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Le psalmiste,

Responsable de la chronique : Michel Gourgues, o.p.
Le psalmiste

Psaume 10 : Dresse-toi, Yahvé !

Imprimer Par Marc Leroy, o.p.

 

Lamed 1 Pourquoi, Yahvé, restes-tu loin,
te caches-tu aux temps de détresse ?
2 Sous l’orgueil de l’impie le malheureux est pourchassé,
il est pris aux ruses que l’autre a combinées.

(Mem) 3 L’impie se loue des désirs de son âme,
l’homme avide qui bénit méprise Yahvé,
(Nun) 4 l’impie, arrogant, ne cherche point :
« Pas de Dieu ! » voilà toute sa pensée.

5 À chaque instant ses démarches aboutissent,
tes jugements sont trop hauts pour lui,
tous ses rivaux, il souffle sur eux.

6 Il dit en son cœur : « Je tiendrai bon
il ne m’arrivera jamais aucun malheur. »
(Samek)
Phé 7 Malédiction, fraude et violence lui emplissent la bouche,
sous sa langue peine et méfait ;
8 il est assis à l’affût dans les roseaux,
sous les couverts il massacre l’innocent.

Aïn Des yeux il épie le misérable,
9 à l’affût, bien couvert, comme un lion dans son fourré,
à l’affût pour ravir le malheureux,
il ravit le malheureux en le traînant dans son filet.

(Çadé) 10 Il épie, s’accroupit, se tapit,
le misérable tombe en son pouvoir ;
11 il dit en son cœur : « Dieu oublie,
il se couvre la face pour ne pas voir jusqu’à la fin. »

Qoph 12 Dresse-toi, Yahvé ! Ô Dieu, lève ta main,
n’oublie pas les malheureux !
13 Pourquoi l’impie blasphème-t-il Dieu,
dit-il en son cœur : « Tu ne chercheras point ? »

Resh 14 Tu as vu, toi, la peine et les pleurs,
tu regardes pour les prendre en ta main :
à toi le misérable s’abandonne,
l’orphelin, toi, tu le secours.

Shin 15 Brise le bras de l’impie, du méchant,
tu chercheras son impiété, tu ne la trouveras plus.
16 Yahvé est roi pour toujours et à jamais,
les païens ont disparu de sa terre.

Tav 17 Le désir des humbles, tu l’écoutes, Yahvé,
tu affermis leur cœur, tu tends l’oreille,
18 pour juger l’orphelin et l’opprimé :
qu’il cesse de faire peur, l’homme né de la terre !

(Bible de Jérusalem)


Non seulement le Ps 10 est la suite du Ps 9, mais il constituait autrefois un seul et même psaume alphabétique (cf. Novembre 2008). Le raccord avec le Ps 9 se fait très bien. Le v. 1, en effet, commence par une question rhétorique qui est dans la logique des vv. 20-21 du psaume précédent. À chaque fois, il s’agit d’une invocation vers Yahvé : « dresse-toi, Yahvé » ; « jette, Yahvé » ; « pourquoi, Yahvé ? ». C’est également dans ses trois versets que l’on va trouver le plus de références au mot Yahvé. On trouve mêlées à la jonction des deux psaumes, des revendications individuelles (cf. « le malheureux » au v. 2) et nationales (cf. « les païens » aux vv. 20-21).

Dieu est au loin et ne semble pas réagir aux appels de détresse. On a l’impression que Dieu veut se cacher les yeux et les oreilles pour ne pas voir et pour ne pas entendre comme en Is 1,15 lorsqu’il dit : « Quand vous étendez les mains, je détourne les yeux; vous avez beau multiplier les prières, moi je n’écoute pas. » La prière est souvent un cri lancé vers Dieu. Le croyant s’adresse à lui car il a toute confiance et il sait que Dieu peut l’exaucer. Aussi, lorsque Dieu ne semble pas répondre à la demande formulée, le croyant ne va pas mettre en doute la capacité de Dieu de l’exaucer. Pour lui, Dieu n’a pas voulu entendre sa prière.

C’est ce que nous expérimentons quelquefois dans notre vie spirituelle. À l’heure de l’épreuve, Dieu semble se cacher ou s’être éloigné de nous. C’est comme s’il était tellement loin de nous, tellement haut dans le ciel, que notre prière est incapable de l’atteindre. Cela ne veut pas dire que nous remettons en question l’existence de Dieu ou sa toute-puissance. Mais nous ne percevons plus sa proximité. Cela surprend d’autant plus le psalmiste que Ps 9,9 avait dit que Dieu était un refuge pour les temps de détresse. Nous pouvons aussi noter que la métaphore de la bête traquée, que nous trouvions avec le filet en 9,16, est reprise au v. 2 où le juste est pourchassé par les impies.

Nous avons aux vv. 3-11 une longue description de l’impie qui insiste sur deux points : l’impie cherche à faire du mal au juste et l’impie est celui qui dit dans son cœur « Pas de Dieu ». Dans l’histoire de l’Église, particulièrement au Moyen Âge, la figure de l’impie aura une certaine postérité dans la mesure où elle servira à montrer, dans une société où l’athéisme pratique n’existe pas, que l’existence de Dieu ne relève pas d’une évidence immédiate.

Dans cette description, c’est le juste qui parle de l’impie, c’est le faible qui parle du fort, c’est l’opprimé qui parle de l’oppresseur car le psalmiste est comme le porte-parole des justes, des faibles, des opprimés. Finalement, nous avons là grâce à l’écrit comme une inversion de ce qui se passe toujours dans la vie quand le faible est à la merci du fort. Grâce à l’écrit, le faible est désormais en position de force.

Au v. 3, le psalmiste dit que « l’impie se loue » au lieu de louer Dieu. C’est la première fois que le verbe « louer, prier » en hébreu halal, ce verbe qui va donner Alléluia, fait son apparition dans le Psautier. Mais au lieu de glorifier Dieu, l’impie glorifie les choses qu’il désire. Comme si cela ne suffisait pas pour nous faire comprendre l’usurpation de l’impie, le psalmiste emploie un autre verbe qui est traditionnellement lié à Dieu en le détournant également. C’est le verbe « bénir » qui habituellement est attaché à Dieu car il est la source de toutes bénédictions. L’impie est une personne tellement orgueilleuse qu’il en arrive à s’attribuer des qualités qui ne relèvent que de Dieu, et au bout du compte il en arrive à mépriser Dieu.

Le psalmiste expose un lien entre l’athéisme et l’éthique qui pourrait choquer notre conscience moderne qui ne cesse de rappeler que les chrétiens ne sont pas les seuls, en ce monde, à chercher à œuvrer pour le bien et la vie bonne avec et pour autrui. Pour le psalmiste, l’impie déclare qu’il n’y a pas de Dieu pour pouvoir agir comme il l’entend, pour pouvoir faire des actions mauvaises car il ne risque pas d’être puni, en retour, par Dieu. Nous sommes, avec la Bible, dans un contexte historique, où il est impossible de concevoir une vie droite et vertueuse sans référence au divin.

La pensée de l’impie est proche de celle de beaucoup de nos contemporains et parfois aussi, il faut bien l’avouer, de nous-mêmes. Dieu semble tellement loin là-haut dans le ciel, tellement éloigné de nos préoccupations quotidiennes, que nous arrivons à l’oublier et à vivre comme s’il n’existait pas, ou du moins comme s’il n’agissait pas concrètement dans nos vies. Le problème est que nous ne voyons pas toujours, sur l’instant, quelle est la volonté de Dieu pour nous. Dieu voit plus haut et plus loin que nous. Souvent, c’est seulement après coup que nous comprenons combien Dieu était présent à nos côtés.

On a un peu l’impression que l’impie est dans l’auto-suggestion, il essaye de se convaincre que jamais rien ne lui arrivera (cf. v. 6). Là aussi il est proche de nous dans la mesure où nous voulons nous persuader qu’il ne nous arrivera aucun malheur.

Les vv. 7-10 présentent une description des actes habituels de l’impie tels qu’ils sont perçus du juste. On continue pour les décrire d’employer la métaphore de la chasse. Cela ne veut pas dire que l’impie se cache réellement pour bondir sur le juste tel un fauve sur sa proie. Mais c’est ainsi que le juste perçoit les choses. Il a l’impression d’être sans cesse épié, harcelé par l’impie. Celui-ci, sur le qui-vive, se prépare, rumine en lui-même ses médisances et au moment voulu, tel un lion, il surgit de nulle part et tombe sur le juste.

La métaphore est particulièrement bien trouvée car la médisance et la chasse utilisent toutes deux la bouche et la langue pour arriver à leur fin. Si le mal est sous la langue, cela signifie que les mots qui sont sur la langue sont des paroles amicales. C’est là l’explication de l’expression « sa bouche est pleine de fraude ». Nous connaissons tous, malheureusement, des personnes qui sont aimables en notre présence et qui disent du mal de nous dès que nous avons le dos tourné. Nous avons l’impression qu’ils sont à l’affût de tout pour nous faire tomber et nous prendre dans leurs filets. Le sentiment d’oppression est bien rendu par les sonorités répétées du passage « Il épie, s’accroupit, se tapit ».

Il est intéressant de noter que l’impie fait, au v. 11, une confession de foi lorsqu’il dit « Dieu oublie ». S’il était logique avec son affirmation du v. 4 « Pas de Dieu », il n’aurait pas à se dire maintenant « Dieu oublie toutes les actions mauvaises que je suis en train de commettre ». Comme l’hypothèse de l’existence de Dieu ne semble pas être complètement écartée, l’impie se persuade que Dieu, s’il existe, oublie ce qu’il voit. Sa réflexion est d’une grande naïveté, comme si Dieu pouvait oublier ou même se détourner la face devant nos actions mauvaises. L’impie fait quelque chose de mal en se cachant et il croit que Dieu fait de même, c’est-à-dire qu’il va cacher sa face.

C’est vrai que lorsque nous faisons une action en cachette nous imaginons que Dieu ne la verra pas. En fait, Dieu n’oublie pas, mais il pardonne, et c’est bien cette image d’un Père miséricordieux que Jésus est venu nous révéler de Dieu. On doit noter que la prière du malheureux est l’opposé de ce que se dit l’impie. Le malheureux, l’innocent injustement condamné, persécuté, crie à Dieu de ne pas oublier !

Les mots du v. 11, attribués à l’impie, expriment les craintes du suppliant et le v. 12 invite Dieu à montrer que ce que dit l’impie n’est pas vrai. Dieu ne se cache pas les yeux, il voit le mal commis par l’impie et il n’oublie pas le malheureux. Comme en Ps 9,19, on demande à Dieu de quitter son trône de majesté, c’est-à-dire une certaine passivité, et de se dresser afin d’agir concrètement dans notre vie. Lever la main suggère que l’on va prendre une mesure ferme pour ou contre quelqu’un. Dans la conception du psalmiste, il n’y a pas beaucoup de solutions. Si Dieu veut aider le faible, alors il doit nécessairement s’en prendre à l’impie. Nous ne sommes pas encore arrivés, à l’époque de ce psaume, à ce que Jésus nous apprendra, à savoir le pardon des ennemis.

La conviction de l’impie qu’il peut tout se permettre puisque Dieu, s’il existe, ne voit rien a été réfutée dans le passé. L’expression « Tu as vu » au v. 14 contredit le v. 11 « Dieu se couvre la face pour ne pas voir ». On demande à Dieu d’agir avec justice, de rendre à chacun selon ce qu’il mérite : le secours pour le faible ; la sanction pour l’impie. Comme le montre Ps 71,18 « ô Dieu, ne m’abandonne pas, que j’annonce ton bras aux âges à venir, ta puissance », le bras est ici une image pour dire la force de l’impie, même s’il ne fait pas de doute que le faible se réjouirait de voir Dieu briser réellement le bras de son adversaire, de celui qui a été à l’origine de tant de souffrances physiques et psychologiques. Notons que Dieu ne veut pas la mort de l’impie, mais qu’il cesse ses actions mauvaises.

On peut voir dans les vv. 16-18 un déplacement significatif pour une préoccupation plus communautaire qu’individuelle et une insistance sur la terre, mot qui revient deux fois (cf. vv. 16 et 18), comme si la figure de l’impie devenait représentatif des nations païennes. Il y a un élargissement de la perspective, ce n’est plus moi seul, faible, contre le méchant, mais c’est tout le peuple d’Israël contre les nations païennes. Celles-ci sont impies dans la mesure où elles se trouvent en-dehors de l’Alliance établie entre Dieu et son peuple Israël. Il faut, en conséquence, pour qu’Israël puisse vivre chasser les païens qui sont présents sur sa terre.

On fait, bien sûr, allusion aux récits de conquête de la terre de Canaan promise au peuple d’Israël. Le v. 16 rappelle Ex 15,18 : « Yahvé régnera pour toujours et à jamais » quand les Hébreux se réjouissent de la victoire de Dieu sur ses ennemis, voyant en elle l’assurance que Dieu leur donnerait la terre promise. Le psaume regarde en arrière l’accomplissement de cette promesse. Dieu a entendu les appels d’Israël dans sa faiblesse (cf. Ex 3,7). De plus, le verbe « faire peur, terrifier » que l’on trouve au v. 18 renvoie à plusieurs récits de la conquête de Canaan par le peuple d’Israël (cf. Dt 1,29 ; 7,21 ; 31,6 ; Jos 1,9). Désormais, dit le psalmiste, les nations ne pourront plus faire peur aux nouveaux habitants de la terre promise car Dieu les a fait tous disparaître de la terre.

fr. Marc Leroy, o.p.
École biblique de Jérusalem

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