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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

31e Dimanche du temps ordinaire. Année B.

Imprimer Par Noël Quesson

Les deux amours

Commentaire :

Un scribe s’avança vers Jésus et lui demanda…

Quel est le premier de tous les commandements Jésus questionné. Jésus abordé dans la rue. Est-ce que je sais assez questionner Jésus, lui demander son avis sur des choses importantes de ma vie?

Nous avions laissé, dans l’évangile de dimanche dernier, Jésus à Jéricho avec le sympathique aveugle mendiant Bartimée. Depuis, Jésus est entré triomphalement à Jérusalem (Marc 11/1.11). Le lendemain même, nous dit saint Marc, Jésus est entré dans le Temple pour chasser ceux qui le détournaient de son rôle de prière « pour toutes les nations» (Marc 11/12.19). Le surlendemain, Jésus revient à Jérusalem, et dans la « parabole en acte » du figuier desséché, il dit que le « Fils» est venu chercher des fruits et qu’il ne les a pas trouvés : le Temple, comme ce figuier, va être détruit (Marc 11/20.25).Nous sommes donc bien dans les dernières semaines de Jésus. L’affrontement avec les autorités est à son comble. Selon Marc, c’est donc dans le Temple de Jérusalem, en plein public, sur cette vaste esplanade sacrée qui forme une sorte de place publique entourée de colonnades où se réunissent les foules, que Jésus «discute», «est attaqué», «attaque»… Des controverses violentes s’élèvent. Le ton monte entre Jésus et les chefs officiels, qu’il provoque. Les sujets les plus brûlants sont abordés : « Par quelle autorité fais-tu ce que tu fais ? » (Marc 11/27.33). – «Que va faire le maître d’une vigne dont les vignerons sont indignes de leur rôle?» (Marc 12/1.12). – «Faut-il payer l’impôt aux armées d’occupation?» (Marc 12/13.17). – «Quel est le sort des morts dans l’au-delà?» (Marc 12/18.27).

C’est dans ce contexte, qu’un scribe pharisien, ayant apprécié la réponse de Jésus sur la résurrection des morts (les Sadducéens, ses adversaires, venaient de recevoir une bonne leçon !) s’approche de Jésus et le questionne à son tour.

Avons-nous tendance à «enfermer» notre vie religieuse dans le «privé», dans le «cultuel»? Ou bien, comme Jésus, acceptons-nous quelle éclaire tous les problèmes de la vie, de la rue, de la profession, de la politique?

« Quel est le premier de tous les ” commandements ” ? » La passion d’Israël, c’est la Loi, la Thorah. Dans les Yéshivot, « écoles de la foi », on voit des enfants, des jeunes, des adultes, des vieillards, qui passent des heures à «étudier» la Bible et ses Commentaires dans le Talmud. Les scribes du temps de Jésus, les rabbins d’aujourd’hui, sont ces spécialistes à qui l’on vient demander une interprétation, un conseil spirituel, une règle de vie tirée de la Parole de Dieu, la Thorah. Et puis, dans les Yéshivot, on discute, on « partage», comme on dit aujourd’hui. Chaque Sabbat est un long jour de prière et de cercles d’étude, où l’on cherche ensemble, passionnément, une compréhension plus pro- fonde des « commandements » de Dieu, pour essayer d’y être plus méticuleusement fidèle. Jésus a vécu, dans le contexte culturel de son peuple, cette passion pour la Loi. Il la savait par cour. Il l’avait lue et relue, avec d’autres, depuis son adolescence. Il en avait discuté, et rediscuté. Avons-nous, nous les chrétiens, cette même passion du Livre ? Sommes-nous avides de lire l’Écriture ? Quel temps passons-nous, dans une semaine, à «étudier» sérieuse- ment, et à prier, sur la Parole de Dieu? En discutons-nous avec d’autres, pour nous éclairer les uns les autres?

La question posée par le scribe, à Jésus, était une question classique dans les Yéshivot. On avait relevé, dans la Bible, 613 commandements de Dieu : 365 défenses… et 248 commandements positifs… Ne rions pas! La fidélité jusque dans les plus petits détails est une preuve d’amour. Qui aime comprend. Mais les juifs avaient parfaitement le sens, intelligent, de l’importance relative de ces divers commandements. Et ils avaient même trouvé, dans leur Bible, des éléments de réponse. Pour David, la Thorah se résumait en onze prescriptions majeures (Psaume 15). Pour Isaïe, six (Isaie 33/15). Pour Michée, trois (Michée 6/8). Pour Amos, deux (Arnos 5/4). Et pour Habacuq, un seul commandement (Habacuq 2/4). Rabbi Hillel, lui, résumait toute la Loi dans cet unique aphorisme : « Ce que tu n’aimes pas, ne le fais pas à ton prochain. » Rabbi Akiba, presque à l’époque de Jésus, concentrait lui aussi l’essentiel de la Loi dans l’amour du prochain.

Et toi, Rabbi Jésus, qu’en penses-tu? Quel est le premier commandement ?

Jésus fit cette réponse: «Voici le premier: Écoute… Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur… » « Dieu premier servi ! » La priorité, pour Jésus, c’est Dieu ! Et moi? Quelles sont mes priorités. Est-ce que je mets Dieu en premier dans ma vie?

Heureux ceux qui écoutent la Parole éternelle ! «Écoute, Israël!» Voici une source de la spiritualité de Jésus. Il est bien de son peuple, de ce peuple avide de la Parole, de ce peuple qui d’abord «écoute»! de ce peuple qui se laisse instruire par Dieu.

Ce que cite Jésus, c’est le « Shema » Israël (Deutéronome 6/4.5), la prière quotidienne de tout juif fidèle. C’est l’affirmation principale de la foi juive : le monothéisme, qui est devenu depuis l’héritage commun d’Israël, des chrétiens, et des musulmans. Il est d’ailleurs dommage, une fois de plus, que les traducteurs français aient été infidèles et au texte grec de saint Marc, et au texte hébreu. Marc ne dit pas : «Dieu est l’unique Seigneur»… il dit, tout simplement, et avec une force inouïe : « Dieu est un ! ». Les Bibles juives traduisent, quant à elles : « L’Éternel est un ! ». II y a plus qu’une nuance. Le mot «un» possède une plénitude de sens que n’a pas le mot «unique». Sentez-vous cette différence ? Dieu est «un»! Il n’y a rien d’autre que Lui ! Le reste n’existe que par Lui ! Et II est parfaitement « unifié », il possède son Être… alors que, pour nous, notre être «s’écoule», nous fond dans les mains. L’Éternel… est… un!

Telle est, d’abord, la réponse de Jésus, quand on lui 280 Parole de Dieu pour chaque dimanche demande ce qui est important pour lui. Dans sa bouche, l’ancienne Loi prend une vie nouvelle ! Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cour, de toute ton âme, de tout ton esprit, et de toute ta force…

Ce grand Dieu! Ce n’est pas si spontanément que cela qu’on penserait à l’aimer. Le Dieu de la philosophie et des autres religions appelle plutôt l’adoration, l’effroi sacré, l’obéissance. Pour Israël, comme pour Jésus, ce que Dieu attend c’est «l’amour»! L’originalité de la Bible, c’est de faire de l’homme le «partenaire amoureux d’une alliance d’amour» : c’est Dieu qui lui en a donné la capacité, en «le faisant semblable à Lui », qui est Amour ! (l Jean 4/8). Est-ce que j’aime Dieu? N’allons pas trop vite répondre oui. Soyons modestes quand nous jugeons parfois les autres. Que fais-tu pour « celui que tu aimes » ? si c’est vrai que tu l’aimes. Est-ce bien vrai que tu aimes Dieu « de tout ton cour, de toute ton âme, de tout ton esprit, de toute ta force.» Cette accumulation de répétitions veut évidemment exprimer l’intensité et la totalité de cet amour qui doit mobiliser et investir toutes nos facultés, et toutes nos énergies vitales.

Seigneur, fais que ton amour me brûle de la tête aux pieds, de l’esprit jusqu’au corps, du matin au soir, de l’enfance à la vieillesse, de ma vie la plus intime jusqu’à mes responsabilités les plus collectives.

Voici le second… On reconnaît bien Jésus, là ! Le scribe ne demandait qu’un commandement. Sans que son interlocuteur le lui ait demandé, Jésus, selon son habitude…, va plus loin.

N’oublions pas ce que nous venons d’entendre de Jésus. Ce qu’il va dire maintenant est important… mais vient «en seconde position » : Dieu devant !

Tu aimeras ton prochain comme toi-même… Il faut tenir à ces « deux » commandements distincts. On a eu trop tendance à les fusionner, comme si «aimer Dieu» pouvait suffire… comme si «aimer le prochain» pouvait suffire… Le «second» commandement ne remplace pas le «premier». C’est se moquer de Jésus que de le séculariser, d’en faire un prédicateur social, un moralisateur de la fraternité : bien d’autres orants hommes ont dit cela. II n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là !

Voici une pensée d’une extrême finesse. Remarquez le singulier : « commandement » au singulier, comme s’il n’y en avait qu’un ! Mais « ceux-là » au pluriel, car ils sont deux de même importance!

Le scribe reprit: «Fort bien, Maître, tu as raison… Aimer l’Unique… aimer son prochain vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices. Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse, lui dit : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. » Le «Royaume de Dieu», longuement préparé par les siècles de l’histoire, de la culture et de la piété d’Israël… est maintenant arrivé : c’est Jésus en personne. Le scribe d’Israël va-t-il faire ce dernier pas ? Dans quelques jours, il suffira que Jésus rajoute deux mots («comme moi») pour donner aux commandements de l’amour toute leur dimension du Royaume ancien et nouveau : « aimez comme j’ai aimé ! » (Jean 15/12). Dans le cour de Jésus, il y a deux amours: le second découle du premier.

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