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Pour une fidélité créatrice

Imprimer Par Denis Gagnon

Le philosophe et écrivain Hippolyte Taine a écrit malicieusement: «On s’étudie trois semaines, on s’aime trois mois, on se dispute trois ans, on se tolère trente ans, et les enfants recommencent.» (Cité par REY-MERMET, Th,, op. cit., p. 398) Plus sérieusement tout en étant aussi pessimiste, Thomas More disait: «Lorsqu’un homme fait un serment, il prend sa vie dans ses mains comme de l’eau.» Ces témoignages laissent entendre que la fidélité n’est pas facile. Et nous sommes bien d’accord avec eux. Pour des êtres changeants comme nous, la fidélité peut même être une épreuve.

Dans les faits

Nous pouvons vivre la fidélité à trois niveaux:

1) La fidélité peut être vécue comme une obligation. Deux époux peuvent se sentir obligés l’un par rapport à l’autre. Le mariage peut être perçu comme une institution où on «se met la corde au cou», où on «enterre sa vie de garçon». Avec une autre personne, on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Nos habitudes sont bousculées. Il faut tenir compte de son conjoint, tenir compte des enfants, quand il s’agit de prendre des décisions. Évidemment, pas question d’avoir des relations avec d’autres personnes que son conjoint.

2) On peut vivre la fidélité comme une habitude. Les deux époux se sont adaptés l’un à l’autre. Chacun accepte les goûts et les caprices de l’autre. Il connaît l’autre; ses opinions; il devine ses pensées; prévoit ses réactions. Bref, pas de surprise! «L’on demeure ensemble par inertie, par passivité, par peur de l’inédit, par peur de l’insolite. On évite l’adultère par manque d’esprit de conquête et de créativité, ou bien par crainte instinctive de voir crouler tout “ce monde” connu, tout cet équilibre somme toute satisfaisant.» ((DURAND, Guy, «L’indissolubilité du mariage en regard de la réflexion morale», dans Société canadienne de théologie, Le divorce, coll. «Héritage et projet», no 6, Montréal, Fides, 1973, p. 10. C’est à cet auteur que nous empruntons l’essentiel de ce billet)

3) On peut aussi vivre la fidélité comme la plénitude de l’amour. Il s’agit alors d’une fidélité créatrice. Le couple est source de vitalité. Les deux partenaires sont attachés l’un à l’autre parce qu’ils se font vivre mutuellement. Leur amour est dynamique, leur fidélité aussi. «Être fidèle, c’est garder un regard neuf et émerveillé sur l’autre.» ( DURAND, Guy, op. cit., p. 109)

On peut vivre les trois niveaux de fidélité dans une vie de couple, chacun à différentes périodes de la vie. L’idéal, c’est bien sûr d’arriver le plus possible à vivre une fidélité dynamique et créatrice. Elle est «une force qui triomphe du temps»(GUARDINI, Romano, Morale au-delà des interdits, Paris, Cerf, 1970, p. 80).

Les motivations

Après avoir regardé l’expérience concrète de la durée dans la fidélité, arrêtons-nous aux motivations. Pourquoi aimons-nous quelqu’un au point de nous attacher à cette personne pour toute la vie? Pourquoi choisissons-nous d’aimer dans la fidélité? Les motivations qui nous animent sur ce plan occupent aussi différents niveaux.

1) Nous pouvons être fidèles parce qu’un jour nous avons promis d’aimer quelqu’un pour toujours. Nous voulons tenir notre promesse, c’est un devoir pour nous. Nous ne voulons pas déroger de ce principe: une promesse doit être tenue. Jacques Sarano parle de fidélité «malgré tout» (SARANO, Jacques, Rester et devenir soi-même, Paris, Centurion, 1970, pp. 89 et suivantes) C’est une «fidélité à ce que nous avons été» (DURAND, Guy, op. cit., p. 110) le jour de notre mariage. Une fidélité au passé.

2) Nous pouvons être fidèles parce que nous nous trouvons bien ensemble. Tant que ça va, pas de problème! L’inertie nous tient ensemble. Peut-être la paresse également, qui fait que nous ne faisons pas l’effort de regarder ailleurs . Peut-être la peur aussi de nous retrouver dans de «mauvais draps», dans tous les sens de l’expression. Jacques Sarano parle de fidélité «parce que»(Ibid.). C’est une «fidélité à ce qu’on est, ou plutôt à ce qu’on a» ( DURAND, Guy, op. cit., p. 110.). Une fidélité au présent.

3) Nous pouvons enfin être fidèles par choix délibéré. C’est une décision personnelle et libre. Ce choix nous tient constamment en action; il nous garde en état de créativité. Nous investissons dans notre couple. «Être fidèle à toi, c’est te choisir chaque jour comme unique, comme au premier jour. Mieux qu’au premier jour. Te choisir chaque jour pour devenir davantage nous-mêmes: toi, moi; pour approfondir notre projet de communion, pour édifier ensemble un foyer, pour remplir notre tâche dans la cité.» (Ibid.) Jacques Sarano parle alors de fidélité «pour que» (Ibid.). Ce niveau de fidélité s’apparente à la fidélité dynamique dont nous avons parlé plus haut. C’est une fidélité qui considère l’amour et le mariage comme un projet à réaliser: «Fidélité à ce qu’on est et à ce qu’on sera» ( DURAND, Guy, op. cit., p. 110). Fidélité tournée vers l’avenir.

Les trois niveaux de motivations demeurent importants même si le troisième en est le point culminant. À divers moments de la vie, dans les pannes de sentiment par exemple, les deux premiers ont l’avantage de soutenir le couple. Les trois ensemble constituent et rejoignent l’histoire de toute la vie et l’ensemble de la personne. «Et, à ce titre, la fidélité est moins un attachement à l’avoir qu’un acquiescement à l’être , une foi dans le potentiel indéfini de la personne humaine.» (DURAND, Guy, op. cit., p. 111)

À travers des changements

Vivre dans la durée, c’est inévitablement rencontrer le changement. Tout au long de la vie, nous changeons. L’un et l’autre changent. La promesse est-elle encore valide quand on n’est plus les mêmes au bout de quelques années? En vivant la fidélité par devoir, on vit en fonction du passé et les changements deviennent des obstacles insurmontables. En vivant la fidélité au niveau de l’habitude et de l’inertie, on s’accommode des changements puisqu’on les règle à mesure qu’ils se présentent. En vivant une fidélité dynamique, ouverte sur l’avenir, cette fidélité se nourrit des changements. Et même, elle ne peut s’en passer. «Les partenaires ne se sont pas juré de demeurer les mêmes, ils se sont juré de changer ensemble. Ils n’ont pas promis de bâtir tel modèle de couple préétabli, mais un couple original aux contours imprévisibles et en perpétuelle évolution. […] C’est pourquoi cette fidélité ne veut pas dire stabilité, immuabilité. Au contraire de la constance, la fidélité implique progrès, changement évolution.» (DURAND, Guy, op. cit., p. 112)

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