Auteur : L’écrivain catholique Barbey d’Aurevilly confia un jour à Charles Baudelaire que Joris-Karl Huysmans (1848-1907) aurait à choisir un jour entre « la bouche d’un pistolet ou les pieds de la croix », entre le suicide et la conversion. L’écrivain décadent s’intéressa peu à peu à la religion et c’est par les voies de la mystique et de l’architecture gothique qu’il rencontra le Christ, séjourna dans différentes monastères et vint s’établir aux portes de l’abbaye fondée par Saint Martin à Ligugé avant que les religieux soient chassés par les lois laïques de 1901 et 1905. Premier d’une série prestigieuse d’écrivains français convertis au catholicisme, Huysmans est un auteur incontournable de la littérature.
Ah! la vraie preuve du Catholicisme, c’était cet art qu’il avait fondé, cet art que nul n’a surpassé encore! C’était, en peinture et en sculpture les primitifs; les mystiques dans les poésies et dans les proses; en musique, c’était le plain-chant; en architecture, c’était le roman et le gothique. Et tout cela se tenait, flambait en une seule gerbe, sur le même autel; tout cela se conciliait en une touffe de pensées unique: révérer, adorer, servir le Dispensateur, en lui montrant, réverbéré dans l’âme de sa créature, ainsi qu’en un fidèle miroir, le prêt encore immaculé de ses dons.
Alors, dans cet admirable Moyen Age, où l’art, allaité par l’Eglise, anticipa sur la mort, s’avança jusqu’au seuil de l’éternité, jusqu’à Dieu, le concept divin et la forme céleste furent devinés, entr’aperçus, pour la première et peut-être pour la dernière fois, par l’homme. Et ils se correspondaient, se répercutaient, d’arts en arts.
Les Vierges eurent des faces en amandes, des visages allongés comme ces ogives que le gothique amenuisa pour distribuer une lumières ascétique, un jour virginal, dans la châsse mystérieuse de ses nefs. Dans les tableaux des primitifs, le teint des saintes femmes devient transparent comme la cire pascale et leurs cheveux sont pâles comme les miettes dédorées des vrais encens; leur corsage enfantin renfle à peine, leurs fronts bombent comme le verre des custodes, leurs doigts se fusèlent, leurs corps s’élancent ainsi que de fins piliers. Leur beauté devient, en quelque sorte, liturgique. Elles semblent vivre dans le feu des verrières, empruntant aux tourbillons en flammes des rosaces la roue de leurs auréoles, les braises bleues de leurs yeux, les tisons mourants de leurs lèvres, gardant pour leurs parures les couleurs dédaignées de leurs chairs, les dépouillant de leurs lueurs, les muant, lorsqu’elles les transportent sur l’étoffe, en des tons opaques qui aident encore par leur contraste à attester la clarté séraphique du regard, la dolente candeur de la bouche que parfume, suivant le propre du temps, la senteur de lis des cantiques, ou la pénitentielle odeur de la myrrhe des psaumes.
Il y eut alors entre artistes une coalition de cervelles, une fonte d’âmes. Les peintres s’associèrent dans un même idéal de beauté avec les architectes; ils affilièrent en un indestructible accord les cathédrales et les saintes; seulement, au rebours des usages connus, ils sertirent le bijou d’après l’écrin, modelèrent les reliques d’après la châsse.
Comment était-il redevenu catholique, comment en était-il arrivé là?
Et Durtal se répondait : je l’ignore, tout ce que je sais, c’est qu’après avoir été pendant des années incrédule, soudain je crois.
Voyons, se disait-il, tâchons cependant de raisonner si tant est que, dans l’obscurité d’un tel sujet, le bon sens subsiste.
En somme, ma surprise tient à des idées préconçues sur les conversions. J’ai entendu parler du bouleversement subit et violent de l’âme, du coup de foudre, ou bien de la foi faisant à la fin explosion dans un terrain lentement et savamment miné. Il est bien évident que les conversions peuvent s’effectuer suivant l’un ou l’autre de ces deux modes, car Dieu agit comme bon lui semble, mais il doit y avoir aussi un troisième moyen qui est sans doute le plus ordinaire, celui dont le Sauveur s’est servi pour moi. Et celui-là consiste en je ne sais quoi; c’est quelque chose d’analogue à la digestion d’un estomac qui travaille, sans qu’on le sente. Il n’y a pas eu de chemin de Damas, pas d’événements qui déterminent une crise; il n’est rien survenu et l’on se réveille un beau matin, et sans que l’on sache ni comment, ni pourquoi, c’est fait.
Oui, mais cette manoeuvre ressemble fort, en somme, à celle de cette mine qui n’éclate qu’après avoir été profondément creusée. Eh! Non, car, dans ce cas, les opérations sont sensibles; les objections qui embarrassaient la route sont résolues; j’aurais pu raisonner, suivre la marche de l’étincelle le long du fil et, ici, pas. J’ai sauté à l’improviste, sans avoir été prévenu, sans même m’ être douté que j’étais si studieusement sapé. Et ce n’est pas davantage le coup de foudre, à moins que je n’admette un coup de foudre qui serait occulte et taciturne, bizarre et doux. Et ce serait encore faux, car ce bouleversement brusque de l’âme vient presque toujours à la suite d’un malheur ou d’un crime, d’un acte enfin que l’on connaît.
Non, la seule chose qui me semble sûre, c’est qu’il y a eu, dans mon cas, prémotion divine, grâce.
Mais, fit-il, alors la psychologie de la conversion serait nulle? Et il se répondit:
Ça m’en a tout l’air, car je cherche vainement à me retracer les étapes par lesquelles j’ai passé; sans doute, je peux relever sur la route parcourue, çà et là, quelques bornes: l’amour de l’art, l’hérédité, l’ennui de vivre; je peux même me rappeler des sensations oubliées d’enfance, des cheminements souterrains d’idées suscitées par mes stations dans les églises; mais ce que je ne puis faire, c’est relier ces fils, les grouper en faisceau; ce que je ne puis comprendre, c’est la soudaine et la silencieuse explosion de lumière qui s’est faite en moi. Quand je cherche à m’expliquer comment, la veille, incrédule, je suis devenu, sans le savoir, en une nuit, croyant, eh bien! Je ne découvre rien, car l’action céleste a disparu, sans laisser de traces.
Il est bien certain, reprit-il, après un silence de pensée, que c’est la Vierge qui agit dans ces cas-là sur nous; c’est elle qui vous pétrit et vous remet entre les mains du Fils; mais ses doigts sont si légers, si fluides, si caressants que l’âme qu’ils ont retournée n’a rien senti.
Par contre, si j’ignore la marche et les relais de ma conversion, je puis au moins deviner quels sont les motifs qui, après une vie d’indifférence, m’ont ramené dans les parages de l’Eglise, m’ont fait errer dans ses alentours, m’ont enfin poussé par le dos pour m’y faire entrer.
Extraits de Pages catholiques (1900)