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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

18e Dimanche du temps ordinaire. Année A.

Imprimer Par Jacques Sylvestre, o.p.

Munificence du quotidien

Quand Jésus apprit cela, il partit en barque pour un endroit désert, à l’écart. Les foules l’apprirent et, quittant leurs villes, elles suivirent à pied. En débarquant, il vit une grande foule de gens ; il fut saisi de pitié envers eux et guérit les infirmes. Le soir venu, les disciples s’approchèrent et lui dirent : « L’endroit est désert et il se fait tard. Renvoie donc la foule : qu’ils aillent dans les villages s’acheter à manger ! » Mais Jésus leur dit : « Ils n’ont pas besoin de s’en aller. Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Alors ils lui disent : « Nous n’avons là que cinq pains et deux poissons. » Jésus dit : « Apportez-les moi ici. » Puis, ordonnant à la foule de s’asseoir sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction ; il rompit les pains, il les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent à la foule. Tous mangèrent à leur faim et, des morceaux qui restaient, on ramassa douze paniers pleins. Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille, sans compter les femmes et les enfants.

Commentaire :

Pour comprendre ce texte, même s’il fut dans le passé l’objet de maintes lectures, il faut nous efforcer de communier à la foi des premiers chrétiens : comment les premières communautés chrétiennes proclamaient le Christ et célébraient leur liturgie. Ce récit donne également l’occasion de constater l’emploi et l’utilisation que faisait l’écrivain sacré du vocabulaire et des images de l’Ancien Testament. Nous n’entrerons jamais dans l’intelligence profonde du Nouveau Testament sans nous référer aux annonces et figures de l’Ancien. Le Nouveau Testament ne nous fait pas entendre un langage ou lire une écriture réformés, mais un langage et une écriture préformés, des mots et des images pleins de souvenirs de l’Ancien Testament, particulièrement dans ce récit de la multiplication des pains. N’allons pas croire que l’auteur invente à partir de l’Ancien Testament un fait merveilleux qu’il attribue à Jésus ; son récit nous permet de constater et de mieux comprendre la réalisation d’une promesse présentée et préfigurée dans l’Ancien Testament.

Le texte susceptible d’éclairer le récit et de justifier notre affirmation est l’invitation du prophète Isaïe : « Holà ! vous tous qui avec soif, je vous offre de l’eau, venez. Même si vous n’avez pas d’argent, venez vous procurer de quoi manger, c’est gratuit … A quoi bon dépenser de l’argent pour un pain qui ne nourrit pas, et vous donner tant de mal et ne pas être satisfaits ? Si vous voulez m’écouter, vous aurez de quoi manger, quelque chose de bon ; vous vous régalerez de ce qu’il y a de meilleur. Accordez-moi votre attention et venez jusqu’à moi. Écoutez-moi et vous revivrez. » (Is. 55,1-3) Deux mots à retenir : attention, écoutez.

Un extrait du livre des Rois (6e a.c.) complète cette évocation du prophète Isaïe et préfigure la multiplication des pains : « À cette même époque, un homme arriva de Baal-Chalicha ; il apportait au prophète Élisée vingt pains d’orge faits de farine nouvelle, et un sac de grain qu’il venait de récolter. Élisée dit à son serviteur de partager ces vivres entre tous, mais le serviteur répondit : « Comment pourrais-je nourrir cent personnes avec cela ? » – « Partage ces vivres entre tous, reprit Élisée, car voici ce que déclare le Seigneur : « Chacun aura assez à manger et il y aura même des restes ». Le serviteur répartit le pain entre ses compagnons. Chacun en mangea et il y eut effectivement des restes comme le Seigneur l’avait annoncé. » (2 Rois 4, 42-44) Manger, être rassasié, avoir des restes, munificence des largesses divines, ce que nous retrouverons dans ce récit de la multiplication des pains. Nous pourrions compléter avec le souvenir du peuple rassasié au désert (Ex.16, 4).

Le récit de la multiplication des pains développe des thèmes qui questionnaient l’Église primitive. Des pauvres ont faim, ils sont multiples ; la mission dépasse les disciples et non moins l’insuffisance des dons qui passent par leurs mains. Malgré tout, le pain est toujours offert. Relisons le récit pour en souligner les points de réflexion

« Jésus partit en barque pour un endroit désert, à l’écart » Tout va se passer dans le désert, à l’écart. L’église, notre église, l’église d’aujourd’hui n’est plus un lieu public, un centre d’achat quelconque où chacun pourvoit à ses seuls besoins, indifférent à l’autre quel qu’il soit. L’Église, c’est, aujourd’hui comme au désert, la présence du Christ représenté par ses disciples et présent au milieu de l’assemblée. Sans doute, n’y a-t-il pas foule, « une grande foule », sauf du moins, à l’occasion des funérailles. Mais pour le reste ! Et pourquoi tous ces gens sont-ils accourus ? Se presseront-ils à la sainte Table ? Quelle attention porteront-ils à la Parole ? Tel est le vrai portrait du désert ecclésial contemporain.

« Donnez-leur vous-même à manger ». Face à pareille situation angoissante pour le responsable de la communauté – nous sommes tous responsables en un sens – il n’y a jamais lieu de désespérer. Pour une liturgie bien organisée, signifiante et qui ne laisse personne indifférent, il importe de ne pas escompter des résultats supérieurs à ceux que Jésus a connus. Il y avait foule, au désert, mais pour combien de temps ? Malgré tout, Jésus les nourrit généreusement du pain et de sa Parole, même si tout était accompli dans le contexte d’une vie déjà contestée, interpellée, mise en question. L’évangéliste souligne la pauvreté numéraire des aliments que Jésus va changer en aliments surabondants pour rassasier la foule et en ramasser douze paniers combles. Ne sont-ce pas là les pauvres réalités quotidiennes, le petit témoignage d’une foi susceptible de bâtir le Royaume. Au fond, n’est-ce pas de nous-même et du témoignage d’espérance partagé, dont nous pouvons alimenter notre environnement humain, grâce à Jésus qui intervient dans l’efficacité du geste et le multiplie abondamment.

Munificence du quotidien si pauvre soit-il !

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