Avez-vous vu le film Nuit de noces du réalisateur québécois Émile Gaudreault? C’est le récit d’un couple qui gagne un voyage aux Chutes Niagara, y compris la célébration de son mariage et la noce qui suit, toutes dépenses payées pour les deux amoureux et leurs proches. C’est drôle, drôle à mourir!
Et sérieux, très très sérieux! Du moins pour l’essentiel, c’est-à-dire la relation entre les deux tourtereaux. Ils ont beaucoup de difficulté à se rejoindre. La famille s’impose. Elle intervient dans le décor à tort et à travers. Elle brouille les cartes. Manipulations, intérêts égoïstes, superficialité, irrespect, banalisation, tout y passe et donne l’impression d’une comédie loufoque et légère. Une sorte de dérision de l’amour conjugal et du mariage!
C’est moins comique pour le couple. Leur vie est en jeu. Tour à tour, ils se rapprochent et prennent leurs distances. Ils se cherchent et se fuient. Profondément, ils n’aiment pas de la même manière. Elle désire un homme qui vienne remplir son existence. Elle le veut à ses côtés pour combler son vide intérieur. Lui se tient à l’opposé. Il finit par avouer: Je n’ai pas besoin de toi! Vous comprenez qu’un tel aveu fait éclater une bombe. Finalement, au bout de mille péripéties, le fiancé arrive à s’expliquer: Je cite de mémoire: Je n’ai pas besoin de toi! Je ne veux pas que tu aies besoin de moi! Aimons-nous sans avoir besoin l’un de l’autre.
Dans tout le film, cette réplique est peut-être la seule qui soit sérieuse. Et elle est de taille. Elle proclame que les êtres ne s’aiment pleinement que s’ils parviennent à ne pas utiliser l’autre comme une réponse à leurs besoins. Ils ne s’aiment pas pour combler un vide. Ils ne s’aiment pas pour régler leur problème de solitude. L’autre est reçu en toute gratuité, sans recherche d’intérêt personnel.
L’autre est inutile et essentiel tout à la fois. Je n’ai pas besoin de toi. Mais tu es là, et je veux que tu sois là… pour rien. Sans utilité, sans être un moyen ou un remède pour quoi que ce soit qui me manque ou me rend malade. Tu habites ma vie et j’y tiens plus que tout. Tu es entièrement cadeau, don, gratuité, grâce. S’il nous arrive de servir mutuellement nos intérêts, tant mieux! Mais notre amour ne s’enferme pas dans notre soutien mutuel. Il est au-delà.
Bien sûr, un tel amour est un sommet qu’on ne parvient pas à atteindre totalement. Mais comme tous les sommets inaccessibles, on y tend. Et cette tension est vitale.
George Dor chantait naguère: Ce n’est pas quand je dis: je t’aime, que je t’aime, c’est bien plus loin, c’est bien plus fort… L’amour, le véritable amour, dépasse toujours le peu que nous en devinons. Il déborde la page que nous écrivons ensemble tout au long de notre vie à deux. Chaque mot que nous traçons dans la lettre d’amour que nous nous échangeons d’un jour à l’autre enchâsse comme un écrin une part du mystère que nous sommes en train de réveiller en nous-mêmes et entre nous. Voyage intérieur qui construit d’autant plus qu’il est pure gratuité.
Drôle de paradoxe que l’amour. Il nous est essentiel dans la mesure où nous n’en avons pas besoin.