Mon heure
Ne soyez donc pas bouleversés : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, beaucoup peuvent trouver leur demeure ; sinon, est-ce que je vous aurais dit : Je pars vous préparer une place ? Quand je serai allé vous la préparer, je reviendrai vous prendre avec moi ; et là où je suis, vous y serez aussi. Pour aller où je m’en vais, vous savez le chemin. » Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas ; comment pourrions-nous savoir le chemin ? » Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. » Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. » Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’ ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; mais c’est le Père qui demeure en moi, et qui accomplit ses propres oeuvres. Croyez ce que je vous dis : je suis dans le Père, et le Père est en moi ; si vous ne croyez pas ma parole, croyez au moins à cause des oeuvres. Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi accomplira les mêmes oeuvres que moi. Il en accomplira même de plus grandes, puisque je pars vers le Père.
Commentaire :
Discours d’adieu bien présenté. Jésus est l’accès au Père. Pour atteindre à sa suite ces demeures que le Père nous a préparées, la confiance et la foi importent avant tout (1). Jésus énumère ensuite les raisons de ne pas désespérer : il nous a préparé une place (2-4) à laquelle il est personnellement le seul à pouvoir donner accès (6-7) de même qu’au Père en qui il demeure et qui demeure en lui (8-12). L’objet de ce chapitre, discours d’adieu de Jésus, est de ranimer le courage et la foi des apôtres suite aux tristes événements annoncés : la trahison de Judas, le reniement de Père et enfin le départ de Jésus (13 : 18-19, 33, 36-38). L’Église primitive devait alors vivre une remise en question suscitée par la défection de certains, les persécutions et le retour du Christ qui se fait attendre : « Que votre cœur cesse de se troubler ! Croyez en Dieu, croyez aussi en moi » rappelle l’apôtre Jean citant l’exhortation de Jésus au soir de la Cène
Un terme fréquemment utilisé par Jean mérite ici réflexion : « demeure », substantif qui caractérise bien Dieu l’Éternel par opposition à l’homme qui passe. Même ici-bas, cette stabilité que le Christ partage avec son Père peut devenir réalité pour nous. La paix intérieure que décrit cette « demeure » consiste à être auprès du Père par la grâce du Fils, et ce dès maintenant ; la mort modifiera sans doute les modalités, mais non la réalité, Le Christ est présent dans les siens : « je suis – pour tout fils et fille de Dieu vivant – le chemin, la vérité et la vie ». Images lourdes de sens dont il importe de comprendre le sens. Les trois expressions, chemin, vérité et vie, comportent une hiérarchie, une progression de la pensée du Christ.
Le chemin
La question de Thomas n’est pas importune, loin de là. La réponse de Jésus doit être lue ainsi : « Je suis le chemin parce que je suis la vérité, et donc ainsi la vie », la vie en tant que Vérité, c’est-à-dire révélation de la présence de la vie de Dieu dans notre histoire. C’est un chemin mystique qui conduit par la grâce du Fils jusqu’au Père, la communion avec le Père. Le chemin se définit alors comme un cheminement historique qui mène à la rencontre d’une personne. Et de cette rencontre, le Christ et sa vie terrestre sont le chemin par le don total qu’il fait de sa vie.
La vérité
Le Christ est vérité, c’est à dire quelqu’un qui parle à travers les faites et gestes et qu’il faut écouter. Sa parole est alors plus qu’un son qui frappe l’oreille, mais stimulation prophétique qui invite à s’insérer dans un plan peu à peu dévoilé au gré des événements de l’histoire, écouter la voix de Dieu qui retentit au cœur des réalités terrestres (Mc, 8 : 18-21) Une religion de l’écoute, tel doit être le sens caché de ces mots Parole et Vérité. « Si vous demeurez dans ma parole, vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libre » (Jn.8 : 31+)
La vie
Le terme n’est sûrement pas à prendre dans un ordre naturel comme le suggérait la résurrection de Lazare ramené à la vie ; pour en saisir tout le sens, il importe de référer à des valeurs comme justice, amour, et Dieu. « Si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort », « Je suis le pain descendu du ciel et qui donne la vie au monde » (Jn. 6 :33) La foi permet à chacun d’entrer en communion de vie avec le Père par le Fils en imitant son exemple Le chrétien connaît la joie quand il découvre que l’existence prend tout son sens dans le don de soi aux autres (Jn. 15 : 12-14) Ainsi fait-il l’expérience de Dieu et de son envoyé : « La vie éternelle, c’est qu’il te connaisse, toi le seul vrai Dieu et ton envoyé Jésus Christ ». « Celui qui aime, celui-là connaît Dieu parce que Dieu est amour ».
Le Père
« Montre-nous le Père » : question saugrenue et réponse mêlée d’indignation mais non moins de condescendance : « Voilà si longtemps qui je suis avec vous et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui m’a vu a vu le Père. » Ce « voir » connote davantage qu’une simple expérience d’ordre sensoriel ; il définit un véritable cheminement intérieur : voir Jésus, le découvrir comme l’aveugle de naissance (Jn.9 : 36). Option qui décide de toute l’orientation d’une vie. Contempler Jésus pour découvrir le mystère de son union au Père : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (14 :10) Ne plus se fier à ses propres lumières, mais se laisser saisir par tout ce que Dieu accomplit en Jésus et par Jésus. Événement décisif de l’« Heure » de Jésus. Puisse-t-elle devenir aussi « mon heure »