Lu à l’Office des lectures du Vendredi Saint, le Psaume 2 gagne à être replacé dans le contexte de l’institution royale israélite. L’auteur, professeur d’Écritures Saintes à l’Université Saint-Paul, se livre à l’exercice et nous propose son interprétation de ce chant qui célèbre la gloire eu vrai Roi.
1 Pourquoi ce tumulte des nations,
ce vain murmure des peuples ?
2 Les rois de la terre se dressent,
les grands se liguent entre eux
contre le Seigneur et son messie :
3 « Faisons sauter nos chaînes,
rejetons ces entraves ! »
4 Celui qui règne dans les cieux s’en amuse,
le Seigneur les tourne en dérision ;
5 puis il leur parle avec fureur,
et sa colère les épouvante :
6 « Moi, j’ai sacré mon roi
sur Sion, ma sainte montagne. »
7 Je proclame le décret du Seigneur !
Il m’a dit : « Tu es mon fils ;
moi, aujourd’hui, je t’ai engendré.
8 Demande, et je te donne en héritage les nations,
pour domaine la terre tout entière.
9 Tu les détruiras de ton sceptre de fer,
tu les briseras comme un vase de potier. »
10 Maintenant, rois, comprenez,
reprenez vous, juges de la terre.
11 Servez le Seigneur avec crainte,
rendez lui votre hommage en tremblant.
12 Qu’il s’irrite et vous êtes perdus :
soudain sa colère éclatera.
Heureux qui trouve en lui son refuge !
UN ROI MESSIE
Le Psaume 2 contient plusieurs références au roi et à la royauté. Au début de l’histoire d’Israël, les tribus sont politiquement indépendantes. Leur unité est basée sur la religion, Yahvé étant considéré comme le Roi d’Israël. Mais graduellement, sous la pression des ennemis environnants, les Israélites réalisent que pour survivre ils ont besoin d’un pouvoir centralisé. À cette époque, une telle autorité ne peut être qu’un roi. Mais un problème se pose: comment avoir un roi en Israël puisque Yahvé en est déjà le Roi ?
Grâce à l’intervention des prophètes, on comprend que, tout en ayant Yahvé comme Roi, Israël peut aussi avoir un roi comme les autres nations. Au nom de Yahvé, Samuel oint Saül (1 Samuel 10, 1) et ensuite David (1 Samuel 16, 13). Le roi est ainsi l’oint de Dieu, le mashiah (v. 2 en hébreu, d’où en français « messie »), « consacré par l’onction ». L’oracle du prophète Natân, qui constitue l’alliance davidique, est un autre facteur important dans cette théologie royale. Dieu annonce que le roi infidèle sera personnellement puni ; il assure en même temps David que sa dynastie subsistera à jamais (2 Samuel 7, 1-17). On perçoit ainsi l’importance de l’intronisation d’un nouveau roi en Israël. Pareil contexte permet de comprendre le Psaume 2 : il célèbre l’arrivée d’un nouveau roi en Juda, à Jérusalem. Il est impossible de savoir pour quel roi le psaume a été composé car il peut s’appliquer à n’importe quel successeur du roi David.
UN PSAUME D’INTRONISATION DU ROI
Le Psaume 2 n’est pas une prière ; il est proclamé par le nouveau roi le jour de son intronisation. Il se divise en quatre parties :
A (v. 1-3) Les rois de la terre en révolte
B (v. 4-6) Le Seigneur et le roi
B’ (v. 7-9) Le roi et le Seigneur
A’ (v. 10-12) Les rois de la terre soumis
A. Les rois de la terre en révolte (v. 1-3)
Les rois vassaux profitent souvent de la mort du roi suzerain pour se révolter, avec l’espoir de regagner liberté et indépendance. Après la mort de Salomon, cela survient en Israël. Les tribus du Nord, fatiguées de payer de lourdes taxes, veulent se libérer et retrouver leur autonomie. La rébellion se solde par la séparation en deux royaumes : celui du Nord et celui du Sud (1 Rois 12). Le Psaume 2 parle d’une révolte semblable. On a essayé de la dater en l’identifiant avec tel ou tel mouvement de vassaux contre le roi d’Israël. Mais le psaume parle plutôt d’une révolte à dimension universelle. Même aux jours les plus glorieux de la monarchie, Israël n’a jamais été un empire d’envergure mondiale. Le psaume reprend simplement des clichés du langage royal, peut-être empruntés aux peuples voisins qui, eux, avaient souvent plusieurs vassaux.
Le psaume s’ouvre par un « Pourquoi ». Cette interrogation revient souvent dans la bouche des psalmistes quand ils se plaignent de leur souffrance. Ici, le pourquoi a une portée beaucoup plus large. Comment comprendre ce bouleversement mondial ? Qui peut saisir la raison de ce que font les « nations », « les peuples » ? Le grand « tumulte » n’est qu’un « murmure », le bouleversement des peuples est « vain » ! Ce vain « murmure » de révolte contraste avec le « murmure » de la loi jour et nuit du Psaume 1. Les dirigeants de l’histoire humaine sont les « rois » et les « grands » ; leur révolte est « contre le Seigneur et son messie ». Ces vassaux veulent se libérer de l’autorité du roi de Juda. Mais comme ce roi est l’oint de Dieu, son messie, le rejet de son autorité implique le rejet du Seigneur lui-même. Les acteurs du drame veulent être complètement libérés. Ils clament : « Faisons sauter nos chaînes », « rejetons ces entraves ! »
B. Le Seigneur et le roi (v. 4-6)
La deuxième strophe est structurée de la même manière que la première : d’abord une description des acteurs et ensuite la parole d’un de ceux-ci. Pourtant le contraste entre les deux est fortement marqué : au projet « des rois de la terre » s’oppose le projet de « celui qui règne dans les cieux ». Ces versets rappellent l’épisode de la tour de Babel. Dans leur projet purement humain, ses constructeurs croyaient avoir atteint le ciel. Ironie de l’histoire, le Seigneur descend pour voir ce qu’ils sont en train de faire et anéantit leur projet (Genèse 11, 1-9). Dieu réagit de la même façon à cette révolte des nations : il « s’en amuse », il ironise, il « les tourne en dérision ». Finalement, furieux, il cède à la « colère ». Dieu s’adresse aux rois en révolte en insistant avec autorité : « Moi ! ». Lui seul prend les décisions et détermine l’histoire, peu importe ce que tous les rois de la terre planifient. Le Seigneur qui règne dans les cieux a oint son roi pour régner sur la montagne de Sion. Parce qu’elle est une « montagne », elle se rapproche des cieux où réside le Seigneur ; « sainte », elle est mise à part pour une mission particulière. Elle ne peut être le lieu de révolte des « nations » et des « peuples ». Au contraire, elle est destinée à être le lieu de leur rassemblement : « Il arrivera dans l’avenir que la montagne du temple du Seigneur sera placée à la tête des montagnes… Toutes les nations afflueront vers elle, des peuples nombreux se mettront en marche » (Isaïe 2, 2-5).
B’. Le roi et le Seigneur (v. 7-9)
Dans la deuxième strophe, le Seigneur parle de son roi aux rois en révolte. Maintenant le roi « proclame le décret du Seigneur » à propos de son identité et de sa mission. « Tu es mon fils », écho de la promesse de l’alliance davidique : « Je serai pour lui un père, il sera pour moi un fils. » (2 Samuel 7, 14) Comme dans la deuxième strophe (v. 6), Dieu insiste : « Moi ». Lui seul décide de l’histoire et du roi. Et il le fait « aujourd’hui » même : « Je t’ai engendré ».
En Israël, le roi n’est pas vu comme un descendant direct de Dieu, comme en Égypte, mais devient fils de Dieu par adoption au jour de son intronisation. Fils de Dieu, donc héritier : il lui suffit de demander et le Seigneur lui « donne en héritage les nations » et « pour domaine la terre toute entière. » Le roi, fils de Dieu, reçoit un règne universel qui dépasse de loin la royauté de n’importe quel souverain en Juda.
Dans l’histoire humaine, les rois croient devoir faire la guerre, que c’en soit une de défense ou de conquête. Le roi choisi par Dieu mène une guerre contre les rois révoltés et le Seigneur lui promet : « Tu les détruiras de ton sceptre de fer ». À la place du verbe « détruire », la Bible grecque traduit « paître » ; elle suggère ainsi non pas un roi guerrier mais un pasteur (cf. Psaume 22, 1). Le Seigneur poursuit : « Tu les briseras comme un vase de potier. » Dans la célébration de l’intronisation, le nouveau roi brisait un vase sur lequel était inscrit le nom de l’ennemi. La victoire lui était ainsi assurée.
A’. Les rois de la terre soumis (v. 10-12)
La quatrième strophe met de nouveau en scène les acteurs en révolte. Maintenant, ils sont invités à se soumettre. Puisque le Seigneur, selon son projet, a promis un règne universel au roi, celui-ci lance un ultimatum aux autres rois : « Maintenant ». Il leur stipule ses exigences : « Comprenez », « reprenez-vous » ou « corrigez-vous ». Comprendre ne suffit pas, il faut vouloir se convertir. « Servez le Seigneur avec crainte », avec respect pour la grandeur de Dieu, « rendez-lui votre hommage en tremblant ». L’ultimatum leur est lancé ; à eux de décider ce qu’ils doivent faire pour éviter que le Seigneur ne « s’irrite » et ne laisse éclater sa « colère ». Le Seigneur a déjà parlé dans sa « colère » (v. 5) ; il pourrait lui donner libre cours. Le résultat serait inéluctable : « Vous êtes perdus ». La décision revient aux rois, leur comportement décidera de leur sort.
UNE INTRODUCTION AU PSAUTIER
Que dire de la conclusion du psaume : « Heureux qui trouve en lui son refuge ! » Elle est considérée généralement comme un ajout, peut-être pour adoucir la fin plutôt violente de ce psaume. Centré sur le nouveau roi de la dynastie davidique, le Psaume 2 introduit bien la collection des écrits attribués à David (Psaumes 3 – 40 ; 50 – 71). Cette béatitude forme aussi une inclusion avec celle qui ouvre le Psaume 1 : « Heureux est l’homme… qui se plaît dans la loi du Seigneur. » (v. 1-2) Certains croient que naguère les Psaumes 1 et 2 n’en formaient qu’un, introduisant tout le psautier. Dépourvus de titres, ils chantent tous deux le cœur de la foi d’Israël : la Torah (Psaume 1) et le roi (Psaume 2). En d’autres mots, les deux grandes alliances vétérotestamentaires, celle du Sinaï avec le don de la loi et celle de David avec la promesse de la permanence de sa dynastie.
UN PSAUME MESSIANIQUE
Un changement de gouvernement va souvent de pair avec des espoirs de meilleures conditions de vie. En Israël, l’intronisation d’un nouveau roi, d’un autre « messie », fait rêver d’un monde meilleur. Si un roi a déçu, on met tous ses espoirs dans son successeur. Déçu du comportement du roi Achaz, le prophète Isaïe annonce la venue de son successeur dans l’oracle de l’Emmanuel (Isaïe 7). Après la destruction de Jérusalem et la disparition de la royauté, Israël continue à rêver, non plus pour la venue d’un autre « messie » mais pour la venue du « Messie », celui qui assurera la victoire sur tous les ennemis du Seigneur et de son peuple. La tradition juive donne ainsi au Psaume 2 une interprétation messianique, comme au Psaume 109 qui lui ressemble.
Voyant dans Jésus de Nazareth ce « Messie » (en grec Christos), les premières communautés chrétiennes relisent le psaume qui prend alors un sens nouveau. Pierre et les apôtres, persécutés par les « grands de la terre », proclament que les ennemis, païens et juifs, se sont ligués en vain contre le Seigneur et son messie pour le faire mourir, car il est ressuscité (Actes 4, 25-26). Comme le Seigneur dit au roi « Tu es mon fils », ainsi le Père déclare la filiation de Jésus à son baptême (Luc 3, 22). Les apôtres proclament que, à la résurrection, Dieu manifeste une fois de plus la filiation divine du Christ en lui donnant une royauté universelle (Actes 13, 33 ; Hébreux 1, 5 ; 5, 5). Dans l’Apocalypse, la victoire promise au roi (Psaume 2, 8-9) est également promise à chaque personne restée fidèle au service du Seigneur jusqu’à la fin (2, 26-27 ; cf. 12, 5 ; 19, 15).
Cette révolte « contre le Seigneur et son messie » du psaume royal a d’abord été comprise dans un sens messianique, puis christologique, et enfin ecclésiologique. L’Église du Christ a souvent été attaquée et persécutée par les rois et les grands de la terre mais en vain.
Dans un monde marqué par le terrorisme et le contre-terrorisme, la grande question de ce psaume semble plus actuelle que jamais : « Pourquoi ce tumulte des nations ? ». La conclusion du psaume offre peut-être une réponse : « Heureux qui trouve en lui [le Seigneur] son refuge !