait pas ses voluptés à elle, serait-il écrit : « les fils des hommes s’enivreront de l’abondance de ta maison, et tu les abreuveras du torrent de tes délices » (Psaume 36, 9-10) 1 . Il y a en moi, il y a en nous, un appel à la joie, un appel à éclater de délices, un appel à nous ouvrir à la vie, à nous ouvrir aux autres. Ce n’est pas moi qui m’élargis pour aller à la source de la joie, mais c’est elle qui me donne le goût de l’eau vive. Comme le petit enfant, j’ai peur de l’Autre parce qu’il est inconnu et qu’inconnu je n’arrive pas à l’intégrer. Saint Augustin dit alors : « Tu n’es pas encore attiré ? Prie pour être attiré » 2. Prier pour être attirée, c’est demander que mes yeux s’ouvrent à ce qu’ils n’ont pas vu, c’est aussi m’ouvrir à la proximité de celui auquel je demande d’être proche, que celui-ci soit Celui que j’ose appeler mon Dieu ou qu’il soit mon frère, mon ami, mon époux. Prier pour être attirée, c’est entrer dans le chemin du désir. « C’est ton désir même qui est ta prière. Si continu est ton désir, continue est ta prière » 3. Pourquoi tout cela pour moi ? pourquoi m’est-il tant donné ? Saint Augustin répond : « N’entreprends pas d’en juger, si tu ne veux pas te tromper » 4. En effet, cela ne sert à rien, la seule chose que j’ai à faire est de vivre à ma place cette attirance, sans cesser de prier pour être attirée. Et peut-être d’autres seront-ils alors attirés. Je ne peux vivre la place des autres comme ils ne peuvent vivre à ma place mais nous pouvons, chacun à notre place, être lumière pour les autres.

Des noms passent en moi comme des lumières sur mon chemin : Bénédicte, Hubert, Francette, Marie-Hélène… Ceux qui ont été lumière sur ma route sont tellement nombreux que je ne peux tous les nommer. Certains qui étaient lointains se sont fait proches. J’ai été entourée d’une chaîne d’amitié que je ne saurais mesurer. Mais ce qui est certain c’est que leur présence m’a soutenue. Ce qu’ils ont fait était le signe de cette présence. Ils ont constitué pour moi un trésor inaliénable auquel je peux me référer, que je garde dans ma mémoire pour me réchauffer de reconnaissance ou me rappeler, lorsque le découragement menace, que je ne suis pas seule. Je les porte en moi, ils me portent en eux. Ils ne sont pas seulement les témoins de ma vie, ils sont un signe. Et je le suis avec eux. Ensemble nous sommes le signe que la vie est, mystérieusement, plus forte que la mort ; nous sommes le signe de la générosité de la vie. Nous sommes signes à cause du don. Nous sommes les porteurs du DON. Parce qu’ils étaient là, il ne pouvait qu’y avoir une fête pour manifester que la vie continue. La vie c’est notre ouverture les uns pour les autres, c’est notre amour qui grandit, c’est notre joie.

Suite le mois prochain : le sacrement des malades.

Nicolle Carré. Préparer sa mort. Une traversée de la maladie. Editions de l’Atelier.

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