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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

3e Dimanche de Pâques. Année A.

Imprimer Par Jacques Sylvestre, o.p.

Sur le chemin du retour

Et voici que ce même jour, deux d’entre eux faisaient route vers un village du nom d’Emmaüs, à soixante stades de Jérusalem, et ils s’entretenaient de tout ce qui s’était passé. Or tandis qu’ils devisaient et discutaient ensemble, Jésus en personne s’approcha et fit route avec ceux ; mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Il leur dit : Quels sont donc ces propos que vous échangiez en marchant ? Ils s’arrêtèrent, le visage morne. L’un d’eux, nommé Cléophas, lui répondit : Tu es bien le seul habitant de Jérusalem à ignorer ce qui s’est passé ces jours-ci ! – Quoi donc ? leur dit-il. Ils lui répondirent : Ce qui est advenu à Jésus le Nazaréen, qui s’était montré un prophète puissant en ouvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple. Comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et crucifié. Nous espérions, nous, que c’était lui qui délivrerait Israël ; mais avec tout cela, voilà deux jours que ces choses se sont passées ! Quelques femmes qui sont des nôtres nous ont, il est vrai, bouleversés. S’étant rendues de grand matin au tombeau, et n’y ayant pas trouvé son corps, elles sont revenues nous dire que des anges même leur étaient apparus, qui le déclarent vivant. Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau et ont trouvé les choses comme les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu ! Alors Jésus leur dit : Esprits sans intelligence, lents à croire tout ce qu’ont annoncé les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait. Quand ils furent près du village où ils se rendaient, il fit semblant d’aller plus loin. Mais ils le pressèrent en disant : Reste avec nous, car le soir tombe et le jour déjà touche à son terme. Il entra donc pour rester avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent. Mais il avait disparu de devant eux. Ils se dirent l’un à l’autre : Notre cour n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous expliquait les Écritures ? Sur l’heure, ils partirent et revinrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons, qui leur dirent : C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon ! Et eux de raconter ce qui s’était passé en chemin, et comment ils l’avaient reconnu à la fraction du pain.

Commentaire :

Il serait risqué de profiter de ce récit des Disciples d’Emmaüs pour tenter quelques réflexions pleines d’émotions, de fraîcheur et de charme. Dans la lecture des évangiles, ce qu’il importe avant tout d’apprécier ce sont l’authenticité et la vérité du récit.

AUTHENTICITÉ

Cet ensemble de Luc (24 : 1-48) comprend trois récits concernant le tombeau vide, les apparitions sur le chemin d’Emmaüs et au cénacle. Et en chacun, nous pouvons distinguer trois thèmes : le signe, l’apparition et l’explication des Écritures. Cependant la comparaison entre ce récit et le résumé de Marc ( 16 : 13) fait problème. L’évangéliste Marc écrit que on ne les crut pas non plus, comme on avait douté de la parole des femmes. (16 : 10). En Luc, au contraire, les routiers d’Emmaüs n’ont même pas raconté leur expérience que les onze croient déjà en la résurrection (Lc. 24:33). Lorsque Jésus leur était apparu, ils ne voulurent pas croire et furent l’objet de reproches de la part de Jésus. Qui croire ? Il y a plus encore : Selon le Livre des Actes des Apôtres, l’Ascension de Jésus aurait eu lieu quarante jours après la résurrection (1 : 3), alors que selon saint Luc, elle se serait produite aurait le premier jour de la semaine, le soir de Pâques (24 : 51). Et dans le texte que nous lisons, certains détails du récit embarrassent : Au v.28, Jésus a-t-il véritablement fait semblant d’aller plus loin et comment pouvait-il loyalement faire semblant ? L’invitation du verset 29 est-elle à prendre au sens strict ou ne serait-elle qu’une citation de politesse orientale. Enfin le verset 30 ne présente-t-il pas une évidence trop apparente avec le récit de la multiplication des pains et celui de la Cène (Mat.14 : 19 et 26 : 26) ; Luc aurait-il simplement voulu établir un lien entre ces trois événements ? Jésus a-t-il pris un simple repas ou célébré l’eucharistie ? Cette dernière hypothèse pourrait être difficile à justifier.

Pour saisir tout le message du récit de Luc, il importe avant toute discussion de s’extasier devant le talent de conteur de l’évangéliste, ce qui pourrait laisser croire que nombre de détails ne sont qu’ornements littéraires du récit. Ne serait-il pas plus dans l’ordre des choses de croire que nous ayons affaire à une affirmation de foi courante dans la communauté primitive ? Il est important de distinguer entre ce qui constitue le noyau historique des faits et la prise de conscience par l’église des premiers siècles concernant les vérités signifiées par ces mêmes faits. Et le grand fait pour Luc est que le Christ est ressuscité. Tout le reste est témoignage de cette résurrection et les apparitions constituent la base de cette réalité centrale bien appuyée.

VÉRITÉ

Prenons donc le récit de Luc pour ce que l’évangéliste a vraiment désiré faire : prouver la résurrection du Christ, peut-être ! mais davantage encore démontrer comment chacun de nous peut faire l’expérience de cette résurrection dans sa vie personnelle, voire même son quotidien.

Un étranger se joint aux disciples sur le chemin du retour à la maison. Tout espoir est anéanti, et la vie, momentanément transfigurée puis défigurée, doit reprendre son cours normal. Loin d’abonder dans leur déception, ou de tenter quelque consolation, l’Inconnu va reprendre les Écritures et leur en expliquer le sens. Après quoi, il prolongera son séjour pour refaire le geste de l’eucharistie. Mais c’est la réflexion des disciples qui doit avant tout nous retenir : Ne sentions-nous pas nos cours brûler alors qu’il nous parlait ? Le mot de Pierre nous revient ici : Nous tenons plus ferme la parole prophétique : vous faites bien de la regarder comme une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à poindre et que l’astre du matin se lève dans vos cours. Et il ajoute : Sachez-le : aucune parole d’Écriture n’est objet d’explication personnelle. Ce n’est pas d’une volonté humaine qu’est jamais venue une prophétie, c’est poussés par l’Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu. (2 Pi. 1 : 19-21) Cette partie du récit de Luc nous projette en pleine célébration liturgique des débuts de l’Église : Ils se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. Ac. 2 :42)

Par la suite, l’invitation des deux disciples sur la route d’Emmaüs est pleine de délicatesse quoique d’une politesse tout orientale : Reste avec nous, car le soir tombe et le jour déjà touche à son terme. (Lc. 24 : 29) Lequel d’entre nous pourrait demeurer indifférent à pareille invitation et ne pas la faire sienne? Le soir tombe, le jour déjà touche à son terme. Serait-il un tant soit peu superflu de ne point profiter de la fin du jour pour éclairer ces longues heures de travail, d’inquiétudes, de problèmes insolubles ou d’un affreux vide pour ne pas prendre un moment pour ouvrir le Livre, cette lampe qui brille dans un lieu obscur jusqu’à ce que le jour commence à poindre et que l’astre du matin se lève dans nos cours.

Une fois à table avec eux, Jésus prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. (v.30) Luc a certes rappelé intentionnellement tant le souvenir de la multiplication des pains que de la Cène. Ce partage du pain était d’usage dans les repas de l’Église primitive (Ac.2.42) ; Paul dans sa lettre aux Corinthiens en atteste l’importance (1 Co. 10.16-17). Historique ou non, cet élément du récit de Luc prend ici toute son importance. Si l’assemblée liturgique peut être et doit demeurer le lieu par excellence de la compréhension des Écritures, l’Eucharistie en constitue le sceau, l’authentification. Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent.

Nous venons donc de lire la Bonne Nouvelle, le repas d’Emmaüs, telle que racontée par saint Luc à des hommes sur le chemin du désengagement, alors qu’ils s’étaient pourtant déjà engagés à la suite du Christ. L’expérience de la résurrection permise par la lecture des Écritures et la fraction pain, leur donnera la grâce de reprendre la route et de suivre le Christ ressuscité.

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