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Témoins du Christ,

Responsable de la chronique :
Témoins du Christ

Mon CREDO

Imprimer Par Général Philippe Morillon

En 1993, au cœur du conflit bosniaque, le général Morillon est promu à son insu « star des médias ». Soucieux de discrétion, il décide de ne plus revenir sous les feux de la rampe sinon pour témoigner de ses engagements de vie et de foi. Aujourd’hui, il nous libre son credo en hommage à ceux qui l’ont précédé dans la foi, notamment Mgr Charles, mais aussi pour tous ceux qui prennent la relève et qui ont été touchés par la grande vague des JMJ – 12èmes journées mondiales de la jeunesse. Les commentaires de son credo sont pétris de son expérience sur le plan militaire, humain et spirituel. Engagement, humilité, force, droit, respect, courage, amour, justice et paix, autant de maîtres mots qu’il nous invite à méditer.

P. 31 et suivantes. « Je crois en Jésus Christ, son Fils unique »

Au sein de cette assemblée de prière, j’éprouve très concrètement la condition de l’homme, libre et solidaire, appelé à l’amour de Dieu et de ses frères. Je suis au cœur de cette solidarité dans le bien que les catholiques appellent la communion des saints et qui sera professé tout à l’heure. Je me remémore les périodes de ma vie où j’ai été confronté aux conséquences de la solidarité inverse, de la solidarité dans le mal, de la collaboration d’hommes et de femmes de « bonne volonté » à une œuvre de mort, et cela m’aide à mieux comprendre la démesure apparente entre le péché d’un seul et ses conséquences maléfiques pour un grand nombre.

Je me souviens de cette ville de Sarajevo où j’avais vu, en avril 1992, à la veille du déclenchement de la crise, défiler une foule pacifique, toutes communautés confondues, dans une ultime tentative pour défaire les barricades et brises les barrières érigées à travers la ville dans le but d’y marquer des territoires et de se protéger contre « l’autre ». Quelques jours plus tard, ces mêmes hommes et femmes dont la majorité avaient le réel désir de continuer à vivre en paix, dans la pluralité des cultures, commençaient à s’entre-déchirer dans des affrontements barbares et le pays tout entier était emporté dans le cycle infernal de la violence et de la peur. … La liberté donnée à l’homme et qui le distinguait de l’animal s’est retournée contre lui, et il est intéressant de constater qu’après le récit de la chute d’Adam la Genèse nous présente immédiatement le crime de Caïn, assassin de son frère, comme s’il avait été la conséquence inéluctable du premier refus d’amour.

Dieu sait de toute éternité que l’homme ne manquera pas de faire ce mauvais usage de la liberté qu’Il lui a donnée. Il prend le risque de la création parce qu’Il sait que son fils Jésus-Christ, nouvel Adam, en s’incarnant et en mourant sur la croix, viendra rétablir l’alliance et restaurer la liberté blessée par le péché pour la multitude de ceux qui accepteront de marcher à sa suite.

Prenant acte de cette vérité révélée, il faut être conscient que, dans les rapports de Dieu avec la création, Dieu reste souverainement libre, il n’y a aucune nécessité, aucune logique humaine dans l’évolution du monde. Aucune étape n’impose la suite de l’autre. Dieu n’es pas un joueur d’échecs adaptant son jeu à celui de l’adversaire. Dieu sort de Lui-même dans une permanente surenchère d’amour, celle-là précisément qui L’amène à S’incarner par son Fils pour notre salut.

P. 153 : « justice et paix »

« J’écoute. Que dit Dieu ?
Ce que dit le Seigneur,
c’est la Paix pour son peuple et ses amis
pour qu’ils ne reviennent à leur folie ». PS 85

La paix est-elle possible sur ce territoire aujourd’hui déchiré de la Bosnie ? Comment espérer que les communautés qui y ont tant souffert les unes des autres parviennent à nouveau à vivre en bonne intelligence ? Pour qu’elles ne reviennent pas à leur folie. Pourvu qu’elles n’abandonnent cette peur de l’autre, cette peur d’être dominées, cette peur d’être éliminées et pour cela l’Organisation des Nations Unies, l’Alliance atlantique, l’Europe ont un rôle à jouer.

Dans l’immédiat, en dépit du maintien au pouvoir des plus radicaux, je crois que les populations sont trop lasses pour accepter une reprise des hostilités. J’espère donc que le silence des armes est établi de façon durable. J’espère qu’à cette faveur la vie reprendra ses droits et que, dans un premier temps, des relations économiques normales se rétabliront entre des communautés qui ne peuvent continuer de vivre totalement séparées les unes des autres. Les frontières tracées au moment de la signature des accords de Dayton ne peuvent pas constituer des barrières infranchissables, ne serait-ce que parce qu’elles n’ont pas tenu compte des voies de communication, des lignes de distribution d’eau et d’énergie, des courants commerciaux et internationaux.

Mais comment éviter à terme la montée d’une nouvelle crise, sinon en misant sur une réconciliation qui brise enfin le cycle de la vengeance et de la peur ? Les autorités religieuses ont à cet égard un rôle évident, et c’est pourquoi j’ai tant apprécié la démarche effectuée par Jean-Paul II en avril 1997 à Sarajevo et les rencontres avec l’archevêque Nicolaj, métropolite orthodoxe, avec Mustafa Efendij Ceric, Reïs-el-Ulerma, avec M. Jakob Fimci, président de la communauté juive et, bien entendu, avec le cardinal Puljic, archevêque catholique. A ces représentants des trois religions du Livre il appartient de rétablir les rapports de la vie dans la société bosniaque sur les bases de la vérité, de la justice et de la charité pour répondre à l’appel du psalmiste.

« Amour et Vérité se rencontrent Justice et Paix s’embrassent ». Ps 85,11

Justice et paix s’embrassent en effet, car il ne peut y avoir de paix sans pardon réciproque qui ne saurait pour autant effacer la mémoire. Pour permettre la réconciliation, il faut le vote d’une loi d’amnistie. J’en avais acquis la conviction au moment où je tentais d’obtenir, dès 1992, le retour de réfugiés croates dans la partie de la Croatie occupée alors par les Serbes ou bien lorsque, l’année suivante en Bosnie, je m’efforçais d’obtenir des échanges de prisonniers à l’occasion des cessez-le-feu successifs. Les réponses à ces appels étaient toujours les mêmes, quel que soit le parti en cause. « Nous ne sommes pas opposés au principe. Au contraire, nous savons bien que c’est une condition de l’apaisement – mais cela ne peut pas s’appliquer à tel ou tel, parce que c’est un criminel de guerre ».

Je me suis alors rendu compte de la nécessité de distinguer les vrais criminels des exécutants occasionnels entraînés dans la violence par la fureur des combats et la solidarité avec leurs frères. J’ai compris ainsi qu’il ne fallait pas attendre cette justice des parties en conflit et que seule une cour indépendante et donc internationale en aurait le pouvoir.

« Vous dites que cet homme est coupable de crimes de guerre. Préparez son dossier et acceptez que j’en juge à votre place mais pardonnez à tous les autres ».
Voila le langage que j’ai tenu en vain lorsque j’étais sur le terrain, parce que l’heure n’était pas encore venue et que continuaient les combats.

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