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École de la prière,

Responsable de la chronique : Christine Husson, l.o.p.
École de la prière

Pourquoi prier ?

Imprimer Par Yves Bériault, o.p.

Depuis la nuit des temps sans doute, l’être humain se pose cette question du pourquoi de la prière ? À quoi bon prier ? Est-ce que la prière peut vraiment changer le cours des événements ? J’ai mis du temps dans ma vie avant de m’ouvrir à la foi et d’avoir recours à la prière. Quand j’étais jeune, si j’exclus la période de l’enfance, la prière était absente de ma vie. Jeune adulte, je me disais sans dieu ni loi. La prière n’était pour moi qu’une fuite hors du monde, une perte de temps. Comment savoir si Dieu nous écoute ou même s’il y a un Dieu? Et puis un jour le malheur a frappé à la porte de notre famille.

C’était le début du mois de novembre. Au retour d’un voyage à Québec, j’étais revenu chez mes parents, chez qui j’habitais encore. J’avais alors 22 ans. C’était un dimanche soir. Je me souviens que ma mère était seule à la cuisine. En rentrant, je vis son visage empreint d’une grande douleur, au bord des larmes, m’annonçant que ma soeur Johanne, âgée de 18 ans, avait eu un accident d’automobile le samedi soir. Elle était à l’urgence de l’hôpital de Saint-Jérôme et son état semblait grave, mais on n’en savait pas plus. Un jeune couple, des amis de Johanne, mariés depuis six mois, étaient assis sur la banquette avant de la voiture et ils étaient morts sur le coup. Dans la nuit de samedi à dimanche l’auto avait quitté l’autoroute, sans raisons apparentes, et était tombée dans un ravin.

J’appelai tout de suite à l’hôpital afin d’obtenir des renseignements. L’infirmière me répondit tout simplement que ma soeur était inconsciente et que ses chances de survie étaient de 50/50. Il ne m’était pas possible pour l’instant de la voir, mais elle m’invita à passer le lendemain.

À l’hôpital, j’appris par le médecin que l’impact de l’accident avait été très violent. Ma soeur était décérébrée et si elle survivait à l’accident, elle serait sans doute légume toute sa vie. J’entrai dans la chambre. Je craignais de la voir abîmée, méconnaissable, mais c’était toujours elle. Elle semblait intacte, aucune blessure apparente. Ce fut le début d’une longue vigile qui dura toute la semaine. Au début, j’ai refusé de prier pour sa guérison, même si j’espérais toujours un miracle, une erreur de diagnostic. J’allais la voir à tous les jours, mais je refusais de prier pour elle, me disant que je n’étais pas pour commencer à prier Dieu maintenant, dans une épreuve, alors que je ne le faisais jamais quand ça allait bien. C’était ma logique de non-croyant, mon orgueil.

Mais après quatre ou cinq jours, Johanne était toujours dans le coma, soutenue par un respirateur artificiel. Je sentais bien que la partie était perdue. Nous commencions à peine à vivre une certaine amitié, moi le grand frère de 22 ans avec sa petite soeur de 18 ans. Elle avait commencé à me demander des conseils. Elle avait un copain. Nous étions en train de devenir tous les deux de jeunes adultes et nos querelles d’adolescents étaient sur le point de passer derrière nous. Ce dernier soir où je la vis vivante, je l’embrassai dans son lit et je me suis mis à pleurer comme je n’avais pas pleurer depuis longtemps. Je réalisais que j’étais sur le point de perdre ma petite soeur. Je quittai l’hôpital en larmes et arrivé à la maison je me suis mis à genoux dans ma chambre, ce que je n’avais pas fait depuis très longtemps, suppliant Dieu de faire quelque chose, un miracle afin de la sauver. Le lendemain l’hôpital nous appela pour nous dire que Johanne était décédée.

Cette histoire d’une prière non-exaucée nous en aurions tous à raconter. Nous faisons tous l’expérience de demandes faites à Dieu qui ne semblent pas trouver réponse. Pourquoi prier si nos prières ne sont pas exaucées ? C’est un peu le premier réflexe que certaines personnes adoptent face à la prière. Inutile de dire que suite à la mort de ma soeur, ma révolte envers Dieu n’a fait que grandir : ce Dieu que je ne connaissais pas, en qui je ne croyais pas, mais à qui j’avais fait appel « au cas où! » Ce n’est que cinq ans plus tard que je fis l’expérience de la foi en Dieu, l’expérience de la présence aimante de Dieu à l’occasion d’une prière. J’avais alors 27 ans. Huit ans plus tard, je pris la décision d’entrer chez les dominicains.

Je ne doute pas maintenant que Dieu ait été présent dans cette prière que je lui ai faite pour sauver ma sœur. Mais je n’étais sans doute pas prêt à le voir, écrasé que j’étais sous le poids de la douleur et de la révolte. C’est donc ailleurs que Dieu m’attendait, patiemment, sans jamais m’abandonner, guettant sur la route le retour de l’enfant prodigue.

Charles de Foucault, en quelques mots seulement, a défini le caractère de la prière chrétienne d’une manière admirable. Il a écrit : « prier c’est penser à Dieu en l’aimant ». En ce sens, je puis dire que depuis que j’ai accueilli ce don de la foi en Jésus-Christ, la prière a toujours occupé une place importante dans ma vie. Et pourtant n’aies-je pas vécu l’échec de ma prière avec le décès de ma soeur? Quand j’ai travaillé, il y a quelques années, comme aumônier dans un hôpital pour enfants, j’ai prié pour ces enfants malades, accidentés, j’ai prié pour ceux qui allaient mourir, sans jamais vraiment connaître le résultat de ma prière. Je crois au miracle, mais le miracle tel qu’on l’attend n’est pas souvent au rendez-vous. Alors pourquoi ?

Si je prie aujourd’hui, c’est que cette expérience de foi que je vis maintenant depuis près de trente ans m’a fait découvrir un autre visage de la prière. Une prière qui n’exclut pas la demande, même si elle ne trouve pas toujours réponse comme je le souhaiterais, mais qui me révèle toujours la présence d’un Dieu qui m’aime et me soutient dans mes peines et mes combats. C’est de cette prière dont j’aimerais vous parler maintenant après ce long préambule.

Dans sa forme la plus simple et la plus dépouillée, la prière est toujours une demande et, en ce sens, elle est universelle. Elle échappe au cadre des religions, elle traverse tous les temps, tous les continents et toutes les cultures. Elle habite le coeur de l’homme, dès sa conception, au point où quand se présente un danger éminent, quand la mort se fait toute proche, même des non-croyants endurcis, comme je l’étais, ont le réflexe d’invoquer Dieu, d’implorer une force supérieure afin de les secourir. « La prière est souvent le cri de l’homme menacé (Vergote) », un appel au secours au coeur de l’épreuve et de la peine. Ce sont souvent là les premiers balbutiements de la personne qui prend contact avec la prière et qui, éventuellement, y fera la rencontre de Dieu. Car la prière est beaucoup plus qu’un refuge en cas de détresse. Elle est le lieu où Dieu nous attend, elle est notre demeure, notre maison, et ce n’est que par la prière que l’être humain peut vraiment devenir un être spirituel. Saint Augustin nous dirait ici : « Deviens ce que tu es ! » . C’est-à-dire, réalise la vocation qui est la tienne en devenant un homme, une femme de prière.

Oui, la prière est toujours une demande et à l’école de Jésus-Christ nous apprenons à marcher sur ses pas, à faire nôtre sa prière à Gethsémani : « Père, non pas ma volonté, mais la tienne! » . Nous prions afin d’entrer dans cette volonté de Dieu sur nous. La demande d’éloigner la coupe amer de l’épreuve s’inscrit tout à fait dans la prière chrétienne. Jésus lui-même l’a fait. Mais le but de cette prière n’est pas l’exaucement à tout prix, mais uniquement l’exaucement qui fait appel au désir de Dieu sur nous. Qu’est-ce que Dieu attend de moi? Quel est son rêve pour moi? Nous prions afin d’entrer plus avant dans une relation de confiance avec le Seigneur, une confiance absolue et totale. « Non pas ma volonté mais la tienne » .

Pourquoi prier? Parce que c’est dans la prière que grandit et s’épanouit notre connaissance du Seigneur. La prière est le lieu où Dieu nous appelle par notre nom et où il se révèle à nous. C’est le lieu de l’intimité, de l’amitié avec Dieu. Et c’est sur cette base seulement que notre vie spirituelle peut vraiment s’enraciner et se développer. Peu à peu la prière fait de nous des familiers de Dieu.

Pourquoi prier ? Parce que la prière est ce lieu privilégié où nous apprenons à nous connaître sous le regard compatissant de Dieu. Nous nous faisons connaître de lui, nous nous présentons à lui dans la prière avec tout ce que nous sommes, et nous sommes accueillis sans conditions, tels que nous sommes. C’est Gandhi qui disait: « la prière est l’admission quotidienne de notre faiblesse ». Pour grandir dans la foi et en humanité, il faut donc tout d’abord savoir reconnaître nos pauvretés, nos faiblesses, notre besoin d’être sauvé. C’est tout cela que nous présentons à Dieu. La prière vient nous aider à grandir dans l’amour. Peu à peu elle nous dépouille de notre orgueil et ainsi elle nous aide à identifier ce qui nous retient dans notre vie spirituelle, ce qui nous éloigne de Dieu et du prochain. La prière c’est Dieu qui agit en nous. C’est pourquoi elle est le lieu de tous les pardons, de toutes les guérisons et de tous les espoirs. Mais il faut s’abandonner entre les mains de Dieu comme Jésus nous y invite : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit ».

Toute notre vie spirituelle se joue autour de notre capacité à ouvrir nos mains devant Dieu et à lui offrir tout ce qui fait notre quotidien, car c’est là que nous nous construisons et que nous devenons enfant de Dieu : « Deviens ce que tu es » par la prière. C’est Henri Nouwen qui écrivait : « Prier, c’est ramener chaque douleur à la source de toute guérison; c’est laisser le feu de l’amour de Jésus faire fondre la glace du ressentiment; c’est créer un espace où la joie remplace la tristesse, où la miséricorde supplante l’amertume, où l’amour déplace la peur, où la douleur et la tendresse surmontent la haine et l’indifférence. » (Prayer embraces the world. Extrait de La seule chose nécessaire. (recueil des écrits de Henri Nouwen), Bellarmin, 2001, p. 40)

Pourquoi prier ? Parce que Jésus lui-même a prié et qu’il nous invite à prier en ne doutant pas que notre prière soit entendue par le Père. C’est là notre assurance. Comme le rappel l’épître aux Hébreux : « aux jours de sa vie terrestre, il a présenté avec des clameurs et des larmes, des implorations et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort. Et il a été exaucé à cause de sa piété » (sa soumission TOB) (Hb.5,7). Prier, c’est entrer dans ce long compagnonnage avec le Christ tout au long de notre vie, aller à son école. apprendre à prier avec lui, à veiller avec lui quand nous sommes confrontés nos propres Gethsémani, à marcher joyeusement avec lui jusqu’à la maison où le Père nous attend.

Et pourtant… Toutes ces prières qui restent sans réponse, comme d’innombrables bouteilles jetées à la mer et qui ne changent pas le cours des événements. Du fond de sa prison, le pasteur protestant Dietrich Bonhoeffer écrivait: « Dieu réalise en nous non pas tous nos désirs, mais toutes ses promesses… » . À travers toutes ces situations de détresse que nous traversons et que nous présentons à Dieu dans la prière, Dieu se fait encore plus proche de nous. Il nous guide et nous soutien à travers ces épreuves afin que l’obscurité ne l’emporte pas sur la lumière. Et quand nous marchons avec Dieu dans la confiante, Dieu alors peut vraiment être Dieu dans nos vies et réaliser peu à peu en nous ses promesses. La lumière du matin de Pâques peut alors illuminer nos ténèbres, guider nos pas, guérir nos blessures et nous faire grandir dans l’amour et la connaissance de Dieu.

Lors de ses 80 ans, mon père m’a parlé de sa prière, lui qui a mis des années à se réconcilier avec Dieu, suite à la perte de sa fille unique Il m’a dit ce qui suit : « Parfois j’ai peur de marcher tout seul, mais si Lui marche avec moi, alors je n’ai plus peur, parce que je sais qu’avec Lui ça va bien aller! Je ne demande pas à Dieu qu’il me donne la santé, la richesse, le succès ou même d’être heureux. Je ne lui demande que ceci: qu’il me rende bon. Bon avec ma femme, mes enfants, mes voisins et mes proches. Pour le reste: santé, richesse, succès, bonheur, je m’en occupe. Mais qu’Il me donne seulement d’être bon » .

La prière chrétienne nous renvois à un niveau beaucoup plus profond qu’une simple recherche de confort ou de solution magique à nos besoins. Saint Augustin a trouvé les mots justes pour parler de la prière. Il a dit que la prière était avant tout de l’ordre du désir. Bien qu’elle s’exprime parfois en des formules, en dévotions ou en demandes de toutes sortes, la prière correspond avant tout à une soif profonde en nous. La prière est un don de Dieu. Elle est le langage qu’il nous donne pour communiquer avec lui. Elle est le chant de Dieu en nous, le chant de son amour pour nous.

Pourquoi prier ? Pour être bon sûrement. Bon comme du pain, bon comme le Christ. Car la prière est le souffle indispensable à notre vocation d’hommes et de femmes créés à l’image de Dieu. Elle nous fait vivre. Elle donne sens à nos vies.

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