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Une maison à l’entrée d’une vie

Imprimer Par Denis Gagnon, o.p.

Nous venons de nous acheter une maison, m’annonce Frédéric!

– Nous avions pensé nous marier, d’ajouter Nadine, mais ça viendra plus tard. Nous ne pouvons pas faire deux grosses dépenses en même temps!

Je ne pus m’empêcher de sourire intérieurement. Quand j’avais leur âge, le mariage précédait l’achat de la maison! Je me suis demandé ce que leur maison allait apporter à leur amour… à leur projet de couple, à leur bonheur.

Frédéric et Nadine ont acheté une maison d’une cinquantaine d’années, juchée sur une colline à l’entrée d’un village du Québec. À trente minutes d’une grande ville. L’endroit idéal: la campagne avec ses grands espaces de nature, ses odeurs, la musique des oiseaux, et pas loin la ville pour les activités culturelles, les magasins et les services de tous ordres. Autour de la maison, beaucoup de fleurs, comme des grands bras qui l’embrassent affectueusement.

Je suis allé rendre visite aux nouveaux propriétaires. Ils me guidèrent d’une pièce à l’autre comme on visite un musée plein de trésors inestimables. Qu’allaient donc devenir Frédéric et Nadine dans ce château qui n’était plus un rêve, mais une lumineuse réalité?

Nous avons commencé la visite dans la cuisine. D’abord dans la cuisine. Les vieilles maisons cinquantenaires chérissent la cuisine plus que toutes les autres pièces. Une grande cuisine: à l’époque, la femme au foyer y passait la majeure partie de son temps. Et les enfants, en revenant de l’école, y piaillaient à qui mieux mieux. Nadine et Frédéric ne passeront pas des journées entières dans cet espace sacré. Ils travaillent tous les deux à l’extérieur. Mais ils aiment manger. Et j’imagine Frédéric en train d’essayer une recette ou de transformer un panier de fraises en confiture! J’imagine Nadine glacer un gâteau pour l’anniversaire de son copain. Les voyez-vous célébrer jour après jour les rites quotidiens de la table? Les voyez-vous se conter leur journée de travail en mangeant un potage aux poireaux, ou s’inquiéter pour le petit Charles arrivé à l’automne de l’an dernier? Ou simplement laisser le silence leur révéler le doux bonheur d’être ensemble?

À côté de la cuisine, une autre pièce plus solennelle, plus endimanché: le salon. Autrefois, le salon était réservé pour y accueillir la visite. On y exposait les plus belles choses de la maison: une lampe sur pied, un beau tableau, un vase en terre cuite… Les plantes s’y épanouissaient dans le calme des jours de semaine et la lumière qui rentrait par les grandes fenêtres. Nadine et Frédéric vont plus souvent au salon que leurs devanciers. La télé leur apporte le monde chaque soir. Le vidéo fera oublier la partie de golf annulée à cause de la pluie. Des romans et des magazines traînent sur la table à café. Le salon est devenu un lieu de détente. Pour se blottir dans les bras l’un de l’autre. Pour s’émouvoir en regardant Charles ramper sur le tapis. De temps à autre, des amis envahissent l’espace. Ça discute, ça rit, ça taquine, ça… mettez tous les verbes qui expriment la bonne compagnie, le plaisir de se retrouver entre bons copains.

À l’autre bout, à l’est, la chambre de Charles. C’est probablement la pièce la plus sacrée de la maison! Ou du moins, elle a été aménagée avec autant de ferveur qu’un prêtre peut en déployer quand il construit son église. Tout est précieux dans ce sanctuaire, même l’image de Caillou découpée dans le dernier numéro de Châtelaine. Sur les murs, la couleur du papier peint a été choisie pour suggérer les rêves les plus enchanteurs. Les rideaux de la fenêtre font sourire le petit quand ils dansent sous la brise légère de l’été. Le mobile trône au-dessus du lit. Comme une vraie lampe du sanctuaire, il annonce une présence, une présence réelle, sur cet «autel» où gazouille le plus bel ange de la terre. Dans ce lieu, le coeur s’attendrit, l’innocence est bénie, le ravissement vous surprend. Laissez-vous charmer par celui qui y règne dans toute sa faiblesse, plus puissante que toutes les puissances.

À cet étage, il reste la chambre des maîtres. Je suis toujours mal à l’aise quand on me fait visiter la chambre d’un couple. Nous sommes là dans le lieu le plus intime d’un homme et d’une femme. J’ai toujours peur de deviner ce que je ne devrais pas savoir. Comme une sorte de secret aussi inviolable qu’un secret de confession. C’est là que se nouent deux êtres qui s’aiment. C’est là que l’amour devient communion. C’est là que l’union des coeurs, des esprits et des corps devient aussi enivrant que les plus profondes expériences mystiques. Laisse ce lieu à celui et celle qui l’habitent. Respecte leur mystère. Ici se rencontrent les joies les plus pures, les déclarations les plus tendres, les audaces les plus courageuses, les blessures les plus souffrantes. Ici se nouent amour et vérité, justice et paix. Ici sont attendus et reçus les pardons les plus difficiles et, en même temps, les plus enrichissants.

Après une brève visite à l’étage du haut encore inoccupé, nous avons terminé le tour des propriétaires avec un café autour de la table de la cuisine. En visitant le château de Nadine et de Frédéric, j’ai découvert qu’une maison peut construire une vie d’amoureux. Ou du moins, elle peut participer à son édification. Chaque pièce, comme un habile artisan, peut sculpter l’amour et en faire une oeuvre d’art. Paroles et silences, présences et absences, dans ce lieu, peuvent tisser un couple et guider leur aventure avec autant de dextérité que les meilleurs conseillers conjugaux.

À toutes les Nadine et à tous les Frédéric, je dis: écoutez votre maison, laissez-la vous instruire. Elle guidera votre voyage amoureux. Elle vous transformera en foyer en entretenant le feu qui vous taraude le coeur depuis que vous êtes ensemble. Laissez la maison prendre place dans le royaume annoncé par le Christ, lui qui a donné aux maisons un statut très respectable quand il a dit à propos du royaume: «Tout homme qui écoute ce que je vous dis là et le met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a bâti sa maison sur le roc.» (Matthieu 7, 24)

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