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Responsable de la chronique : Denis Gagnon, o.p.
Billet hebdomadaire

Déjà la cognée…

Imprimer Par Denis Gagnon, o.p.

6 décembre 2015

On était aux premiers jours de décembre. Le vieux Baptiste avait oublié sa hache au pied d’un érable dans la sucrerie du cinquième rang. Et, depuis trois nuits, l’arbre et l’outil entretenaient une conversation animée et rude comme la saison.

Les mots de la hache tranchaient avec autant de vivacité que son fer :

– Va falloir que tu te réveilles, mon grand fainéant!

– Dérange-moi pas, toi!

– T’as rien donné au printemps dernier. Baptiste a essayé ses chalumeaux à trois ou quatre places. Tu ne t’es même pas forcé pour donner une goutte de sève.

– Puis? Je n’aurais pas le droit de me reposer de temps en temps? Les nuits étaient tellement fraîches que j’avais besoin de tout le soleil de la journée pour me réchauffer l’écorce. Le reste de la sucrerie produisait déjà amplement.

– Et la solidarité, qu’est-ce que t’en fais? On ne remplit pas le réservoir en s’en remettant aux autres. Chacun doit faire sa part.

– Quelques litres de plus ou de moins, ça change pas grand-chose.

– Et si ces quelques litres de plus donnaient le pain de sucre qui sortirait Édouard de sa dépression, ou le sirop qui adoucirait la pneumonie de la belle Agnès. Si tu gardes tout pour toi, tu vas pourrir par en dedans. Un arbre pourri, c’est un arbre mort. Ta seule chance de vivre, c’est de donner. Si tu perds, tu gagnes. C’est la loi de la vie. C’est la loi de l’amour.

Les mots étaient graves, le ton solennel. La lune s’empressa d’approuver avec un clin d’œil au coin du fer de la hache. Le vent ramassa les dernières paroles pour les chuchoter entre les branches du grand érable :

-Ta  seule chance de vivre, c’est de donner. Si tu te perds, tu gagnes. C’est la loi de la vie. C’est la loi de l’amour.

Au bruit des voix, une vieille corneille s’était réveillée. Elle ouvrit le bec et, en bonne catholique, ajouta :

-Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu.

En frissonnant, elle déploya ses ailes et s’envola du côté de la rivière, là où le soleil avait l’habitude de se lever vers les six heures du matin.

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