Une américaine vient de mourir. Parmi toutes les morts de ces jours-ci, la sienne a eu un retentissement au-delà des frontières de son pays.
Rosa Parks s’est assise sur un siège dans un autobus. Il n’y a pas plus banal que de s’asseoir dans un autobus. Pourtant ce geste tout simple a fait de cette femme une héroïne. Rosa Parks a pris une place réservée à un blanc. Elle a défié le règlement. C’aurait pu être une petite désobéissance sans conséquence, mais aux États-Unis, dans l’état où vivait Rosa Parks, c’était un défi.
Rosa Parks ne cherchait rien d’autre qu’une place non seulement dans les autobus mais encore et surtout dans le coeur de ses compatriotes. Pas une place d’honneur, seulement une place, égale à toutes les autres places. Rosa Parks ne voulait plus être traitée en mineure, encore moins en minable. Elle exigeait qu’on ne méprise pas la couleur de sa peau. Elle voulait tout naturellement que, derrière la couleur, on regarde une femme, une femme qui respire, une femme qui pense, une femme qui aime, une femme qui aspire.
Bien d’autres femmes, bien d’autres hommes, même des hommes et des femmes de sa couleur, n’avaient jamais osé enfreindre la règle. Rosa Parks a eu le courage de le faire. Et son geste, presque insignifiant, a ébranlé les habitudes, les mentalités, les convictions, les idées toutes faites. Rosa Parks aurait pu se contenter de donner naissance à des enfants et à les élever selon l’ordre établi. Cette femme a donné naissance à un vaste mouvement de combat pour la reconnaissance des noirs aux États-Unis, avec Martin Luther King, avec Jesse Jackson et combien d’autres qui sont descendus dans la rue pour dire non à la ségrégation, et surtout pour dire oui à la liberté, à l’égalité, à la fraternité.
Et Rosa Parks s’inscrit dans un long lignage de femmes résistantes. Des femmes courageuses avant elle ont osé marché la tête haute quand on leur demandait de courber l’échine. Des femmes qu’on aurait voulu confiner à l’anonymat et à la vie secrète ont changé le cours de l’histoire. Des femmes, à toutes les époques depuis les premiers êtres humains, se sont tenues debout contre vents et marées.
Rébecca a changé l’histoire familiale en présentant Jacob à Isaac pour la bénédiction en lieu et place d’Ésaü (Genèse 27, 1-40). Bethsabée en fera autant dans l’élection de Salomon, pour succéder à David (1 Rois 1, 11-40). On a accusé ces deux femmes de verser dans les procédés intrigants, mais Dieu a été reconnu derrière ces gestes délinquants.
La mère de Moïse, une fille de Lévi dont on ignore le nom, a résisté aux décrets du pharaon. Elle a laissé vivre son fils malgré l’interdiction. Recueilli par la fille de Pharaon, l’enfant receva une excellente éducation qui le prépara à son rôle de libérateur. Sans ces désobéissances féminines, toute la tradition judéo-chrétienne aurait pris une autre tournure. Nous n’aurions jamais connu un des hommes les plus brillants que la terre ait connus, un géant de l’histoire humaine.
Anne, épouse d’Elqana, a tenu tête à Dieu. Elle a supplié tant et plus pour être guérie de sa stérilité. Elle donna naissance à Samuel, le prophète d’Israël (1 Samuel 2). Judith eut la tête d’Holopherne au sens littéral du terme, alors qu’elle aurait pu se retrancher dans la vision étroite de la femme à son époque. Esther sauva son peuple contre les manigances assassines de Haman.
Nous limitons la liste des femmes révolutionnaires à quelques-unes du monde de la Bible. Un regard sur le reste de l’histoire nous aurait montré d’autres femmes exceptionnelles. Rosa Parks s’inscrit donc dans une longue lignée de femmes qui ont fait évoluer les choses. En agissant autrement, elles nous ont offert une histoire différente. Elles nous ont surtout appris à refuser toute résignation. Elles nous ont montré à aller de l’avant, à oser, à combattre pour une vie plus humaine, plus vraie, plus juste. ہ marcher la tête haute.
Denis Gagnon, o.p.