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Billet hebdomadaire

À toi qui te trouves derrière les barreaux d’une prison…

Imprimer Par Denis Gagnon, o.p.

Tu ne me connais pas. Je ne sais pas ton nom. Es-tu costaud ou maigrichon? Le regard triste ou l’oeil rieur? Es-tu de Bordeaux ou de Donnacona? Où es-tu? Je ne sais pas. Tu es mon anonyme, mon sans nom, mais il doit bien y avoir quelqu’un quelque part qui parle de toi avec un brin d’émotion dans la voix. Tu es mon sans visage, mais j’espère que quelqu’un quelque part a porté sur toi un regard ami, une attention. Tu es mon sans parole, et pourtant tu dois bien prononcer des mots qui viennent du coeur et des cris à corps perdu. Peut-être es-tu poète ou savant? Je ne sais pas et ne saurai sans doute jamais.

Quelque chose nous sépare toi et moi. De ton côté: des barreaux, une porte de fer, des lois strictes, des mouvements restreints, des surveillants… De mon côté, j’habite ailleurs que dans ce faux château où tu es enfermé. Officiellement, je suis libre. Je peux aller où bon me semble. Agir comme je veux. On me fait confiance. On me salue poliment. On me respecte.

Nous vivons dans des conditions bien différentes, toi et moi. Et pourtant il se peut que nous nous ressemblions comme des jumeaux. Peut-être venons-nous d’un milieu semblable, avec des parents qui partageaient les mêmes valeurs, dans un contexte identique. Il se peut qu’au fond de nous-mêmes, nous ayons les mêmes aspirations, que nous partagions les mêmes goûts, que nous recherchions le même idéal.

Comment se fait-il que nos itinéraires aient bifurqué à ce point? Comment se fait-il que nous vivions si loin l’un de l’autre? Pourquoi nos destins sont-ils devenus si différents? Je ne sais pas. Peut-être aussi que tu ne sais pas toi-même. Est-ce question de chance? Avons-nous vraiment choisi tout ce que avons vécu, tout ce que nous avons dit, tout ce que nous avons fait? Avons-nous toujours agi en connaissance de cause?

Spontanément, le croyant que je suis est porté à remercier Dieu de son heureuse situation. Mais ne serait-ce pas affirmer du même coup que le Tout-Puissant s’est acharné sur toi et t’a bousillé la vie? Si Dieu est responsable de mon bonheur, alors faudrait-il que j’en conclut qu’il t’a conduit là où tu te trouves. Il me semble qu’une telle conclusion est blasphématoire. J’aime mieux penser qu’un concours de circonstances a fabriqué mon bonheur comme d’autres circonstances t’ont conduit au malheur. Que nous y sommes pour quelque chose, bien sûr, mais qu’un certain nombre de facteurs nous échappent.

Je ne veux pas enlever à Dieu la part de nos vies qui lui revient, mais je ne voudrais pas non plus lui attribuer ce qui nous revient et ce qui revient à chacune de nos histoires. Dieu est puissant, tout puissant même. Mais Dieu ne s’immisce pas dans nos responsabilités. Dieu ne prend pas notre place. Dieu ne manipule pas non plus les séquences qui composent notre existence.

Peut-être souhaiterions-nous que Dieu ait le contrôle sur tout. Les prisons n’existeraient pas. Le bien trônerait en permanence sur toutes les scènes du monde. Tout marcherait dans l’harmonie. Mais nous serions privés du plus beau cadeau que Dieu nous ait fait: la liberté. Celle que nous goûtons, si petite qu’elle soit. Mais surtout, celle que nous rêvons, celle que nous inventons jour après jour. Nous continuons de croire au soleil quand les nuages nous écrasent parce que nous portons au fond de nous-mêmes une parcelle de liberté qui veut s’épanouir. La crier ou la murmurer, peu importe le ton que nous choisissons. L’essentiel, c’est de ne pas oublier la mélodie et de chanter pour garder la cadence sur la route de la vie.

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