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Témoins du Christ

Dramane Coulibaly : Le chemin d’un chrétien africain

Imprimer Par Raymond Deniel

Entrevue par Raymond Deniel

Dramane – (Abd ar-Rahmân : Serviteur du Miséricordieux) – a reçu le prénom de Daniel quand il est entré dans le christianisme. Il est de l’ethnie senufo, une grande ethnie du nord ivoirien réputée récemment encore pour la vigueur de ses structures traditionnelles. Il fait partie d’une équipe d’animation rurale, qui vise à faire en sorte que le paysan soit responsable de son propre devenir. Il enseigne la catéchèse le dimanche et habite Korhogo, capitale du Nord.

Il y a beaucoup de répétitions dans ce texte. Si je les ai respectées, c’est qu’elles manifestent combien la quête spirituelle de Dramane a été difficile et tâtonnante. En novembre 1979 il m’écrivait : « On peut se vanter après avoir gagné une bataille, mais quand un chrétien peut-il se dire qu’il a gagné la bataille ? »

Dramane Coulibaly. – J’ai une femme et trois enfants. Je suis né vers 1949 et je suis baptisé depuis 1974, donc je ne suis pas un chrétien d’expérience extraordinaire : je viens de commencer ma vie chrétienne, j’ai suivi trois ans de catéchuménat. Quand j’ai atteint l’âge de quinze ans, j’ai eu l’idée qu’il me fallait choisir ma religion et il me fallait chercher entre les deux relisons, l’islam – la religion de mes parents – et le christianisme, laquelle je préférais.

« J’ai vu un petit livre »

J’ai été conseillé par mes parents de suivre la religion musulmane. Ensuite, j’ai travaillé chez des Soeurs à Ferkes- sédougou. Un jour, en me promenant dans la cour. j’ai vu un petit livre de saint Jean. A ma grande surprise, je vois qu’il parle de Jésus-Christ. Avant, j’entendais parler de la religion chrétienne, mais je ne savais pas si c’était différent de la religion de Mahomet, si le Christ et Mahomet étaient différents. Dans ce livre, j’ai vu qu’on parlait de Jésus qui a souffert pour les hommes et qui est venu sauver tous les hommes.

J’ai demandé des renseignements à la Soeur. Je lui ai dit que j’avais ramassé un vieux livre et que Jésus est venu sauver les hommes, qu’il est mort pour eux. Je lui ai demandé s’il avait vraiment vécu sur terre ou si c’était une histoire. Elle m’a dit que oui Jésus a vécu et qu’on pouvait voir sa tombe.

Je n’ai pas cherché à approfondir la question. Je me suis dit : « Ce n’est pas la peine, puisque je ne suis pas chrétien et que je ne veux pas le devenir. » Je m’attirais plus vers la religion musulmane, je demandais des renseignements aux karamoko, qui me pariaient des débuts de l’islam. Mais j’ai continué à lire le petit livre : vraiment la vie de Jésus, la manière dont il a vécu sur la terre, m’a beaucoup impressionné. Souvent même, Dieu je ne l’appelais plus Dieu, je l’appelais Seigneur, sans toutefois comprendre ce que ça veut dire.

Raymond Deniel. – Ça se passait toujours à Ferké ?

Un ami chrétien, Michel.

D. C.- Oui, j’ai passé deux ans là-bas. Après, j’ai été admis sur concours à la SATMACI et on m’a affecté à Kohotiéri, dans la région de Korhogo. Michel faisait le catéchisme et j’ai eu le courage de lui demander plus profondément ce que c’était la religion chrétienne. Il m’a dit : « Si tu veux vraiment avoir des éclaircissements, quand le Père va venir on va parler ensem- ble. » Le Père est venu et j’ai dit : « Mon Père, est-ce que vous pouvez m’expliquer un peu la religion chrétienne ? » II dit: « Les chrétiens sont des gens qui croient en Jésus. C’est le Fils de Dieu, qui est venu souffrir pour tout le monde. » J’ai dit : « Oui ! j’ai lu dans un petit livre où on parle de ça, mais est-ce que vraiment il a vécu ? » II me dit oui et me parle brièvement de la vie de Jésus. Il m’a demandé ce qui me pousse à demander cela. Je lui ai dit qu’en lisant le livre, j’ai trouvé que Jésus c’est quand même impressionnant : quelqu’un qui se donne pour ses frères… Il dit : « Qu’est-ce que tu as vu dans la famille chrétienne qui t’a intéressé le plus ? » Je lui dis que je n’avais pas eu l’occasion de vivre avec des chrétiens longtemps, mais. .. « Je ne peux pas exprimer ce que j’ai vu, mais le livre que j’ai lu m’a beaucoup impressionné : la manière dont Jésus a sauvé les gens ; en lisant les miracles surtout, j’ai vu que c’est un homme de Dieu. »

Je n’ai pas pu dire plus sur la famille chrétienne : je ne vais pas auprès d’une communauté chrétienne pour voir ce qu’il s’y passe. Il m’a dit : « Après ces renseignements, qu’est-ce que tu voulais ? »-« Ah ! je voulais de temps en temps venir écouter ce que vous dites de Jésus et si possible devenir chrétien. » II m’a dit « volontiers » et je suis venu m’inscrire. C’était en 1968.

Avec ce livre de saint Jean, les choses étaient faciles pour moi. Je continuais à lire sans tout comprendre, mais ce qui m’intéressait, c’était comment Jésus a sauvé les gens. A Michel j’ai demandé : « II ne suffit pas d’apprendre, il faut aller à l’église une fois. » II me dit : « Je peux t’accompagner. » II m’a renseigné comment on prie à l’église : n’importe qui peut rentrer ; avant de rentrer, celui qui veut devenir chrétien peut faire le signe de génuflexion pour saluer, écouter la Parole de Dieu. Il m’a dit que la Parole de Dieu, c’est ce que je lis dans ce petit livre… On est venu. En tout cas, je ne comprenais rien, même avec ce livre. Quelque chose me semblait obscur : Jésus Fils de Dieu. Quelque chose m’échappait, je ne comprenais pas. « Jésus Fils de Dieu »

R. D.~ Pour un garçon d’origine musulmane, c’est dur !

D. C.- Jésus-Christ Fils de Dieu, ça j’ai beaucoup de mal à comprendre. Des fois je me dis : « Jésus vraiment c’est Dieu et pour se montrer à nous il s’est fait homme, mais on n’a pas pour autant à l’appeler Fils de Dieu, c’est Dieu directement. » Je n’arrivais pas à comprendre.

Je venais aussi à la messe, je regardais faire et au retour j’assistais au catéchisme à Lataha. J’ai suivi le catéchisme en senufo avec les paysans. Je n’ai pas tardé à comprendre certains passages : les miracles m’ont beaucoup impressionné et tout ça me tenait à cour, mais je ne tenais pas à accepter que Jésus était le Fils de Dieu. Je dis : « Dieu n’a pas d?enfant ». Mais en venant à l’église souvent, je priais – j’avais appris à prier avec Michel – et je peux dire même que j’avais beaucoup plus de courage qu’actuellement. Et je lisais beaucoup plus : Michel m’avait donné des livres et le Père m’avait donné une Bible. Je lisais sans trop comprendre.

« Nous avons peur »

Brusquement, un choc m’est venu. Dieu est bon comme Jésus le disait, donc tout ce qui ne fait pas de mal Dieu aussi le veut, par exemple la coutume, les amulettes. Puisque nous, Senufo -je n’ai pas peur de le dire -, nous avons peur. Même nos parents musulmans ne peuvent pas se confier uniquement à Dieu sans faire des sacrifices, adorer, « charlanter » (consulter un charlatan ; on dit plutôt : consulter un devin, un clairvoyant.). C’est très difficile.

R. D.- Vous avez peur de quoi ?

D. C.- De la mort, de l’empoisonnement, de la jalousie, des mauvais esprits. On croit que ceux-ci viennent nous faire du mal. Des fois même, avec des rêves, on croit que c’est un génie qui vient, le génie des marigots ou de la brousse. Alors on est obligé de charlanter pour prévoir les dangers, trouver les moyens d’y remédier et les chasser par les sacrifices.

Je faisais ça, mais un jour, à l’église, on a parié justement de ça : que Jésus est capable de faire tout, que Dieu n’aime pas qu’on partage avec lui, qu’on adore ou qu’on appelle autre chose « Dieu ». Alors c’était très difficile.

J’ai continué à lire et j’ai vu que celui qui croit vraiment en Dieu, Dieu peut tout faire pour lui : il est plus fort que Satan, puisqu’il a chassé des mauvais esprits chez les possédés, il a guéri des aveugles. Dans la Bible, c’est dit que Dieu est plus fort que tout. Ça m’a marqué et j’ai senti tout de suite que ces amulettes que j’ai sur moi me protègent, mais est-ce qu’il faut les jeter ? Je ne fais pas de mal, je ne tue pas avec ; c’est pour moi simplement, pour me protéger. Je peux donc continuer à prier, à venir à l’église avec.

Mais un jour je suis venu à l’église et à la sortie j’ai été beaucoup touché. J’ai dit : « Quand je viens avec ces amulettes devant Jésus, comment il me voit ? Je sais qu’il ne veut pas qu’on adore de faux dieux avec lui et je sais que ces amulettes, comme la Bible le dit, sont des choses naturelles, fabriquées par l’homme et qu’on adore encore. C’est Dieu qui a fait l’homme et celui-ci, par son intelligence, fait des trucs pour se protéger. Est-ce normal qu’on adore ces choses comme on adore Jésus ? » J’ai ressenti, mais je ne peux pas expliquer comment j’ai ressenti ça.

R. D.- Tu as dit : «J’ai eu un choc. »

D C.- Un choc, mais la manière dont j’ai ressenti, je ne peux pas expliquer ça. J’ai été touché presque toute la semaine. Le dimanche suivant, j’ai continué à réfléchir comment je vais faire pour me débarrasser, puisque ces choses ne peuvent plus me servir si je crois en Jésus-Christ. Mais comment les rejeter, puisque j’ai quand même peur ? Si je les jette, les mauvais sorts vont venir toujours, je serai malade, je ne sera pas protégé contre les mauvais esprits, tout ça… Après, je me dis : « Si je crois, Jésus peut me protéger. » Je me posais des questions comme ça.

Le dimanche suivant, je suis venu avec les amulettes à la prière et j’ai demandé à Michel comment on pouvait faire. Il m’a dit : « Ça dépend, c’est très difficile. Tant qu’on n’a pas la foi, on ne peut pas jeter tout de suite des choses qui te protègent, mais il faut toujours prier Dieu : peut-être qu’il t’aidera un jour. » Je priais, mais c’était très difficile de les jeter… La peur… Mais un jour…

Dramane – (Abd ar-Rahmân : Serviteur du Miséricordieux) – a reçu le prénom de Daniel quand il est entré dans le christianisme. Il est de l’ethnie senufo, une grande ethnie du nord ivoirien réputée récemment encore pour la vigueur de ses structures traditionnelles. Il fait partie d’une équipe d’animation rurale, qui vise à faire en sorte que le paysan soit responsable de son propre devenir. Il enseigne la catéchèse le dimanche et habite Korhogo, capitale du Nord.

Un long combat

R. D.- C’était quand ?

D. C.- J’ai été baptisé en 74 et c’est en 69 que j’ai commencé à avoir la réflexion sur les amulettes et les fétiches. Des fétiches, j’en avais vraiment et quand il y a quelque chose qui m’arrive, je sens par derrière ces fétiches, par des rêves même. Mais je dis : « Jésus est plus fort que ça ; ça, ce sont les hommes qui l’ont fait ;je sais que leur force provient de Satan puisque ça ne peut pas faire trop de bien. » Dire que les fétiches n’ont pas de puissance, non ! Ils en ont et celui qui les garde et puis qui veut les rejeter tout de suite parce que le Père l’a dit, ça, je t’assure, il ne pourra pas s’en passer, il va y revenir. Alors j’ai été touché, mais quand même, excuse-moi de le dire, j’ai porté ces amulettes jusqu’après le baptême, en cachette. Mais un jour j’ai décidé : je les jette. J’ai demandé conseil à Michel. Il m’a dit : « Si tu as peur de les jeter comme ça, alors tu peux mettre un peu de l’eau bénite là-dessus et ça va. » J’ai mis l’eau bénite et c’était fini.

Un fétiche plus fort que les autres

R. D.- C’était combien de temps après le baptême ?

D. C.- A peu près un an. Mais j’avais un fétiche que je n’ai pas pu jeter. C’était un parent qui me l’avait donné et c’était le plus puissant. J’ai réfléchi : ce fétiche ne peut pas me sauver, parce que l’homme, quel que soit son savoir, ne peut résister à la mort, et après la mort le fétiche ne peut rien faire : là, on se trouve en face de Dieu.

Ça aussi c’est devenu un choc ! Un jour, j’ai donc décidé : je vais jeter ce fétiche. Et quand j’ai eu l’idée, vraiment j’ai rêvé à ce fétiche. Première, deuxième, troisième nuit, je me suis levé – c’était vers minuit – et j’ai prié : « Voilà, Dieu, en tout cas je sais que je suis faible. J’ai bien voulu jeter ce fétiche, mais j’ai peur. Quand même, je prends le courage pour le jeter. Au nom de Jésus, avec l’eau bénite, je tue la force de ce fétiche et je te prie, Dieu, de me donner la force afin que je n’aie plus peur, puisque c’est par la peur qu’on a de mauvaises idées. » J’ai versé l’eau bénite et à partir de ce jour je n’ai plus rêvé à ce fétiche. Après quelques mois de prière – parce que vraiment il faut le reconnaître, je priais, je formulais des prières sans tenir compte du « Notre Père », je disais du cour ce qui me venait, mes propres prières à moi -, j’ai eu la force, Dieu merci, et je n’ai plus eu peur de ce fétiche. J’ai dit : « Je ne charlante plus, je ne fais plus de sacrifices, parce que je sais que tout ça est remplacé par Dieu pour moi. Et le sacrifice que Jésus nous a donné, il n’y a rien de tel. »

J’ai eu quand même des moments de peur : j’ai jeté mes fétiches, je ne charlante plus, qu’est-ce qu’il va se passer après ? J’ai dit : « Bon ! je sais que Dieu est fort, Jésus est puissant », et si je ressens de la peur, tout de suite je prie. Ça, je le dis maintes fois quand je cause avec des gens, que la prière c’est vraiment l’arme du chrétien. Sans la prière, je me demande si j’allais résister, rester toujours chrétien comme je le suis.

« J’ai eu le courage de le dire à mes parents »

Parce que si j’ai cessé de charlanter, d’adorer, ce n’est pas en cachette ; j’ai eu le courage de le dire même à mes parents : « Je ne vais plus charlanter et adorer, mais ça ne veut pas dire que je ne peux pas vous obéir : s’il y a dans la famille quelque chose à faire traditionnellement, je peux participer, mais dites-vous que je n’attache pas une grande importance. »

Par exemple, si ma mère me demande : « Je vais adorer, faire un sacrifice, accompagne-moi », je ne refuse pas, je l’accompagne et j’assiste, mais je dis : « Ça, je n’y crois pas, je sais que Jésus pour nous a remplacé tout ça. Ce que nous voulons offrir à Dieu comme sacrifice, c’est à la messe, où nous savons que Jésus s’est offert pour nous ; à la messe nous pouvons confier à Dieu tout ce que nous pensons. Donc, ce que vous faites, vous le faites selon votre foi, je vous accompagne en tant que membre de la famille, mais je n’y crois pas. »

R. D. – Quelle a été la réaction de tes parents ?

D. C.- Ils ont toujours dit : « On ne peut pas t’obliger puisque tu es adulte. » II faut savoir que je suis un peu respecté dans ma famille : je suis le fils aîné de mon père, il est mort et c’est moi le chef de famille. Alors, ils disent : « On ne peut pas t’obliger à faire ce que tu n’aimes pas, mais on ne peut pas te dire que ce que tu as fait est bon. » J’avais découvert une chose importante. Je me suis dit : « Si je dis aux parents : « Je ne veux plus adorer et je ne me mêle plus à vous », je me coupe du milieu. » C’est là que j’ai réfléchi et que j’ai dit : « Je ne fais plus de sacrifices, mais s’il y a des cérémonies dans la famille, je peux vous accompagner, donner de l’argent s’il le faut, mais je ne crois pas, c’est-à-dire que je ne vous dirai pas : « Tuez une poule ou donnez de la kola en mon nom », parce que je sais que tout ça ne sert plus à quelque chose dans ma vie. » Je n’ai pas été tellement bousculé et mes parents n’ont pas tellement réagi, parce que je ne leur ai pas dit : « Ce que vous faites est mauvais », mais : « Moi, je ne sens plus le besoin de le faire. »

« Une autre lutte »

Quand j’ai surmonté cette étape -pour moi c’était la plus dure-, à ma grande surprise c’était encore une autre lutte, une lutte avec mon caractère. Quand j’écoute la Parole de Dieu, je repars triste le plus souvent, parce que je veux changer et je n’y arrive pas. Des choses telles que la méchanceté… Je suis né sévère. Ne pas respecter quelqu’un, le frapper, c’était dans la coutume, ce n’est pas un péché ; nuire à l’âme de son prochain, ce n’est pas un péché. Mais partager avec les gens, ça c’est très difficile, je n’étais pas de ce caractère. Quand j’écoute la Parole de Dieu ou que je lis, je vois que Jésus n’enseigne rien sauf l’amour du prochain.

R. D.- Tu étais déjà baptisé ?

D. C.- Oui. C’était devenu une autre souffrance… Ma femme, elle, n’était pas baptisée.

R. D.- Tu étais marié avant ton baptême?

D. C.- Oui, et par exemple je ne pouvais pas faire une semaine sans frapper ma femme. Pour moi, elle n’avait pas la parole, je n’avais pas à tenir compte de ce qu’elle fait.

R. D.- Avec le sourire que tu as, tu étais ainsi ?

D. C.- Je n’avais pas un sourire, ma femme peut le témoigner, et même Michel. Ils savent comment j’ai mené la vie très dure à ma femme à Kohotiéri. Et c’était pas avec ma femme seulement, mais avec tous ceux qui vivaient avec moi. J’étais un homme qui cherchait à commander, à être le plus fort, à envoyer des mauvaises paroles, tout ça.

Or, quand je lisais dans la Bible, je trouvais que ça n’était pas conforme. Je vois aussi que ce n’est pas l’important de venir à l’église pour prier si on ne tient pas compte de tout ça. Mais comment faire pour changer ? C’est très difficile. Ça j’ai prié, Dieu merci j’ai eu le courage de prier, je me confiais à Dieu. Et des fois je me décourageais, je disais : « Je prie, mais rien ne change. » Un moment j’ai dit : « Ce n’est pas la peine ! Je me prive de certains désirs à cause de Dieu, mais toujours les mêmes tentations reviennent. » II faut le reconnaître, j’ai risqué un moment d’abandonner, parce que ça ne sert à rien, je continue à souffrir, je ne change pas.

Après, j’ai dit : « Mais Jésus est le Sauveur, ça j’y crois, il n’y a pas d’autre Sauveur. Je sais aussi qu’il pardonne -ça a été mon point de force -, donc il connaît ce qui est en moi, il sait. Je sais aussi que ce n’est pas en faisant des choses extraordinaires que je serai sauvé, non ! C’est par son amour. » J’ai dit : « Bon ! je vais continuer à prier avec mon mauvais caractère. »

Mais les prières… J’ai même cessé un moment de prier pour changer mon cour, j’ai dit : « Ce n’est pas la peine! J’étais découragé… J’ai eu des renseignements sur l’islam, j’ai lu le Coran souvent, en français, mais ça ne répondait pas vraiment à mon besoin. Je ne dis pas que ce n’est pas une bonne religion. mais je trouvais beaucoup de choses plus humaines dans le Coran que dans les paroles de Jésus.

« Un petit changement »

Alors, je dis : « II n’y a que ce seul Sauveur, je vais vers lui. même avec mon mauvais caractère. » J’ai vu aussi la grâce de Dieu : au moment où je n’avais plus le courage de prier, j’ai senti un petit changement. Je pouvais écouter, accepter des choses que je n’acceptais pas. Je peux le dire, c’est grâce à la religion que je suis un homme aujourd’hui, sinon j’avais un très mauvais caractère. Frapper quelqu’un jusqu’à le blesser, ça c’était pas mon affaire, ce n’était pas un péché pour moi. Ma femme en a souffert longtemps. Mais j’ai senti un changement dans mon cour, j’ai accepté certaines choses que je n’acceptais pas. J’ai parlé à Michel : « On dirait que la prière c’est vraiment efficace : tout de suite je ressens qu’il y a des choses que j’accepte à la maison. »

Ma femme a vu ça… Je peux dire que je ne l’ai pas obligée à devenir catéchumène, je l’ai laissée libre, parce que je me suis dit : « Ce n’est pas une raison pour obliger ma femme à devenir chrétienne si elle ne le sent pas. »

R. D. – Elle était aussi de famille musulmane ?

D. C.- Oui, on est à peu près de la même famille. Son papa et sa maman sont musulmans.

« Ma femme ne comprenait pas »

Elle ressentait mon changement, mais elle ne pouvait pas accepter. Elle croyait que c’était un moyen pour la flatter, elle ne comprenait pas. Quand je l’appelle pour qu’on discute d’un problème ensemble, elle n’en revient pas, elle dit : « Mais tout ce que tu dis, c’est ça ; moi, je ne peux rien te dire. » Elle a peur de s’exprimer, puisque je ne lui ai pas laissé avant le temps de causer avec moi comme ça. Maintenant, elle voit le changement, mais c’est difficile pour elle de comprendre pourquoi il y a ce changement.

Quand même, j’ai eu le courage de lui dire : « Voilà ! je sais que coutumièrement la femme est inférieure à l’homme, mais je sens le besoin, selon ma foi, d’être ton égal. Je sais que tu comprends mal cela… » En effet, souvent dans la tradition, quand un homme devient très simple avec sa femme, elle croit qu’elle l’a… En somme, il y a des femmes qui donnent des petits poisons aux hommes. Une femme de ce genre croit qu’elle a eu grâce à ça le dessus, elle a envoûté son homme. Je dis à ma femme : « Voilà ! ce n’est pas le cas . J’agissais très mal avec toi, mais je ne le savais pas. Etant chrétien, je veux vraiment changer, mais c’est très difficile. Je ne dis pas que je ne vais plus te frapper, me fâcher contre toi ou te faire du mauvais, mais je sens maintenant qu’il faut être égal avec toi, donc discuter avec toi. Si tu me vois t’appeler pour qu’on partage les idées, c’est ça. N’aie pas peur, ce n’est pas un piège que je te tends, mais c’est par ma foi que je le fais. »

Elle m’a dit : « Je comprends, mais c’est difficile pour moi de te dire : Voilà mon point de vue ! » Je lui ai dit que je ne la forçais pas, mais il lui fallait savoir qu’il y a un changement maintenant : « Et tu peux m’aider à changer. Si un jour je te fais des histoires, il faut prendre le courage de me dire : « Et ce que tu m’avais dit ! Tu m’as dit qu’au nom de ta foi, au nom de Jésus-Christ, tu veux changer. Tu m’as demandé de t’aider et voilà ce que tu fais aujourd’hui ! » Elle ne me l’a jamais dit, mais toutefois que je retombe dans les mêmes tentations… Puisque j’ai pris la décision, mais je n’ai pas pu tout de suite cesser : elle a continué à souffrir, mais moins quand même, parce que quand je fais un mauvais pas, je me rends compte que j’ai trahi Jésus.

« Si je frappe ma femme »

Je reviens sur un autre point. Un jour, à l’église, on disait : « Celui qui fait du mal à son prochain, c’est comme s’il a crucifié Jésus. » Voilà le point qui m’a poussé à dire : « Si je frappe ma femme, c’est Jésus que je frappe. » Alors là, avec ma femme, j’ai fait un effort pour changer.

Un jour, elle m’a dit : « Je veux m’inscrire, je veux aller au catéchisme. » J’ai dit : « Mais je ne t’oblige pas ! Si tu veux, tu peux aller t’inscrire, mais il faut savoir que la vie chrétienne c’est très difficile. Souvent, je fais des nuits blanches à côté de toi sans que tu t’en rendes compte. » Je disais à ma femme : « Souvent, à la fin de la journée, je réfléchis à ce que j’ai fait, ce qui a été mauvais, et je souffre vraiment ; sans le dire à quelqu’un, je souffre, puisque je veux changer et je n’arrive pas. Donc, il faut t’attendre à des chocs aussi comme ça. » Elle a dit « bon », elle est partie. Trois ans après, elle a été baptisée, en 75. Les dates ne sont pas précises, mais je veux dire que le cheminement est long.

« La vie chrétienne est difficile »

R. D.- Je reviens sur un point sur lequel tu as insisté : la vie chrétienne est difficile. J’ai souvent entendu des musulmans dire : « Le christianisme c’est facile : on peut boire l’alcool, la messe ne dure pas. Nous, nous avons cinq prières par jour, le carême, etc. »

D. C.- J’ai eu beaucoup de conversations avec des parents.

Ils me disent : « Oui, c’est parce que tu veux boire, manger le porc, que tu es devenu chrétien. » Je dis : « Chacun défend sa religion, sa cause, mais je vous dis que celui qui connaît la religion chrétienne, qui cherche à l’approfondir, trouvera que ce n’est pas s’empêcher de boire et de manger le porc qui est le plus difficile dans une religion, mais c’est changer son cour qui est très difficile. Il y a des chrétiens qui ne mangent pas le porc, mais le chrétien qui connaît sa religion vous dira que ce n’est pas ça l’important. »

Un jour, dans mon village – il n’y avait pas encore la religion chrétienne -, j’ai eu des conversations avec des musulmans sur la religion chrétienne. Ils ont dit : « Ce n’est pas une religion : les chrétiens boivent et les musulmans ne boivent pas, Dieu le leur a défendu. » J’ai dit : « Ce que vous venez de dire, que la religion musulmane est la meilleure, je ne dis pas non, mais est-ce qu’il n’y a pas des non-buveurs qui désobéissent à Dieu ? Jésus nous a dit que c’est ce qui sort de la bouche qui salit l’homme ; ce qui rentre de l’extérieur ne salit pas. Et Dieu a dit que ce n’est pas en m’appelant Seigneur que vous serez sauvés, mais en faisant ma volonté. Avant, je critiquais la religion musulmane, mais le jour où j’ai entendu cette parole j’ai diminué. »

Donc, pour moi, le plus dur, c’est le changement du cour. Il y a aussi des chrétiens qui disent facilement que la vie chrétienne est facile, mais ils n’ont pas compris. Est-ce que vraiment, nous chrétiens, nous prenons conscience de l’engagement qu’on prend au baptême ? La vie chrétienne demande toujours une lutte. J’ai parlé des amulettes, mais quand j’en ai fini avec elles, j’ai vu devant moi d’autres difficultés.

R.D.- Si ‘ce n’est pas indiscret, quelles sont aujourd’hui tes difficultés ?

« J’ai été tenté de courir vers l’argent »

D. C.- Même si c’est indiscret, je n’ai pas de raison de ne pas le dire. C’est le problème de l’argent. J’ai passé beaucoup de temps en brousse, je m’adaptais à la vie paysanne, je voyais les gens courir moins vers l’argent. Mais quand je suis venu à Korhogo, j’ai été tenté de le faire, et en même temps que j’ai été tenté, j’ai eu une réflexion sur le matérialisme : « Je veux avoir de l’argent comme les autres, mais en gagnant de l’argent, est-ce que je serai satisfait ? »

Avant de venir à Korhogo, j’avais construit en ville deux lots que j’ai loués et qui rapportent un peu, et déjà je me demandais si ces maisons étaient utiles dans ma vie. Je faisais cette réflexion : « II ne faut pas donner ces maisons cadeau, mais je vais les louer moins cher. » Parce qu’un jour on a vu casser des maisons à Abidjan et des gens étaient restés sans abri. Un Père avait tourné un film et sa conclusion était que celui qui loge un de ses frères cadeau sert aussi Jésus. Donc. j’ai pris l’engagement de louer moins cher, puisque ce n’est pas l’argent qui résout le problème de l’homme. Je lutte pour effacer cette idée de matérialisme. Je ne dis pas que ce n’est pas utile, mais je veux consacrer moins de pensées à ça.

« Dieu rit de moi quand je fais des calculs »

R. D.- Il est normal que l’argent soit un souci.

D. C.- Oui, mais je suis trop strict, je fais des calculs : « Mon argent, où ça rentre ? ». Je ne veux pas perdre cinq francs sans savoir où c’est rentré. Mais maintenant je fais la réflexion : « Cet argent que je cherche avec beaucoup de précaution, est-ce ça qui est nécessaire dans la vie ? »

R. D.- Tu fais budget commun avec ta femme ?

D. C.- Avant, non ! c’est le mois dernier que j’ai vraiment pris la décision. Avant, je disais que l’argent est tellement précieux, il faut savoir où ça rentre, il faut prévoir l’avenir des enfants. Mais j’ai eu cette réflexion : « Est-ce que vraiment l’argent peut prévoir l’avenir ? » J’ai réfléchi, j’ai prié et je me suis dit : Dieu rit de moi quand je fais des calculs ; il dit : « Demain il va mourir. »

Cette réflexion m’a poussé à chercher comment utiliser l’argent correctement, comment partager avec les gens, avec ma femme. Ce n’est pas facile, ce n’est pas une décision prise tout de suite. Dieu merci, j’ai eu le courage de confier tout dans la prière. Quand j’ai une idée qui me fatigue, je prie. Je ne dis pas qu’on réussit à faire des miracles avec les prières, mais quand je me sens peiné, je me confie à Jésus et le plus souvent je trouve la solution. C’est ce qui m’a aidé à cesser de frapper, de crier sur les gens.

«Si je me vante »

R. D.-Le sourire, c’est depuis quelle année ?

D C.- Mon sourire actuel, ce n’est pas loin. Faire des faux sourires et des sourires d’amour, ce n’est pas la même chose. Je souriais avant, mais pas avec le même sourire qu’aujourd’hui. Je ne peux pas évaluer et faire comprendre les grands changements que la religion a faits en moi. Et des fois j’ai honte : je pense que quand je dis ça, je me vante, alors que ce n’est pas venu de moi, j’ai été aidé par Jésus. R. D.- Tu ne te vantes pas. Tu rends témoignage de ce que Jésus a fait en toi.

D. C.- Alors, j’ai appris à montrer mon salaire à ma femme. Je lui dis : « Voilà ! si tu as besoin de quelque chose, ce que tu veux donner à ta maman, ce que tu veux faire, voilà l’argent. » Elle m’a dit : «Ah! je ne suis pas capable de gérer ; tu vas garder et je te demanderai au fur et à mesure que j’en aurai besoin. » Je dis : « Je sais maintenant que l’argent que je gagne, c’est comme si nous faisions le même travail, c’est pour nous deux. Tu peux même me donner des idées sur l’économie. comment partager avec mes parents. » Parce que j’ai travaillé cinq ans sans penser à mes parents. Rien ! Je voulais construire seulement, je voulais ma vie à moi. Après, j’ai senti qu’en faisant ça, je ne peux pas garantir ma vie. Le meilleur moyen de garantir, c’était de partager. Même traditionnellement ça se dit, mais on n’a pas le courage de le faire sans la foi.

A l’heure où on parle, je me plains de moi et j’envie les hommes de foi. Et il y a une chose importante à dire : il faut voir comment on a été aidé à entretenir sa foi, parce que la foi demande un entretien. J’ai vu vivre un Père : en voyant son exemple, je n’arrivais plus à résister devant un malade qui souffrait, sans chercher un moyen pour le sauver. Et en le voyant, je m’étais engagé dans la J.A.C.

« Je suis tombé dans la tentation de condamner les autres »

Quand j’ai été baptisé, j’ai commencé à prendre conscience du changement qu’il faut pour suivre Jésus, mais en même temps je suis tombé dans la tentation de condamner les autres. Je les jugeais mal, tout en oubliant ce qui reste à faire en moi.

R. D.- As-tu rencontré des non-chrétiens qui t’ont aidé ?

D. C.- Il y a des gens qui m’ont aidé à juger moins. Je parlais mal de la religion musulmane et surtout des coutumes. Je disais que les coutumes comme le porô (ensemble des cérémonies initiatiques qui font passer le jeune Senuto de l’enfance à l’âge adulte. Leur déroulement a lieu sur sept ans.) c’était pour faire le mal, ou que la religion musulmane est trop humaine. Les musulmans vivent mal, empoisonnent… Mais un jour -ce n’est pas un jour fixe, c’était un chemin encore-, j’ai commencé à me poser la question : « Est-ce que je suis digne de les juger ? Est-ce que tout est parfait en moi ? Si tout n’est pas parfait, est-ce que Dieu pour autant me rejette ? Non ! j’ai entendu que Dieu aime les pécheurs. Donc je n’ai pas à juger ces gens, je suis aussi pécheur. Et je vois qu’il y a des hommes qui, n’étant pas chrétiens, font la volonté de Dieu. »

Un exemple : j’ai rencontré un jeune musulman baoulé à Bouaké dans un stage. A 5 heures du matin, il se lève et prie. Quand il finit de prier, il attend que les autres sortent pour se baigner et il arrange tous les lits. Quand il voit que le drap d’un camarade est sale, il le prend sans lui dire et il s’en va le laver : après, il vient dire : « Excuse-moi, j’ai fouillé tes choses après toi, j’ai vu un drap sale et je l’ai lavé. » II était plus fort et plus intelligent que les autres, mais pour parler à un ami il se fait petit, il respecte les gens. Si le dortoir est sale, il balaie. Au réfectoire, il est le dernier à commencer à manger : il dit que s’il y en a qui viennent en retard et qui n’ont pas de plat. « je vais leur donner le mien ».

Vraiment, c’est une leçon ! Moi qui suis chrétien, est-ce que je fais la volonté de Dieu ? II agit dans les musulmans et aussi dans les païens ; il peut se servir d’eux pour nous convertir. Alors, j’ai fait l’effort de juger moins et de condamner moins.

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