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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

16e Dimanche du temps ordinaire. Année C.

Imprimer Par Jacques Sylvestre, o.p.

Pourquoi ?

En cours de route, Jésus entra dans un village. Une femme, du nom de Marthe, le reçut chez elle. Celle-ci avait une sour, appelée Marie, qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Marthe, elle, était absorbée par les multiples soins du service. Intervenant, elle dit : «Seigneur, cela ne te fait rien que ma sour me laisse ainsi servir toute seule ? Dis-lui donc de m’aider.» Mais le Seigneur lui répondit : «Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et t’agites pour beaucoup de choses. C’est Marie qui a choisi la meilleure part ; elle ne lui sera pas enlevée.»

Commentaire :

Leçon de simplicité et de frugalité, attitudes diverses d’accueil ; opposition entre action et contemplation, une Église d’aujourd’hui en pleine activité et une Église de demain à l’écoute de la Parole, deux stades successifs ou divers de l’Église ?

Que pense Luc de Marthe et Marie ? Nul n’ignore le respect, l’admiration et la dévotion que l’évangéliste pouvait avoir pour la femme. Il est bien le seul à lui accorder une place d’importance dans l’Évangile : l’entourage féminin de Jésus (8:1+), guérison de la belle-mère de Pierre (4:38), la pécheresse aimante chez Simon (7:36+), la guérison de la femme courbée (13:10+), paraboles du levain (13:20+) et de la drachme perdue (15:8+), la veuve importune (18:1+) et son l’obole (21:1+), les filles de Jérusalem (23:28+) et les femmes au tombeau (23:55 et 24:1+)

Dans ce passage de l’évangile de Marthe et Marie, la tentation est grande de penser que Luc s’adressait à l’auditoire habituel : des femmes. Sans elles, Paul n’aurait pu fonder l’église de Philippe (Ac.16:13) et Luc devait en compter un grand nombre parmi ses premiers disciples. Aujourd’hui encore, que deviendraient la religion et l’Église, sans l’apport et la présence féminine, même si nous mesurons leur influence au centimètre et leur disputons jalousement le pouvoir ? Pour combien de temps encore ?

Ce passage concernant Marthe et Marie s’intègre à un contexte évangélique. Dans la section principale de son livre, «La montée à Jérusalem» (9:51-19 :28), l’évangéliste Luc a ramassé dans une seule section, après le «Discours de mission», quelques enseignements concernant les exigences de la condition de disciple : loi de la charité (10:25-37), protocole d’accueil (10:38-42) et réflexions sur la prière (11:1-13).

Ce récit touchant Marthe et Marie, si court soit-il, revêt une certaine importance pour l’initiation de la jeune communauté chrétienne. L’épisode ne cherche pas sûrement pas à décrire de quelle manière accueillir Jésus. L’attitude de Marie en présence du Seigneur est celle de l’écoute, celle du disciple. Par contre, Marthe s’affaire aux tâches que nécessite l’accueil d’un hôte. Elle met tout son coeur à faire au Seigneur une réception digne de lui. Mais, l’inaction et la non participation de sa sour l’agacent au plus haut point.. Elle voudrait bien que Jésus partage son ressentiment : «Seigneur, cela ne te fait rien que ma sour.» Luc veut-il vraiment souligner ici la priorité de l’écoute de la Parole du Seigneur sur les soucis matériels, ou comme nous nous sommes habitués à entendre, la supériorité de la vie contemplative sur la vie active ? N’oublions pas l’éloge de la femme parfaite tel que consigné dans le Livre de Proverbes (31), l’importance des tâches domestiques.

Certes, le Christ ne manque pas de rendre hommage à Marie : elle a choisi la meilleure part. Mais veut-il pour autant blâmer Marthe pour son dévouement, voire même son désintéressement personnel ? L’évangéliste aurait sans doute trouvé mauvaise grâce aux oreilles de son auditoire féminin, «femmes de maison». Il ne sera assurément pas déplacé de concentrer notre attention sur l’accueil, comme étant le mot-clé de la leçon, sans préjudice d’une forme ou d’une autre d’accueil. Relisons ici l’accueil inoubliable d’Abraham au chêne de Membré, texte de la première lecture. Abraham est récompensé pour son hospitalité, alors que Marthe, qui fait tout pour bien recevoir Jésus, se voit assez vertement tancée. N’en méritait-elle pas autant que l’ancêtre? Y auraient-ils deux poids, deux mesures ?

L’opposition ne se situe au niveau des comportements et attitudes. Abraham s’est donné tout entier à l’accueil de ses hôtes ; Marthe également, mais Marthe se regarde servir. Pour Abraham, l’accueil au chêne de Membré était d’un esprit généreux, pur et simple, sans considération de son dévouement ; pour Marthe, le service de Jésus devenait l’occasion d’un retour sur soi, d’une prise de conscience de sa générosité. Un vieillard, raconte-t-on, ruminait à la vieille religieuse qui le soignait : «Ma sour, quand cesserez-vous de vous servir de moi comme d’un escabeau pour le ciel ?» Le miroir dans lequel nous ne cessons de contempler avec complaisance nos services de tous ordres est à toutes les portes du bénévolat. Nous sommes des Narcisses de notre amour, constamment penchés sur le puits de l’appréciation personnelle où nous nous reflétons.

Aimer d’une manière tellement pure, sans retour sur soi ou valorisation personnelle, aimer gratuitement, telle est la leçon de Luc à ses premiers chrétiens . Si le Christ ne peut supporter le jugement de Marthe sur sa sour, il ne veut être davantage perçu comme celui qui accapare Marie. Dieu est celui qui donne gratuitement sans contempler le don qu’il fait, pas plus qu’il ne sait retenir le souvenir de nos péchés. Ainsi devons-nous aimer, accueillir.

Peut-on souhaiter de conclusion plus opportune à la parabole du bon Samaritain. A l’universalité de l’amour, joignons la parfaite gratuité. Luc a fait ouvre de maître en plaçant l’épisode en cet endroit.

En amour, il ne doit jamais y avoir de « Pourquoi ».

Parole et vie

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