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Le psalmiste,

Responsable de la chronique : Michel Gourgues, o.p.
Le psalmiste

« Te Deum » : l’adresse d’une hymne de louange

Imprimer Par Maxime Allard, o.p.

L’hymne Te Deum est connue depuis les environs de 502, date de sa première apparition dans une règle monastique. Elle semble bien avoir été composée par à-coup et insérée dans la liturgie progressivement. Avec une tonalité souvent proche de préfaces eucharistiques, l’hymne a été un élément de la célébration des Heures, de matines puis de l’Office des lectures.

Cette hymne, la liturgie actuelle la propose en deux versions, l’une longue, l’autre brève. Dans l’analyse proposée ici, la version longue est privilégiée. Sa place actuelle est claire : à la fin de l’Office des lectures des dimanches et aux jours de solennités et de fêtes. D’autres traditions chrétiennes et d’autres périodes de l’histoire de l’Église en prescrivent cependant l’utilisation quotidienne. Seule la saison du Carême la fait taire dans l’Église.

Le Te Deum termine l’Office des lectures sur une note de louange. Dans la version longue comme dans la brève, cet office se clôt sur une demande d’entrer dans la gloire éternelle des « saints » de Dieu. La clôture de l’office serait donc une note de louange. Cette dernière affirmation est cependant beaucoup trop rapide. Elle donne trop vite dans une certaine manière d’envisager la louange qui est un peu déconnectée de ce que l’Église propose avec le Te Deum. Il y avait quelque chose de juste à faire retentir les églises des accents puissants de Te Deum après des guerres, au moment de la victoire. À la fin de la guerre, il y a des ruines et des traces de blessures. Cela doit percer dans la louange, la glorification, l’acclamation, la confession assurée. Le Te Deum les met sur les lèvres. Dans ces conditions, qu’est-ce que la louange? Qu’est-ce que glorifier Dieu?

Louer est une action complexe qui recourt, selon le texte du Te Deum, à l’acclamation, à la prostration, à l’action de grâce, à l’adoration, au chant, à la glorification, à la proclamation, au témoignage, à l’annonciation et à la reconnaissance. Entre « Toi, Dieu… » et « nous » (et l’entourage céleste), la louange prend corps, littéralement. Elle passe par des mots, par des chants qui ne sont jamais solitaires.

« TOI, DIEU » OU « À TOI, DIEU… »

Suivons maintenant l’hymne du point de vue double de son adresse : à qui elle s’adresse et qui l’adresse. « Toi ! » En latin, 14 vers de l’hymne débutent par l’adresse ou son rappel. De nos jours, ce type d’exclamation ou d’apostrophe est réservé à des interpellations plus ou moins violentes. L’apostrophe possède quelque chose de brutal et d’impoli. Pas de méprise possible: l’adresse est directe, unique. Elle signe à la fois la proximité, malgré la grandeur de Dieu, et une certaine audace de qui ose l’interpeller. Serait-ce dû à un débordement de joie et d’action de grâce qui en viendrait à faire manquer aux convenances? Serait-ce les psaumes priés qui causeraient un tel débordement, une adresse si brusque?

NOUS, EUX, ELLE, NOUS… (ENFIN, JE) !

Si l’adresse est claire, l’adressant l’est tout autant : « Nous te louons ». Mais « nous » n’est pas seul. Il s’inscrit dans un mouvement s’adressant à « Toi, Dieu » déjà enclenché depuis longtemps, par bien d’autres, au ciel et sur terre: archanges, anges, esprits des cieux, chœur des glorieux Apôtres, multitude des prophètes, armée des martyrs… La mort n’arrête pas la louange. La compagnie du « nous » en est élargie aux dimensions cosmiques et par-delà. Du ciel ou de la terre, tous s’adressent à Dieu. Leur louange couvre la terre entière.

« Nous » se distingue d’un groupe d’« eux » : ceux qui sont déjà au ciel. Mais « nous » se distingue aussi d’« elle », soit de l’Église. « Nous » n’est pas déjà au ciel. Il en va de tout l’écart entre le ciel et la terre, entre la vie présente et la vie éternelle, écart qui passe par la mort, par la vie jusqu’à la mort. « Nous » se distingue de l’Église. Pas qu’il n’en est pas. Au contraire, « nous » fait sienne la confession de foi trinitaire de l’Église. Il s’en fait l’écho.

Mais qui sommes-nous pour oser nous y accoler, nous y joindre et pour nous adresser à « Toi, Dieu… » ? Nous sommes des délivrés croyants qui attendent le Royaume des cieux. Nous sommes et espérons être comptés parmi le « peuple » d’un « Toi » qui n’est plus simplement « Toi, Dieu… », mais Toi, Christ, Fils du Père, qui a pris chair de la Vierge Marie, qui a brisé l’emprise de la mort et demeure assis dans la gloire du Père. Nous ne sommes pas simplement des pièces anonymes d’un univers sans lien avec le « Toi » auquel nous nous adressons. Nous nous adressons à « Toi » car ce « Toi » a rendu possible pour nous de trouver l’adresse de Dieu, de jouer d’adresse pour le louer. Par le Christ, Dieu s’est rassemblé un peuple sur terre et déjà au ciel, un peuple où nous désirons être comptés.

Nous sommes peut-être inscrits sur la liste des saints, dans la compagnie des anges et de l’Église « céleste ». Mais nous ne sommes pas dans l’éternité. La louange est adressée à « Toi, Dieu » à tous les jours et un jour à la fois. Et dans la suite des jours, la louange se double d’une requête. La louange en compagnie des saints fait naître et soutient le désir de se retrouver en leur compagnie, de les retrouver par-delà le jugement. Le déroulement des jours entre le chant à « Toi, Dieu… » et l’éternité accordée fait surgir une autre harmonique à la louange: chaque jour, « garde-nous sans péché ». Rapidement, pourtant, la supplique prend un tour plus dramatique car le péché a déjà ralenti la marche vers Dieu: « Pitié pour nous, Seigneur, pitié sur nous. » Un appel est lancé vers la miséricorde. Mais tout au long de la supplique, le fil de la louange ne se perd pas, il est tenu par l’espérance : « Comme notre espoir est en toi. »

Pour finir la louange, la parole passe du « nous » à la première personne du singulier. Le désir est si fort, l’adresse si confiante, qu’elle ne peut plus s’exprimer au pluriel. « Je » doit prendre sa place, sa part, s’exprimer pour lui-même…

ESPÉRER LOUER

Le Te Deum est une avance que nous nous faisons en l’offrant à Dieu. Nous anticipons en quelque sorte. Il y a comme un écho de la « victoire sur la mort », sur notre propre mort. En adressant une louange à Dieu, la liturgie offre aux fidèles une action de grâce anticipant sur le Sanctus céleste. Mais il y a plus. Le Te Deum, discret, à peine murmuré, dans la solitude de l’Office des lectures ou dans son calme nocturne, est une répétition, lent apprentissage de ce qu’est la louange qui s’adresse « à Toi, Dieu… », préparation à prendre place dans le Royaume des cieux.

Maxime Allard, o.p.

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