Le Québec a traversé une période d’effervescence qu’on ne pensait plus possible. L’euphorie a atteint toutes les couches de la société. La moindre chaumière a frétillé de joie. Que s’est-il passé? Nous avons vécu un événement que nous ne croyons plus possible: le club de hockey Le Canadien s’est rendu jusqu’en quart de finale! Après un long, très long, trop long séjour dans la chambre des perdants, les descendants de Maurice Richard, Jean Béliveau et Guy Lafleur ont fait honneur à leurs ancêtres et, du même coup, à leurs compatriotes! Cela n’a pas duré longtemps puis que la défaite est revenue au bercail. Mais, tout de même, quelques victoires nous ont fait du bien.
J’ai participé à la fête. Je n’avoue pas ainsi un engouement particulier pour notre sport national. Le spectacle d’une partie de hockey m’ennuie. Je suis simplement content d’avoir retrouvé l’enthousiasme dans la population québécoise. Il me semble que nous en étions privés depuis quelques années. Depuis l’époque des fiertés nationales et même nationalistes. Depuis les succès d’entreprises et de projets sociaux qui ont soulevé les poitrines autour des années 70-80. Depuis la grande époque des boites à chansons. Depuis le merveilleux temps des rêves…
Depuis les dernières années, ces derniers mois surtout, les médias nous tapent dessus avec leurs images de guerre, leurs propos alarmants concernant le terrorisme. Nous sommes bombardés de toute part par la violence, les procès à grands renforts de sensationnalisme. Les politiciens nous déçoivent (scandale des commandites où chacun se défile et lance la pierre à son voisin, gouvernement qui ne se révèle pas plus prêt à gouverner que la chatte du voisin, démissions et congédiements pour avoir profité du système!) Les citoyens qui devraient être plus irréprochables que les autres à cause de leur fonction ou de leur profession se retrouvent devant les tribunaux à se défendre contre des accusations de détournement de mineures ou d’agression sexuelle sur des adolescents. Chez le gros bêta voisin, la conseillère du président annonce innocemment qu’elle veut tuer Oussama ben Laden pendant qu’Ariel Sharon en dit autant à propos d’Arafat. Dans le code criminel de mon pays, on aboutit en prison pour moins que cela.! Et pourtant ils sont peu nombreux les leaders politiques qui se scandalisent d’autant d’arrogance et de si peu de jugement.
Mais délaissons un instant le marché aux puces des inepties sociales et internationales. Savourons les bons coups de nos hockeyeurs, si éphémères soient-ils. Pour leur performance, j’acquiesce. Mais surtout parce qu’ils réveillent en nous l’enthousiasme. Nous en avons besoin. Nous ne pouvons pas vivre des ombres et des orages qui traversent notre ciel. La joie doit nous atteindre pour éviter de sombrer dans la dépression ou la morosité.
Ces jours-ci, nous avons été l’hôte d’un grand personnage: le Dalaï Lama. Un homme en exil depuis longtemps. Un homme profondément attaché à sa patrie. Un homme blessé par la situation dramatique de son pays et de ses concitoyens. Et pourtant, il trouve la force de sourire. Son discours, ses attitudes révèlent en lui une profonde et sincère sérénité. L’avenir est peut-être davantage de ce côté. Nous vaincrons la dépression et la morosité, nous vaincrons la violence et les injustices par la non-violence, le dialogue, la confiance en l’être humain, la certitude qu’il y a un soleil derrière les nuages et qu’après la pluie vient le beau temps. Certitude et confiance qui poussent à l’audace.
Si le témoignage du Dalaï Lama ne nous suffit pas, ajoutons celui de Gandhi, de Martin Luther King, de Dietrich Bonhoeffer, de Etty Hillesum, d’Oscar Romero, des moines de Tibhirine, de Pierre de Claverie, de Helder Camara, jusqu’à Jésus Christ. Au plus fort de son drame, le Christ a continué d’affirmer: «Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité» (Jean 18, 37).