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Le psalmiste,

Responsable de la chronique : Michel Gourgues, o.p.
Le psalmiste

Les angoisses de la nuit!

Imprimer Par Maxime Allard

LA NUIT: POUR DORMIR?

«Dans la nuit que tu nous donnes…» (Veille de solennité) Ainsi la nuit serait un don de Dieu. Et on croira spontanément que la nuit donnée l’est pour dormir. Le sommeil serait alors une bénédiction ou, à tout le moins, l’occasion d’être béni par Dieu. Pourtant… combien il semble difficile de s’y laisser aller!

LES COULEURS DE LA NUIT

On pourrait colorier les nuits avec du noir, du blanc et du gris.. Il y a des jours où on aspire à dormir, à s’enfoncer dans le repos réparateur du sommeil. Et puis, une fois couché, on tourne, on «viraille». Le sommeil se dérobe. La tension monte. On compte les heures. La nuit, malgré sa noirceur, sera blanche. Il y a aussi les nuits où nous sombrons, celles dont nous sortons avec peine. Pas de trace, pas de mémoire. Les profondeurs où nous nous lovons durant ces nuits n’offrent que peu de place pour les mots. Puis il y aurait les nuits communes. Habituelles, elles nous trouvent fatigués, nous laissent le temps de les apprivoiser. Dans la pénombre, elles rendent possible un dernier retour sur les activités du jour. Temps ambigu où surgissent des questions, des reconnaissances de faiblesses, de vulnérabilité. Temps aussi où il est possible d’envisager le lendemain et son lot d’obligations, d’appréhensions, d’anticipations joyeuses.

Entourant ces nuits, il y a des souvenirs: bonhomme Sept-heures, marchand de sable, loups, les fantômes. Avec le temps, les peurs personnelles se transforment, mais tous les spectres ne cessent pas leurs visites pour autant. Dans le noir, on croit toujours et encore qu’il y a quelque chose qui se cache, pour faire peur, pour surprendre… Les films d’horreur et les bandes dessinées jouent à plein de ce scénario. Une chance qu’il y a la lumière, les veilleuses, les lampes de poche. On n’a qu’à peser sur l’interrupteur l’assurance revient. Mais lorsque l’électricité manque… Lorsqu’on se retrouve sur la rue, seul, suivi…

ENTRER ET SORTIR DU SOMMEIL NOCTURNE…

Durant le jour, nous parvenons à oublier nos troubles. Ensemble, les structures répétitives du quotidien, les savoirs ou les constellations de croyances rassurent. Dans le noir et l’inactivité, la limite des prétentions à savoir et à agir resurgit. Déjouant nos désirs de calme, les troubles inquiétants, non maîtrisés, hantent nos nuits. Dans la nuit rôdent les ennemis, notre sécurité est menacée… Il est difficile de lâcher prise.

Difficile de s’endormir, de fermer l’oeil de dormir profondément, vraiment, et se laisser glisser dans la dimension onirique. Dangereuse expérience de confiance où les mots de Complies creuseront. Laisser son corps gisant sans qu’il soit à donner un spectacle pour séduire, pour détourner l’attention… Les craintes surgissent. À l’autre bout de la nuit, il devient difficile de se réveiller. Il faut secouer les lenteurs et langueurs matinales après les errances des songes et rêves nocturnes, après les alourdissements de la chair…

Pourtant Complies convoquent à un sommeil paisible. Plus, elles rendent possible une pacifiante évocation des insécurités.

LES LITURGIES NOCTURNES: POUR DORMIR?

Souvent lorsque la nuit surgit dans la liturgie, elle se présente comme un moment de veille. En ce sens, la nuit des nuits, la «nuit de vrai bonheur» est la nuit de la Veillée pascale. Dès le début de la vigile, le ton est donné par l’Exultet. D’ailleurs la nuit est d’emblée illuminée par le cierge pascal dont la lumière est répercutée par les cierges des fidèles. Et suit le long office…

La nuit s’installe aussi à l’Avent. Il s’agit de veiller, de tenir bon dans les épreuves: car le Christ Jésus vient dans le monde pour lui donner la vie en plénitude. À la fin de la veille, la lumière a brillé dans les ténèbres, un cri retentit: «un enfant nous est né»!

Mais passons à la nuit de Complies. La nuit est le temps du sommeil. Pas question de se tenir réveillé pour attendre, chercher, prier ou célébrer. La nuit, on dort, pas question de prolonger la prière. Enfin, on espère dormir paisiblement. Mais cela ne va pas de soi… Les prières, bénédictions et hymnes de Complies gardent des traces de l’association de la mort avec le sommeil, d’une vie vraie et du repos. Loin des négociations qui occupent nos journées et épuisent, il y a une vie qui laisse le temps, le loisir, de savourer paisiblement la joie de vivre… en présence de Dieu. Entre le sommeil et la mort, entre nos activités et la passion du Christ Jésus, se déploient un espace: le baptême nous y a inscrit; la vérité de nos vie peut s’y lire.

VIVES DEMANDES

Demandant d’être gardés pendant le sommeil de la nuit, évoquant, au moment de nous endormir notre mort éventuelle (futur inéluctable), le désir de vivre cherche à s’inscrire dans la fragilité de nos chairs, à circonscrire nos peurs. Alors que nous entrons dans l’oubli, dans l’inconscience du temps qui passe, la liturgie de Complies met sur les lèvres des croyants et croyantes des figures du temps de Dieu. Avant de perdre la parole et que le sommeil engourdisse nos langues, une parole divine résonne une dernière fois: «rassure-nous dans notre nuit… et nous attendrons dans le silence… que se lève sur nous la lumière de la Résurrection» (Samedi). Il y a dépôt de notre parole priante dans celle du Christ qui lui n’a pas de repos: «Dans la nuit que tu nous donnes pour unir notre prière à la sienne» (Veille des solennités).

PAISIBLE, LA VIE CONTINUE

Entre l’invocation pour un sommeil paisible et l’évocation des insécurités et la peur de mourir, une espérance confiante se fraye un chemin: le Seigneur fait «germer et grandir jusqu’à la moisson la semence du Royaume des cieux» (Lundi), l’Église vit du souffle de l’Esprit (Mardi). Et si la mort survenait, la vie, dit-on, joyeuse se poursuivra en présence de Dieu (Jeudi). Tout cela tient à une vie, celle du Christ ressuscité. Au coeur de la contingence radicale, de la crainte de l’inachèvement, il y a la veilleuse de l’espérance dans la résurrection. Comme si la nuit paisible n’était possible que dans le sillage du souvenir de la nuit de Pâques et de sa reprise vigilante dans la Veillée pascale de l’Église. On comprend pourquoi les figures de la paix se répètent d’un soir à l’autre (Samedi, Dimanche, Lundi, Mardi, Jeudi). Qu’on nous laisse en paix. Que Dieu nous y installe, à demeure

L’ENTRE-DEUX DE LA LUMINEUSE VEILLE DE DIEU!

La vie continue, le sommeil confiant est possible malgré tout… car Dieu, lui, ne dort pas. Complies ravive la mémoire de ces veilles de Dieu. Ainsi, le samedi soir, est évoquée la veille du Père pendant l’agonie au jardin des Oliviers. Il a veillé pour ressusciter au matin le Christ Jésus. Il veille pour tenir loin de ses fidèles les «embûches de l’ennemi» (Dimanche), pour éloigner d’eux le mal (Mercredi). Il veille à ce que germe, pendant notre inactivité, la semence du Royaume (Lundi). Comme si Complies demandait que nous soyons admis, pour la nuit, dans la garderie de Dieu: «Que le Seigneur nous bénisse, qu’il nous accorde une nuit tranquille et nous garde dans la paix» (Samedi).

Dieu veille et les prières de Complies le mettent en scène comme une veilleuse qui empêche les ténèbres de prendre toute la place: «Que le Seigneur fasse resplendir sur nous son visage» (Lundi); «la splendeur de la Résurrection nous illumine» (Vendredi). La liturgie de Complies enserre la mise en scène de la lumière nocturne du visage de Dieu de deux faisceaux: la lumière de la Résurrection du Christ à Pâques (Samedi, Dimanche, Vendredi) et celle du Royaume où vivent les enfants de Dieu ressuscités (Dimanche, Mardi, Vendredi).

Dormir en paix à l’ombre de la croix éclairée par la résurrection: le désir exprimé croise l’espérance et les difficultés de la vie. Ce croisement s’opère dans le Christ (Jeudi), par sa croix (Vendredi). À Complies, reposer en paix c’est déposer dans la paix du Christ sa vie, avec ses soucis et ses désirs de plénitude inassouvis. S’endormir dans la paix du Christ, c’est retrouver le lieu profond de la confiance et de l’espérance: on se pose, de nouveau, dans la vie; on s’y laisse déposer par Dieu ayant, dans le déroulement de la parole priante, remis en ses «mains le fardeau de ce jour».

Maxime Allard, o.p.

Le psalmiste

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