Ainsi va le texte hébreu du livre de la sagesse de Jésus Ben Sira (6 35), mieux connu dans les Bibles catholiques sous le titre de Livre Ecclésiastique. Ce conseil, cette invitation, même, fait partie d’une magnifique exhortation à rechercher la sagesse. On ne saurait trouver dans la Bible de pages plus proches de la quête spirituelle contemporaine que ces encouragements à s’engager dans la voie de la recherche de la sagesse (voir Sira 4 11-19 ; 6 18-37 ; 14 20-27 ; Proverbes 2 ; 3 ; 7 1-5 ; 8). La quête spirituelle est souvent comparée à la faim et à la soif. Mais parce qu’elle est de l’ordre du désir et non du besoin, elle se nourrit de son insatisfaction. Elle ne cherche surtout pas à consommer avec frénésie dans le but de s’éteindre. La Sagesse biblique dit au contraire : « Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif » (Sira 24 21). Il faut être vigilant, dans sa quête spirituelle, pour ne pas que les objets qui la soutiennent ne l’arrêtent. Un interprète juif, parlant de la lecture de la Bible, l’exprime fort bien : « Lire, c’est interpréter, c’est ressusciter le texte. Cela, disent les rabbins, dépend de la qualité de ton souffle. Il y a des souffles qui transforment le texte en incendie ; il y a des souffles qui ne produisent que de petites flammes ; il y a des souffles qui savent transformer le texte en buisson ardent mais qui savent en même temps, par le feu qu’ils ont produit, ne pas consumer le texte qui reste porteur de feu : le buisson brûlait mais ne se consumait pas » (Armand Abecassis référant à Exode 3 1-6).
Prends plaisir à entendre parler de tout : ce « tout » ne renvoie pas à la quantité, mais à la diversité. La sagesse ne réside pas dans la consommation des savoirs, l’accumulation des connaissances, la multiplication des expériences intérieures. Il arrive que certains s’égarent dans le supermarché du spirituel et cherchent à emplir leur âme sans discernement et avec avidité. Prendre plaisir à entendre parler de tout, c’est plutôt conserver une âme curieuse, qui ne se laisse pas enfermer dans ce qu’elle sait, et qui est capable de s’exposer à la différence et à l’altérité. D’apprécier davantage ce qui est relatif que ce qui est absolu.
On pourrait paraphraser : Prends plaisir à entendre plusieurs points de vue, à considérer plusieurs aspects, à découvrir plusieurs dimensions. À te laisser dépayser, à te laisser surprendre. À aller ailleurs. À t’éloigner de ce qui t’est trop familier.
Dans les pays nordiques où l’hiver est rigoureux, la période estivale est une période privilégiée pour s’exposer ainsi aux rencontres et à la différence, par les nombreuses manifestations internationales qui s’y déroulent comme par l’expérience du voyage et du tourisme. Entrer dans l’été avec cette soif et cette ouverture, ne serait-ce pas se donner la chance de se resituer en état d’apprentissage, qui est l’état du disciple, et qui est peut-être une manière redevenir comme un enfant, avide d’entendre parler de tout ?