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Témoins du Christ

La joie des renoncements

Imprimer Par France Paradis

Au coeur de l‘été, une de mes amies a fait sa profession solennelle de carmélite. Nous étions bien une centaine à la cérémonie, à la fois touchés et bouleversés par cet engagement permanent. Louise — appelons-la ainsi, puisque sa modestie m’empêche de parler précisément d’elle — faisait la promesse, ce jour-là, de vivre en communauté avec ses soeurs jusqu’à la mort, et même au-delà. Qui sait ?

Les carmélites sont des religieuses contemplatives de l’ordre de Mont-CarmeL Elles vivent cloîtrées : personne ne pénètre le monastère au-delà de la clôture, et ces femmes ne la traverseront pas non plus. Leur vie est faite de silence et d’oraison. Et de joie aussi. On connaît si peu les carmélites qu’on ne soupçonne pas leur joie. On les imagine austères, sévères même. Beaucoup associent leur engagement au sacrifice. alors qu’il est un appel profond et vivant. Vivant comme un oiseau qui s’ébroue au bord d’une rivière comme un tournesol qui se tourne vers le soleil, comme le cri de joie que pousse un enfant qu’on lance dans les airs et qu’on rattrape à bout de bras. Ne rentre pas au Carmel qui veut. La préparation de Louise aura duré près de huit ans. Louise a suivi la même route que toutes les carmélites. Après 18 mois de rencontres hebdomadaires au parloir avec la maîtresse des novices, elle a fait un stage de trois mois à l’intérieur du cloître. Après ces trois mois, on lui a suggéré de réfléchir encore pendant un mois au cours duquel elle ne devait avoir aucun contact avec le Carmel. Et Louise y est retournée pour commencer ses six années de noviciat.

À mi-chemin, elle aura prononcé ses voeux temporaires, premier pas vers l’engagement permanent. On lui aura souvent rappelé au cours de cette période que sa vocation peut s’exprimer de bien des façons et dans des engagements très différents. On lui aura expliqué longuement la vie quotidienne des carmélites et les rigueurs qu’elle comporte. Sans doute lui aura-t-on suggéré d’aller voir d’autres communautés, juste pour comparer. La maîtresse des novices lui aura répété que Dieu n’aime pas plus les carmélites que les mères de famille et que l’important, c’est que chacun trouve sa propre route. On lui permettra ensuite de prononcer ses voeux solennels. Ce sont ceux-ci que Louise a prononcés par une chaude journée de l’été dernier : voeux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance à Dieu. Ce jour-là, durant la fête qui a suivi, j’ai entendu une des invitées se désoler de tous les renoncements qu’elle avait accepté de vivre. Oui, cela nous apparaît si étrange de renoncer à l’amour d’un homme ou d’une femme. Étrange aussi de vivre avec si peu, en fait rien qui ne nous appartienne vraiment. Étrange enfin ce voeux d’obéissance à Dieu. Comme si cela voulait dire renoncer à nos opinions et à nos aspirations. Voilà pourquoi nous sommes bouleversés d’assister à de tels voeux solennels.

Et pourtant, comme nous sommes proches de ces carmélites. À la naissance de chacun de mes enfants, ne me suis-je pas engagée jusqu’à la mort auprès d’eux ? Cette maternité n’est-elle pas un engagement que j’approfondis chaque jour en réfléchissant à ce qui est le mieux ? Chaque fois que je me suis levée au milieu de la nuit, n’ai-je pas obéi à un amour plus grand que moi ? En ayant trois enfants, j’ai renoncé à faire la fête chaque soir avec des amis pour la faire avec eux. J’ai aussi choisi d’être moins riche en argent et en biens. J’ai renoncé à posséder des choses qui ne soient qu’à moi. Tous ceux qui ont des enfants savent bien que la vie de famille oblige au partage de tout. Les magnifiques bibelots de porcelaine n’ont pas la vie bien longue avec des petits qui grimpent et grandissent en renversant leur verre de lait quotidien. Tout comme les carmélites, je dois vivre avec d’autres personnes qui ont leurs humeurs, leurs peines et leurs colères. Je dois partager ma vie avec un conjoint qui ne fait pas toujours ce que je veux et qui a ses manières à lui. Pour vivre avec le père de mes enfants, n’ai-je pas renoncé à tous les autres amoureux que j’aurais pu rencontrer ?

Je crois que des renoncements surgissent dans la vie de chacun et chacune, tout simplement parce qu’ils viennent avec nos engagements. Mais peu d’entre nous se préparent aussi bien qu’une carmélite. Les renoncements nous tombent dessus, parfois douloureusement.

L’évêque qui prononçait l’homélie durant la célébration des voeux de Louise a dit tout haut ce que chacun pensait tout bas : « Pourquoi un tel engagement ? De tels renoncements servent à quoi ? » Bonnes questions. Peut-être était-il temps que je me les pose pour moi-même. À quoi ça sert que j’aie des enfants ? Que je vive avec leur père ? Que je me lève tous les matins pour aller travailler ? Que je console mon petit qui pleure ? La réponse me semble aussi vitale que pour une carmélite. La difficile vie de couple ne m’apporte-t-elle pas la joie de partager l’intimité de quelqu’un ? La présence exigeante de mes enfants ne m’a-t-elle pas permis de connaître des fous rires inattendus, l’immense tendresse de l’allaitement et le plaisir tout simple de construire un château de sable ?

Je me sens si proche de mes petites soeurs carmélites. Moi aussi, j’ai des engagements qui en stupéfient certains. Et je renonce à beaucoup de choses qui paraissent si importantes à d’autres. Comme Louise, j’ai cherché une communauté de personnes qui vivent les mêmes choix que moi. Et la joie que j’y trouve me bouleverse.

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