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Le psalmiste,

Responsable de la chronique : Michel Gourgues, o.p.
Le psalmiste

Le Psaume 19 B : La gloire de Dieu dans l’univers et dans la loi

Imprimer Par Hervé Tremblay, o.p.

Le Psaume 19 est constitué de deux parties si différentes qu’elles ont souvent été considérées comme deux poèmes indépendants. Le mois dernier, nous avons présenté le Ps 19A, ici nous commentons le Ps 19B et nous discutons le problème de l’unité littéraire.

Ps 19B : La gloire de Dieu dans la loi

8 La loi du Seigneur est parfaite, qui redonne vie;
la charte du Seigneur est sûre, qui rend sages les simples.
9 Les préceptes du Seigneur sont droits, ils réjouissent le cœur;
le commandement du Seigneur est limpide, il clarifie le regard.
10 La crainte qu’il inspire est pure, elle est là pour toujours;
les décisions du Seigneur sont justes et vraiment équitables :
11 plus désirables que l’or, qu’une masse d’or fin,
plus savoureuses que le miel qui coule des rayons.
12 Aussi ton serviteur en est illuminé;
à les garder, il trouve son profit.
13 Qui peut discerner ses erreurs?
Purifie-moi de celles qui m’échappent.
14 Préserve aussi ton serviteur de l’orgueil : qu’il n’ait sur moi aucune emprise.
Alors je serai sans reproche, pur d’un grand péché.
15 Accueille les paroles de ma bouche, le murmure de mon cœur;
qu’il parvienne devant toi, Seigneur, mon rocher, mon défenseur! 

Le Ps 19B chante la Loi, la Torah. Historiquement, cette insistance sur la loi est typique d’une époque tardive du judaïsme. En effet, la théologie de la loi apparaît d’abord dans le livre de Deutéronome (± 620 avant J.C.). Après l’exil (± 538), cette théologie se développe à l’extrême alors que la loi écrite, la Torah, devient le centre de la spiritualité juive. Notre psaume doit donc dater de cette époque. Il est très proche du long Ps 119 qui décrit aussi la splendeur de la loi, chaque partie de 8 versets commençant dans l’ordre par une des 22 lettres de l’alphabet hébraïque et comprenant à chaque verset un synonyme de « loi », pour un total de 176 versets! 

Le genre littéraire du Ps 19B est un psaume de sagesse ou psaume didactique, avec une structure en deux parties : 1- une litanie de la Torah (v. 8-11); 2- le serviteur de la Torah (v. 12-14). La place du v. 11 n’est pas claire, mais le fait que le psalmiste commence à s’adresser à Dieu au v. 12 doit influencer la structure. D’autres proposent plutôt cette division : 1- la loi du point de vue de l’homme (v. 8-10); 2- la loi du point de vue de YHWH et de son action dans l’homme (v. 11-14). Parmi les éléments structurants, on remarquera l’inclusion de « parfait » aux v. 8a et 14c, de même que les sept emplois du tétragramme sacré (YHWH). Si le Ps 19A a employé à dessein « Dieu » une seule fois (v. 2), l’inclusion de YHWH entre les v. 8 et 15, de même que la symbolique du chiffre 7 pourraient être des éléments structurants. D’autres mots se répondent (pas toujours faciles à voir en traduction) : « cœur » (v. 9 et 15), « simple / inadvertance » (v. 8 et 13), « pureté » (v. 9-10 et 13-14), « lumière » (v. 9 et 12). On notera l’idée d’abondance aux v. 11b (« masse d’or fin »). 12b (« grand profit ») et 14d (« grand péché »). La loi de Dieu est très précieuse (v. 11), très profitable (v. 12) et très purifiante (v. 13-14). Les v. 11 et 15 se répondent : dans un mouvement descendant, la loi de Dieu est désirable (v. 11), dans un mouvement ascendant, la loi récitée par le croyant est agréable à Dieu (v. 15). 

La première partie, litanie de la Torah (v. 8-11), mentionne six synonymes de la Loi : « la loi, la charte (v. 8), les préceptes, le commandement (v. 9), la crainte / parole et les décisions (v. 10) ». Chacun de ces courts versets est écrit de la même manière : un substantif désignant la loi, un adjectif la qualifiant, un participe. Par exemple : « La loi de YHWH parfaite, redonnant vie; la charte de YHWH sûre, rendant sages les simples », etc. Cette série est brisée au v. 10 où l’adjectif est remplacé par un autre substantif et le participe par un verbe conjugué : « Les décisions de YHWH vérité, elles sont justes ». Par ce bris de structure, l’auteur veut peut-être indiquer qu’il termine une section. 

Au v. 8, le premier mot du Ps 19B est « Torah ». Faut-il l’entendre ici dans son sens général et étymologique d’ « enseignement », ou dans son sens strict de « loi de Moïse »? Des passages parallèles (Ps 1,2; Dt 31,9-11; Jos 1,7; Né 8,1-18) invitent à opter pour ce dernier sens. Venant de Dieu, la loi est parfaite (cf. Dt 32,4). La « charte » est littéralement le « témoignage » et désigne les clauses de l’alliance. Parce que Dieu est stable et fidèle (d’où vient le mot « amen »), elles sont « sûres », on peut s’y fier pour trouver la sagesse et le bonheur. Au v. 8b il est question de la sagesse donnée aux simples (Pr 8,5; Ps 119,130), c’est-à-dire à l’inexpérimenté de bonne foi, celui qui, dans un esprit de pauvreté et d’enfance s’en remet complètement à Dieu.

Au v. 9 les « préceptes » et « commandements » visent les règles promulguées. Dans la loi de YHWH, l’homme trouve sa pleine satisfaction et apprend comment se conduire. Au v. 9b le commandement divin, source de lumière (« il clarifie le regard »), évoque peut-être le mythe solaire du Ps 19A. La Torah est comme un soleil qui illumine le monde. 

Au v. 10 on a le principal problème textuel du psaume. La lecture « crainte de YHWH », bien attestée dans la tradition manuscrite, brise la série de synonymes des v. 9-10. Certains ont donc suggéré de remplacé la « crainte » par un mot semblable en hébreu « oracle / parole ». Ce seraient les oracles de YHWH qui sont purs et immuables, sans mélange de fausseté ou d’erreur. Si on retient la lecture « crainte » de YHWH, comme la traduction liturgique, on peut comprendre non pas la peur servile mais la crainte inspirée par l’amour, la prise au sérieux de sa foi. Le v. 11 compare la loi à l’or et au miel (Ps 119,72.103.127), deux richesses du monde ancien. 

La deuxième partie du poème introduit le serviteur de la Torah (v. 12-14). La Bible appelle « serviteur » celui qui adhère à la volonté de Dieu, l’identifiant ainsi aux grands personnages de l’histoire biblique comme les patriarches (Gn 26,24; Ex 32,13; Dt 9,27; Ps 105,6.42), Moïse (Ex 14,31; Nb 12,7-8; Dt 34,5), David (2 S 3,18; 7,5.8.26; 1 R 3,6; 8,24-27; 11,32-38) ou les prophètes (Jr 7,25; 26,5; Éz 38,17). Le serviteur suppose moins l’obéissance à un supérieur qu’une appartenance découlant d’un choix. C’est une qualité qui résulte davantage d’un appel à entrer en relations avec Dieu que d’une contrainte à lui rendre des services. Le v. 12 parle encore de la lumière, comme le v. 9d. 

Mais cette loi n’est pas toujours facile à observer. Aussi, le v. 13 se demande comment ne pas l’enfreindre involontairement. Dans son désir de ne pas déplaire à Dieu, le psalmiste admet humblement ses manquements par faiblesse (Lv 4,2.13-14; Nb 15,22-31). On remarque le contraste avec le v. 14 qui parle des fautes délibérées inspirées par l’orgueil. Le psalmiste distingue donc une transgression véritable d’une simple faute par inadvertance. Reconnaissant sa faiblesse, il demande l’aide de Dieu qui lui permettra de ne pas violer délibérément la loi. Les v. 13-14 affirment que la loi prémunit l’homme contre les fautes commises par ignorance et par orgueil, ces deux types synthétisant toute la réalité du péché. Le v. 14 se traduit littéralement « préserve ton serviteur des choses orgueilleuses » que la version grecque a compris « des (dieux) étrangers ». Les commentateurs ont proposé « des arrogants » ou, dans la ligne du grec, « des idoles », puisque le « grand péché » (v. 14d) est sans doute l’idolâtrie.

Dans le verset de conclusion (v. 15), le psalmiste dédicace son poème à Dieu. Que YHWH trouve agréable l’éloge de la loi (v. 8-11) et le témoignage d’attachement à elle (v. 12-14). On remarquera les noms donnés à Dieu à la toute fin « mon rocher, mon défenseur ». Le premier est fréquent dans les psaumes comme proclamation de confiance en Dieu (Ps 18,3.32.47; 28,1; 31,4; 42,10; 62,3.7.8; 71,3; 78,35; 89,28; 92,16; 94,22; 95,1; 144,1). Quant au second, il évoque le rôle juridique du goël, défenseur d’un membre de la famille qui a subi une injustice (Lv 25,25.47-49; Nb 35,19) et que la Bible applique souvent à Dieu, aboutissant à l’idée de rachat ou de rédemption (Is 41,14; 43,14; 44,6.24; 49,7; 59,20; Jr 50,34; Jb 19,25; Ps 72,14; 74,2; 78,35; 103,4; 106,10; 107,2; 119,154).

Ainsi donc, l’observance de la loi, loin d’être un fardeau, est une joie. La Torah n’est pas ici un code de lois accablant, mais un don divin source de vie et de joie. Elle équivaut à l’engagement du Seigneur de l’alliance envers Israël. Le Ps 19B est à la fois contemplation de la parole-loi dans toute sa pureté (v. 8-10) et instruction sur son pouvoir purificateur (v. 11-15). 

Bien que le Ps 19B ne soit jamais cité dans le Nouveau Testament, en relecture chrétienne, la parole et la loi, c’est l’évangile, éminemment désirable et pur, qui guérit de l’orgueil. Dans sa magistrale synthèse de la création et de la révélation en Col 1,15-20, saint Paul présente Jésus Christ comme le premier-né de toute créature (= Ps 19A) et le premier-né d’entre les morts (Ps 19B).

Il reste à parler de l’unité littéraire et à se demander si les Ps 19A et 19B sont du même auteur. Si le Ps 19A semble emprunté au fonds commun de l’orient ancien (mythes solaires, la divinité appelée du terme le plus général « El »), le Ps 19B est typiquement israélite (éloge de la Torah, la divinité appelée YHWH). Le principal argument pour établir l’unité de composition des Ps 19A et 19B est basé sur les récurrences verbales. Aux extrémités du poème, les v. 3-4 et 15 sont unis par le mot « paroles » qui établit un rapport entre la parole inaudible des astres et les paroles du psalmiste. On a aussi le mot « caché » aux v. 7 et 13. La lumière constitue un autre thème commun. De même que la lumière solaire illumine et réchauffe tout, ainsi la lumière qu’est la Loi illumine et réchauffe le cœur de l’homme. De même qu’aucun endroit de l’univers n’échappe à la chaleur solaire, ainsi rien du cœur de l’homme n’échappe à la lumière divine. De plus les deux noms divins, El (v. 2) et YHWH (v. 15) pourraient former une inclusion de tout le psaume. Faut-il faire intervenir la symbolique numérique? « El » est employé une fois seulement (v. 2), alors que le tétragramme sacré (YHWH) est mentionné 7 fois, chiffre symbolique de perfection et de totalité. Ce serait un signe de progression théologique entre l’image inchoative du Dieu de la création, commun à toutes les religions, à l’image achevée du Dieu de l’alliance et de la loi qui représente l’achèvement de la révélation. L’originalité du Ps 19 serait justement l’association du contexte cosmologique avec le contexte éthique de la loi et de l’alliance pour en montrer la parfaite continuité. L’auteur démontrerait que la Torah révèle Dieu d’une manière plus éloquente que le monde astral. Il s’ensuit que le soleil métaphorique, la Loi donnée par YHWH, l’emporte infiniment sur le soleil physique créé par Dieu. 

Malgré ces nombreux points de contacts entre les Ps 19A et 19B, faut-il conclure à l’unité d’auteur? Deux possibilités sont vraisemblables : soit un auteur a composé le Ps 19B pour compléter un poème ancien, le Ps 19A; soit un même auteur aurait composé les deux pièces, Ps 19A et 19B. L’originalité du Ps 19 est justement de mettre en parallèle le Dieu créateur avec le Dieu législateur d’Israël ainsi que la loi cosmique stable et immuable à laquelle les astres obéissent avec à la loi religieuse à laquelle les hommes obéissent. Le chant audible des fidèles récitant la loi est en continuité avec le chant inaudible des astres. Isoler indûment le Ps 19A du Ps 19B ne risque-t-il pas de réduire le Dieu de la révélation au Dieu des philosophes, à un Dieu impersonnel? Dans la liturgie des Heures, on prie séparément les Ps 19A et 19B. Le Ps 19A à la fin de l’office du matin du lundi de la 2e semaine; le Ps 19B à l’heure médiane du lundi de la 1re semaine, la place qui sera réservée tous les autres jours du cycle des quatre semaines aux 22 parties du long Ps 119. C’est regrettable. Pour le psalmiste, en effet, la contemplation de la nature n’a de valeur que si elle conduit au terme du processus de révélation, au Dieu de l’alliance aboutissant à des comportements moraux. Bref, le psalmiste considère que, de même que le soleil ou la lune ne changent jamais leur ordre, le croyant non plus, par un comportement désordonné, ne faussera la voie de Dieu.

Fr. Hervé Tremblay o.p.
Collège universitaire dominicain
Ottawa

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