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Le psalmiste,

Responsable de la chronique : Michel Gourgues, o.p.
Le psalmiste

Psaume 45 : Épithalame royal

Imprimer Par Hervé Tremblay, o.p.

Épi… quoi? Un épithalame est un terme littéraire désignant un poème composé à l’occasion d’un mariage ou en l’honneur des nouveaux mariés. Le Ps 45, unique en son genre, aurait vraisemblablement été composé à l’occasion du mariage d’un roi d’Israël avec une princesse, et a traditionnellement été réinterprété des noces mystiques entre Dieu et son peuple.

La question du genre littéraire a toujours été discutée. Si c’est la métaphore des épousailles mystiques entre Dieu et de son peuple qui a sans doute permis au psaume d’entrer dans le canon, ce sens est-il premier ou second? Si quelques spécialistes soutiennent un sens premier de Dieu et de son peuple, la plupart affirment qu’il est difficile de lire le poème ainsi. En effet, les versets sont trop explicites et trop compliqués, de sorte qu’une application littérale à Dieu ne semble pas appropriée. On parle donc, au sens littéral, d’un « psaume royal » (comme les Ps 2; 72; 110), sans doute composé pour le mariage d’un roi d’Israël avec une princesse étrangère. Certains s’aventurent même à préciser qu’il s’agirait de Salomon (1 R 3,1; 11,1-3), d’Achab avec Jézabel, princesse tyrienne (1 R 16,31) ou de Joram avec Athalie (2 R 8,18). Par la suite, peut-être après avoir appliqué le poème à d’autres mariages royaux, on l’aurait réinterprété de la relation de Dieu avec son peuple et en clé messianique.

Caractéristique littéraire assez unique, le poème est écrit en tristiques (vers de trois lignes). Sa structure se laisse découvrir assez facilement. Après l’adresse initiale, le psaume chante les louanges de l’époux royal (v. 3-9) : sa beauté (v. 3); le guerrier (v. 4-6); le consacré (v. 7-8); l’époux (v. 9). Il chante ensuite les louanges de la future épouse (v. 10-14) : son arrivée (v. 10); puis il s’adresse à elle (v. 11-14). Il décrit enfin le cortège royal (v. 15-16) et souhaite au roi une descendance illustre (v. 17-18). Entre ces parties, il y a des correspondances verbales : aux v. 2-6 et v. 11-13 grâce à la récurrence de « fille » et surtout « beauté » du roi et de la fiancée. Aux v. 7-10 et v. 14-18 grâce aux mots « pour toujours, aussi, palais, être joyeux, fille de roi ». Il y a d’autres rapports : en beauté, le roi surpasse tout son entourage masculin comme la nouvelle reine tout son entourage féminin. Ensuite les habits : d’un côté, le psalmiste décrit le costume d’apparat du nouveau marié avec une insistance sur les odeurs; de l’autre, le costume nuptial de la nouvelle mariée avec insistance sur l’étoffe précieuse finement brodée, les deux parties répétant le mot « or ». C’est seulement aux extrémités du poème (v. 2 et 18) que le poète parle de lui-même à la première personne. Au début, il insiste sur la source de son poème de circonstance; à la fin, il insiste sur son effet : la permanence du souvenir de l’événement dans les générations à venir.

Le texte du psaume est difficile et a suscité de nombreuses corrections et conjectures. Aussi, il serait préférable de suivre notre commentaire dans une Bible plutôt que dans la traduction liturgique qui a beaucoup simplifié. Le titre (v. 1) est habituellement traduit « Sur l’air des lys » (cf. Ps 60,1; 69,1; 80,1). On présume qu’il s’agissait d’une chanson connue ou d’un air populaire. Nous dirions aujourd’hui : « Sur l’air de Au clair de la lune ». Autre indication : « Chant d’amour », que le latin a traduit « Pour le bien-aimé ». D’autres, d’après la traduction grecque (« Pour ceux qui seront transformés ») croient plutôt à un instrument de musique. D’autres encore, en relecture, suggèrent « Contre ceux qui altèrent le témoignage, c’est-à-dire la loi » en lien avec le psaume qui précède (Ps 44), une lamentation nationale à l’occasion d’une crise majeure.

Au v. 2, le cœur du poète, littéralement, « bouillonne », et il se propose d’écrire sous cette impulsion. Il est important de garder la traduction « paroles belles » en lien avec la beauté de l’époux et de l’épouse qui seront décrites plus loin, au lieu de « nobles, agréables ou heureuses ». Le « roseau » ou « calame » était une tige de roseau taillée en pointe qui servait pour écrire. Ici, certaines traductions laissent entendre que la langue du poète est aussi « rapide » que la plume d’un scribe, mais il faut souligner que l’écriture des textes anciens était lente et que le mot hébreu signifie plutôt « habilité, adresse ». Aussi la traduction de la TOB semble préférable (« Que ma langue soit la plume d’un habile écrivain! ») à la traduction liturgique (« Une langue aussi vive que la plume du scribe »).

PORTRAIT DU ROI (V. 3-10)

Dès le v. 3, le portait du roi insiste sur sa beauté, comme pour Saül (1 S 9,2; 10,23-24), David (1 S 16,12) ou Absalon (2 S 14,25-26). Les Anciens, en effet, considéraient la beauté physique comme une marque de faveur, de bénédictions et de protection divines. De même, la « grâce » dont il est question s’entend au sens physique de quelqu’un qui est « gracieux » et qui s’exprime bien (« sur tes lèvres »). C’est bien ce qu’affirme le troisième stique : « Dieu te bénit pour toujours ». En relecture chrétienne, les pères de l’Église ont discuté de la beauté de Jésus, les uns arguant en faveur (oui, Jésus était beau) à partir de ce verset, les autres arguant contre (non, Jésus n’était pas beau) à partir d’Is 53,2.

LE GUERRIER (V. 4-6)

Le poète célèbre l’allure guerrière du jeune roi revêtu des insignes royaux, indispensable à la majesté d’un souverain oriental. Les v. 4-5 parlent de l’épée, du char et de l’arc. L’épée symbolise la puissance, mais pas n’importe laquelle. Le roi porte l’épée pour « courir au combat pour la justice, la clémence et la vérité », comme l’épée de YHWH (Ps 35,2; 76,4) qui deviendra la parole de Dieu pénétrante (Ép 6,17; Hb 4,12; Ap 19,15). Les rois allaient au combat montés sur un char (1 R 10,26; 22,34-38), armé d’un arc (Ps 18,35; 144,1; Jb 20,24). C’est pourquoi ce verset se termine par un éloge du bras du roi (« il rend terrible ta droite »), comme ailleurs dans la Bible on parle du bras de YHWH, symbole de sa force (Is 59,9; Ps 118,15-16). Cette éclatante puissance venant de Dieu, le roi ne la possède donc que pour assurer dans le monde la justice et le droit (Ps 72,2-4.12-13; Pr 29,14). Au v. 6, les flèches meurtrières du roi sèment la terreur chez les ennemis.

LE CONSACRÉ (V. 7-8)

Ces versets nomment les insignes de la royauté : le trône et le sceptre (v. 7), l’onction consécratoire (v. 8). Au v. 7, le texte hébreu dit : « Ton trône Dieu pour toujours et à jamais » qui est habituellement interprété comme une adresse au roi appelé « dieu », comme c’était la coutume dans l’Orient ancien pour les êtres divins (Ps 29,1; 58,2; 82,6; 89,7; Jb 1,6; 2,1; 38,7; de Moïse Ex 4,16; 7,1). Le roi était aussi considéré comme « fils de Dieu » (Ps 2,7; 89,27-28; 2 S 7,14), mais ce serait ici le seul exemple dans la Bible où il serait appelé « dieu ». Aussi, d’autres traductions ont-elles été proposées : « Ton trône, ô Dieu, est éternel » (TOB, BJ d’après le grec); « ton trône est divin, un trône éternel » (psautier liturgique). Tout dépend donc de la façon de comprendre le mot Élohim, Dieu ou le roi? Le parallélisme avec le v. 8, où le même mot désigne certainement Dieu, rend son attribution au roi improbable. D’autres ont corrigé le texte : « Ton trône est le trône de Dieu » (cf. 1 Ch 29,23) ou supposé que c’est Dieu lui-même qui est le trône. Le v. 8 parle soit de l’emploi des parfums au jour de fête (Ps 23,5; 104,15; Is 61,3; 2 S 12,20; Ct 1,3; Mt 6,17; 26,7; Lc 7,46) en parallèle avec le v. 9a (« myrrhe et aloès » Ex 30,23; Ct 1,13; 4,6.14; 5,1.5; Pr 7,17; Jn 19,39-40); soit plutôt de l’huile de la consécration royale (« t’a donné l’onction » Ps 89,21; 1 S 10,1; 15,17; 16,13; 24,7; 2 S 12,7).

L’ÉPOUX (V. 9)

Le regard du psalmiste se porte maintenant du roi vers le décor : parfums précieux, salles aux murs revêtus de panneaux de bois incrustés d’ivoire ou dont le mobilier était plaqué d’ivoire, signe de luxe extrême (Am 3,15; 1 R 10,18.22; 22,39; Éz 27,6; Ct 5,14; 7,4), douces mélodies. La cérémonie de la rencontre des fiancés est très rapidement décrite et unit la partie du fiancé (v. 9) à celle de la fiancée (v. 10) : d’abord l’arrivée au palais où se tient le fiancé et où jouent les musiciens (v. 9b), le cortège de la fiancée avec ses dames d’honneur, toutes parées de leurs plus beaux bijoux (v. 10a; Is 3,18-23; 49,18; 61,10); puis c’est l’installation de la fiancée sous le dais nuptial à la droite de celui qui devient son époux (v. 10b).

PORTRAIT DE LA FIANCÉE (V. 10-16)

Il y a dans ces versets trois formes littéraires différentes qui compliquent la situation : les v. 11-13 sont en discours direct adressé à la fiancée (2e personne); les v.14-16 sont en discours impersonnel au sujet de la fiancée (3e personne); les v. 17-18 sont en discours direct adressé de nouveau au roi (2e personne). Ce mélange a paru suspect à plusieurs. Aussi certains ont suggéré de lire les derniers versets adressés aussi à la fiancée, malgré les suffixes masculins en hébreu qui auraient été accidentellement (ou intentionnellement) masculinisés à un stade ultérieur. Si cela est vrai, le poète interpellerait la fiancée dans la section initiale (v. 11-13) comme dans la section finale (v. 17-18) de cette seconde partie du poème, l’invitant à surmonter la nostalgie de son pays et de sa famille qu’elle a quittés pour s’attacher de tout son cœur à son mari et aux enfants qu’ils auront.

L’ARRIVÉE DE LA FIANCÉE (V. 10)

Pendant que le poète exalte la magnificence du roi, un long cortège s’avance vers le trône. Au premier rang, on aperçoit la fiancée, rutilante d’or. Des princesses l’accompagnent, toutes « filles de roi ». Ce sont : 1- des filles de roi appartenant au harem du père de la fiancée et constituant sa dot; 2- les filles des rois invités à la fête; 3- les filles du palais royal accompagnant la fiancée (Mt 25,1-13). Mais au v. 10b, qui est celle qui se tient à la droite du roi? Le mot hébreu désigne habituellement une dame, le plus souvent la reine mère (1 R 2,19; 15,13; 2 R 10,13; 11,1-2; 24,15; Né 2,6; Ct 3,11; Jr 13,18; 29,2). D’autres y ont vu la préférée ou la fiancée elle-même. Quoi qu’il en soit de son identité, elle est « sous les ors d’Ophir ». Ophir était une région célèbre pour l’or qu’on y trouvait, mais dont l’emplacement n’a jamais pu être déterminé avec certitude (1 R 9,28; 10,11; 22,49; 1 Ch 29,4; Jb 22,24; 28,16; Si 7,18; Is 13,12).

ADRESSE À LA FIANCÉE (V. 11-13)

Ici le ton change et le poète adopte le style des monitions des sages (Ps 34,12; Pr 1,8; 4,1-10; 5,7-13; 7,24; 8,6) : « Écoute, ma fille » suivi de quatre autres impératifs : « regarde… tends l’oreille… oublie ton peuple… prosterne-toi ». Le poète se permet de s’adresser à la fiancée pour lui donner des conseils. Si toute personne qui se marie doit quitter sa vie antérieure (Rt 1,16), c’est encore plus essentiel pour un couple royal, l’expérience ayant montré le danger d’une princesse qui n’oublie pas son pays d’origine (les femmes de Salomon 1 R 11,1-13; Jézabel ou Athalie 1 R 16,30-33). Au v. 12, le don qu’elle fait d’elle-même à son époux, exprimé par la prostration, vaudra à l’épouse d’être honorée et comblée de la part des autres femmes (v. 13a), puis des grands du royaume (v. 13b). Au v. 13a, c’est l’expression énigmatique « fille de Tyr » qui a fait croire que le psaume avait été écrit pour les noces d’Achab et de la tyrienne Jézabel (1 R 16,31). Mais l’expression pourrait souligner simplement la richesse de la fiancée ou pourrait être synonyme de « fille de Sion » qui désigne simplement Jérusalem (Lm 2,1.10.13.18; Ps 9,15; Is 37,22) comme « fille de Babylone » (Is 47,1), « fille de Sidon » (Is 23,12), « fille de l’Égypte » (Jr 46,11).

LE CORTÈGE NUPTIAL (V. 14-16)

Ces versets décrivent la splendeur du cortège nuptial qui pénètre dans la résidence royale. En Orient, après la cérémonie du mariage comme telle, il y avait toujours l’introduction de l’épouse dans la maison de l’époux (1 M 9,37-39; Mt 25,10-12), d’une part la princesse, de l’autre les demoiselles d’honneur qui l’accompagnent. Le poète s’émerveille de la beauté des vêtements multicolores de la reine (Jg 5,30; Éz 16,10.13), puis il la voit disparaître avec ses compagnes dans les appartements privés du roi.

ÉPILOGUE (V. 17-18)

Le thème de la descendance constitue un élément essentiel de la théologie royale qu’il est donc normal de retrouver ici. Le v. 17 s’entend des enfants, fruit de l’union normale d’un couple, mais aussi, en relecture, des enfants spirituels. Pour la fiancée, les fils compensent la perte de sa patrie et de sa famille.

Pour qu’un tel écrit soit admis dans le canon biblique, il a fallu qu’on le réinterprète et le relise en l’appliquant à d’autres réalités. Déjà le targum orientait vers une relecture messianique. Dans la tradition chrétienne, le psaume a pris un sens christologique. C’est le Christ qui est le plus beau des enfants des hommes, qui a reçu l’onction messianique et qui a épousé son Église qui lui donne de nombreux enfants. Comme le Cantique des cantiques, cette théologie se situe dans la continuité du thème de la relation époux – épouse chez les prophètes (Is 54; 60–62; Jr 2; 3,1-10; Éz 16; 23; Os 1–3) et jusque dans le Nouveau Testament (Mt 9,15; 22,9; 25,1-13; Jn 3,29; 2 Co 11,2; Ép 5,21-32; Ap 21,1-4.9-27). La seule citation explicite du Ps 45, toutefois, se trouve en Hb 1,8-9 à propos de l’intronisation céleste de Jésus. La liturgie des Heures applique le Ps 45 à la fois aux fêtes christologiques (Noël, Annonciation, Présentation) et aux fêtes mariales, c’est-à-dire à la fois à l’Époux, et à Marie et aux saintes, comme représentantes de l’Église Épouse du Christ.

On a donc une spiritualité très riche. L’amour humain contient en germe le mystère qui illumine la relation de tout croyant avec Dieu. Dieu veut se communiquer à chacun comme un époux à son épouse. Cependant, pour le croyant d’aujourd’hui, la spiritualité sponsale ne va pas nécessairement de soi. On comprendra qu’elle a été surtout développée chez les religieuses. En effet, il est beaucoup plus facile pour une femme de se penser « épouse » du Christ. D’ailleurs, les rites de profession religieuse au long des siècles ont souligné cet aspect de diverses manières : la robe ou le voile de mariée lors de la prise d’habit, l’alliance portée au doigt, etc. Mais ce type de spiritualité est beaucoup plus difficile pour les hommes. Certains s’en sont tirés en affirmant que c’est leur « âme » qui est l’épouse du Christ, mais cela ne va pas de soi. Il appartient à chacun, quelle que soit sa vocation, de découvrir les profondeurs de l’amour de Dieu pour lui.

Fr. Hervé Tremblay o.p.
Collège universitaire dominicain
Ottawa

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