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Responsable de la chronique : Jacques Sylvestre, o.p.
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Jean-Claude Guillebaud : Je n’ai plus peur

Imprimer Par Jacques Sylvestre, o.p.
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Jean-Claude Guillebeaud : Je n’ai plus peur

« Pourquoi le nierais-je, nous interpelle d’emblée Jean-Claude Guillebaud? L’optimisme têtu qui éclaire ma vie n’est pas une donnée naturelle, ni un privilège de naissance. Longtemps j’ai été habité par des peurs. De loin en loin, elles me narguent encore comme des ennemis tenues à distance.

Si je les évoque ici, c’est tout simplement pour raconter comment j’en suis venu à bout. Aujourd’hui, une joie m’habite et me fait tenir debout. Il me semble urgent  de partager cette leçon apprise en chemin : l’espérance fait reculer la peur. Toujours. » C’est en ces termes que Jean-Claude Guillebaud présente son dernier livre : « Je n’ai plus peur ». Et comme l’exprime si bien l’éditeur : « Jamais l’auteur ne s’était livré avec autant de confiance. Ses questions et ses blessures sont les nôtres.

Porté par la joie, ce livre en appelle, page après page, à l’enchantement d’être vivant ». « Je n’ai plus peur », Jean-Claude Guillebaud prélude : « Une joie m’habite aujourd’hui. Dans ces pages, je ne cherche pas à exhiber « un misérable petit tas de secrets », mais simplement dire comment je suis venu à bout de ces peurs, qui, surmontées, ont fait naître une espérance que tout m’invite à partager.  Une chose me parait plus urgente : évoquer l’espérance qui habite toujours quelqu’un de nous.» Non sans une pointe de malice, l’auteur évoque un souvenir : Difficile d’échanger avec quelqu’un sur le sujet lorsqu’il importe avant tout de « terminer son bridge ». Et de révéler par la suite, l’audition de la « Suite pour clavecin en la mineur» de Jean-Philippe  Rameau, composée  en1706,  me ramena à une conviction : puisque des choses comme celles-là existent dans le monde, alors les malheurs qui nous arrivent n’ont aucune importance. J’ai vu simplement cet épisode comme une preuve de notre indéracible capacité d’espérance… 

Confesser une peur, reconnaître notre fragilité,  c’est tendre une main à l’autre, lui rappeler notre commune humanité. Ce détour par l’aveu nous permet effectivement de partager l’espérance.» Quelles sont donc ces peurs dont voudrait nous prévenir sinon nous guérir Jean-Claude Guillebauld ? Elles me semblent toutes de très grande actualité. L’un ou l’autre des lecteurs les trouvera bien au pilori. « Pour ce qui me concerne, tout se ramène à des questions simples.» C’est ainsi que Jean-Claude Guillebaud aborde un sujet longuement et péniblement vécu, Pourquoi suis-je si sensible à l’inégalité ? Comment expliquer mon allergie au dogmatisme ? De quelle façon ai-je échappé au désespoir ? Qu’est-ce qui m’incline parfois au pire anéantissement ? Comment deux ou trois fois n’y ai-je pas sombré pour de bon ?»

Chacun  ne construit-il pas ainsi  son rapport au monde ?  Nous cherchons  la vérité. Pour le moment, chacun attend pouvoir s’accrocher à une apparence de certitude. Le relativisme règne autour de nous comme un vide irrespirable. Pourtant, il nous faut bien croire en quelque chose. Pour Jean-Claude Guillebaud, la mère de toute les peurs fut la question algérienne. Il venait d’avoir dix-huit ans, les circonstances l’ont alors condamné à voir non pas une vérité mais deux.

Enfant tardif, né d’un père charentais et d’une mère « pied-noir », enfant du divorce et confié à sa mère, il dut vivre à cheval sur deux visions du monde, deux totalités. « Cette ambivalence des vérités a laissé tant de traces en moi : le point de vue de l’adversaire m’intéresse toujours et j’ai souvent peur que cette curiosité bienveillante n’ébranle en moi la fermeté d’un engagement et ne fasse de moi un agent double. Comme journaliste, je me suis toujours laissé guider par un fantasme de conciliation. Ainsi à force de vouloir réconcilier tout le monde, je m’interdisais de penser avec fermeté et d’entretenir une pensée molle, source fréquente de fanatisme. Elle conduit rarement à une vérité qui devienne, selon l’expression de Kierkegaard, une idée pour laquelle je veuille vivre et mourir. »  Peut-on imaginer plus sage réflexion !

Autre peur, une société qui se défait. Le métier de journaliste a permis à Jean-Claude Guillebaud de voir de ses propres yeux plusieurs sociétés se défaire.  « J’en ai gardé au fond de moi, une appréhension particulière ». Citant Camus, il écrit : « Chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne pourtant sait qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. ».

Jean-Claude Guillebaud a du mal  à écouter ceux qui ne savent pas qu’une débâcle est toujours imaginable. « Cette vulnérabilité collective m’a longtemps tourmenté.  Nous sommes des êtres de relations… Cela nous interdit de nous construire nous-même.» Lequel d’entre nous ne resterait pas accroché à l’éternel diagnostique ? L’humanité a su accomplir des progrès, mais elle reste toujours aussi impuissante à résoudre son problème essentiel : comment gérer la rivalité, la  violence entre les êtres humains. Comment faire obstacle à l’accumulation de la puissance illimitée et potentiellement autodestructrice sur les hommes  et la nature ?

Une autre peur obsède J.C.G.,  l’avènement d’un monde sans frontières. N’importe quel être humain a besoin d’être quelque part. Or l’identité est aujourd’hui en détresse. Nous avons à choisir entre être des « hommes-lieux » qui font prévaloir l’enracinement ou des « hommes flottant » qui donnent préférence à l’errance à tout point de vue. Si le défi existe, il n’est jamais facile de le relever. Guillebaud ne man que pas d’ébranle certes notre « tranquille paix » d’occidentaux : sa peur face au plaisir de la violence, contagieux comme une peste. Peu résiste à cette contagion ludique attachée à la guerre. Et d’ajouter l’auteur : « les guerres existent pour quantité de raisons, mais d’abord parce que les humains y prennent du plaisir. » À moins que ce ne soient pour des raisons purement économiques, telles pour une part les premiers et deuxièmes grands conflits du siècle. Source de peur, faut-il souligner non moins l’inattention, l’égoïsme des adultes, l’injustice faite aux enfants, en somme toutes profanations de l’enfance,  qui font naître et entretiennent en nous le goût de la fuite.

Cette peur obséda J.C.G. durant de longues années et engendre présentement l’un des insolubles et plus tenaces problèmes de notre univers. L’auteur confesse que de toutes les peurs qui l’ont longtemps taraudé, la pire fut celle de l’échec, du ratage, de la défaillance. Elle troublait son sommeil et serrait même sa poitrine comme un début d’infarctus. La société semble  conduite par l’obsession de la réussite, en un mot de la richesse qui en est le symbole. « Quand il est question d’argent, j’ai du mal à décolérer. Je ne suis pas un enfant de pauvre, mais j’ai toujours connu ce qu’on appelait la « gêne ». J’appartiens à une génération, la dernière sans doute, qui a dû s’accoutumer à une infinité de privations ou, dans le meilleur des cas, de précautions régissant la vie quotidienne… Et tandis que nous célébrons l’accumulation de richesses, nous acceptons d’un même mouvement, de faire du gaspillage une vertu macroéconomique.  On pousse aujourd’hui à produire plus,  quitte à détruire notre planète.  La pauvreté n’est pas une simple affaire sociale, elle concerne au premier chef la dignité humaine. La condescendance affichée aujourd’hui à l’endroit des pauvres devient aujourd’hui une forme de décivilisation. »

Et Jean-Claude Guillebaud de conclure de façon séduisante :  « Quand j’écris « je n’ai plus peur », je ne crois pas tricher. Les peurs ont suffisamment reculé, et les blessures se sont assez refermées pour laisser au-dedans de moi toute sa place à la gaieté. Je serai bientôt septuagénaire et la flamme de la « petite espérance » n’a pas faibli. Au contraire, il me semble que la joie qui éclaire mes petits matins est plus entêtée que jamais ». Et  d’avouer très honnêtement : « Je n’ignore pas qu’au bout du chemin une grande peur m’attend qui ne ressemble à aucune autre. Je sais d’avance que cette peur  aura le dernier mot. Toute la question est de savoir comment nous cheminerons vers elle. Pourvu que, comme Blanquette, la petite chèvre d’Alphonse Daudet, je tienne jusqu’au matin, pourvu que je reste vivant jusqu’au bout.  Si la vraie sagesse, c’est de rester vivant jusqu’à la fin, il n’y a pas trente-six solutions. Une seule méthode peut  vaincre nos peurs, elle se résume en trois mots : habiter son âge. C’est sur cet idéal que se termine le récit d’une vie :  Habiter son âge. 

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Jean-Claude Guillebeaud. Je n’ai plus peur. Récit. L’Iconoclaste. Paris 2013

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