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Attente et naissance (2e partie)

Imprimer Par Adrienne von Speyr

Née à la Chaux-de-Fonds (Suisse). Fille d’un médecin protestant. Médecin elle-même, mariée, mère de famille, elle se convertit au catholicisme en 1940, suite à sa rencontre avec le père Hans Urs von Balthasar. Avec la collaboration de ce dernier —pendant vingt-sept ans— elle fonde un institut séculier et publie une œuvre théologique considérable (environ soixante volumes) d’une grande richesse spirituelle et biblique. Elle meurt à Bâle en 1967.

[…] Cette attente est donc une préparation à la souffrance. Rien tout d’abord n’est encore visible de la Passion. Seules apparaissent les épreuves que doit « endurer » toute grossesse. La conception par l’Esprit était déjà une épreuve ; celle-ci s’accroît durant l’attente de la naissance, pour être dépassée encore par la naissance elle-même. Et ce qu’elle endure passivement en se laissant faire devient une préparation immédiate au chemin de la Croix. Dans ce crescendo qui va de simples épreuves de la Passion concrète, il n’y a pas seulement un renforcement de la passivité mais aussi de l’activité. Car il est exigé de la Mère une disponibilité toujours plus grande, une conformité toujours croissante. Elle n’endure pas seulement la souffrance, elle l’embrasse de toute son âme, elle l’approuve, elle y coopère comme un cadeau que Dieu fait à son âme. Elle l’accueille comme si elle n’avait jamais attendu autre chose, comme si ce cadeau était le comble de ses désirs. L’accueil actif de la souffrance s’intensifie à la mesure de son abandon passif. Dès le moment où elle attend l’Enfant, elle est prête à donner aux hommes son Fils ; et on se sert sans cesse de sa disponibilité. Elle le donne déjà constamment pendant qu’elle l’attend. II n’y a pas dans sa vie un moment de pure attente qui serait suivi ensuite du pur état de la mère qui a accouché pour faire place finalement à ce bout de chemin allant à la Croix. Bien au contraire, la Mère donne le Fils sans interruption au monde et au Père, à quelque moment de sa vie qu’elle se trouve. Elle se veut tellement dans la main du Père, du Fils et de l’Esprit que même au temps où elle le forme et l’abrite en elle, elle ne considère jamais son Fils comme sa propriété, qu’elle se sait uniquement au service d’une mission qui la dépasse de loin.
C’est pourquoi on ne peut pas dire non plus que dans sa mission il y a quelque part un arrêt, un moment de repos, de détente, une interruption. Elle ne peut jamais déposer cette mission, comme on dépose un fardeau trop lourd, pour se reprendre un peu. Elle fait tellement un avec sa mission qu’elle ne trouve de repos qu’en elle, c’est-à-dire à l’intérieur de l’exigence divine. Tout ce qu’elle reçoit elle doit aussitôt l’utiliser dans le sens de sa mission, et donc le transmettre à Dieu et au monde.

Chaque fois qu’elle discerne quelque chose et le comprend, ce discernement est fait de telle manière qu’il est revendiqué par Dieu. Non seulement pendant la Passion, mais de tout temps, aussi longtemps qu’elle a eu le Fils, elle a vécu dans cet état de « reddition » du Fils. Toutes ses expériences ne sont pas purement temporelles, déterminées seulement par le déroulement de sa vie dans le monde- Elles participent mystérieusement à la temporalité surnaturelle des expériences du Fils. Cette exigence continuelle de devoir abandonner le Fils la met ainsi constamment dans la situation du donneur. En tant que Mère dans le monde, déjà, elle sait que Dieu donne les enfants pour les reprendre plus tard. Mais comme Mère du Fils éternel, elle apprend comment le Père éternel lui prend éternellement ce Fils qu’il lui donne éternellement. Et en acceptant à son tour d’elle le Fils, il lui prodigue en même temps sa présence toujours plus grande : la présence du Dieu trinitaire. A la place d’une intimité humaine avec ce Fils qui va naître, il la fait participer à l’intimité infinie du Père et du Fils, à laquelle il l’initie en tant que Mère de son Fils. Tout amour appelé à durer doit consentir à cette dilatation du subjectif dans l’objectif. Une fiancée, une épouse humaine doit aussi se laisser de bonne grâce initier aux intérêts de son mari et comprendre que partager ses pensées personnelles est une voie pour mieux le connaître et l’aimer. C’est là qu’elle doit le trouver et chercher à le trouver, et non exclusivement dans leurs rapports conjugaux.

Or c’est ainsi que Marie est entraînée, par-delà son intimité personnelle avec l’Enfant, dans les profondeurs des mystères entre le Père et le Fils. Il lui est par là donné en partage l’indifférence parfaite et c’est véritablement de ce qui appartient au Père et au Fils qu’elle peut seulement vivre encore. Plus jamais elle ne cherchera quelque chose pour elle-même, une chose qu’elle pourrait avoir et obtenir en propre du Fils ; elle devient si indifférente à elle-même qu’elle veut uniquement ce qui lui est donné. Son initiation progressive à la relation du Père et du Fils n’est rien que l’exacte réponse à sa propre offrande : « Qu’il me soit fait selon ta parole ». parce que cette offrande elle-même émane déjà de l’amour actif de cette relation entre le Père et le Fils. Dieu exauce son renoncement à elle-même en le prenant au sérieux.

En Marie se résume tout espoir du monde. La Rédemption est promise à l’humanité ; son Sauveur est déjà présent, caché en son sein. Mais est-ce qu’un être humain pourra enfanter le Fils de Dieu ? Est-ce que l’attente du monde va suffire pour porter à son terme la promesse de Dieu ? Ce n’est pas que la foi de Marie aurait fait défaut. Mais sa foi pendant son attente doit participer à l’obscurité de la foi du Fils sur la Croix, lui qui, en assumant ce mystère de sa Mère, enfantera dans la déréliction totale et la nuit de l’esprit le monde nouveau et la Rédemption. Les deux mystères, celui de l’Avent et celui de la Croix, se comprennent mutuellement. Dans son Avent, la Mère participe par avance aux douleurs spirituelles de l’enfantement de son Fils, en y assumant son rôle féminin de co-rédemptrice.

Ainsi, elle vit l’Avent dans le crépuscule séparant l’Ancienne Alliance de la Nouvelle. Dans l’Ancienne Alliance, un enfant servait à la famille, à la tribu, et les soins que la femme donnait à l’enfant étaient un service rendu à sa communauté. Enceinte, le souci de la femme était de pouvoir mettre au monde un enfant qui soit utile à sa tribu, à sa race. Mais pour le Fils de Marie, la tribu de l’Ancienne Alliance s’élargit à l’Église et au monde. Et le service de Marie est un service qu’elle rend au monde. Sera-t-elle à la hauteur de ce service ? Comment cette angoissante question pouvait-elle ne pas s’élever dans son cœur ? Elle aurait pu ne pas sentir cette crainte. Elle aurait été libre de rester dans l’état radieux où la mettait son oui, car elle n’avait pas à subir la punition d’Eve. Mais elle laisse Dieu transformer son oui en service à l’Enfant. Le oui lui-même avait été grand, large, aisé. L’ange médiateur entre Dieu et elle était l’expression de la splendeur de ce oui. Mais maintenant l’ange a disparu et le oui ne resplendit plus. Dieu s’en sert dans le sens de la Rédemption du Fils. Il est soumis à l’austérité d’un service effacé, ordonné à la Croix que le Fils porte en représentation de l’humanité.

Mais de même que la semence qui a été déposée en elle par l’Esprit Saint a pénétré de manière spirituelle son sein maternel, le fruit mûr, le Fils, lui non plus ne quittera pas son sein de façon naturelle. Pas plus que la conception, la naissance du Fils ne va violer sa virginité. Le mystère de l’Avent qui s’intensifie à l’approche de la naissance ne se transforme pourtant pas en douleurs pendant et après la naissance ; car le Fils quitte son sein de manière aussi spirituelle qu’il y est entré, comme, plus tard, il entrera et sortira à travers les portes closes de la salle de la Cène et de l’Église. Sans doute l’attente de Marie, qui récapitule tous les espoirs angoissés et douloureux du monde, peut-elle s’intensifier comme la grande vigile qui prépare la Nativité, mais à la naissance elle-même, elle va se transformer en pleine Joie de la Noël où la Mère peut non seulement accueillir l’Enfant comme le don parfait du Père, mais même coopérer, dans la joie suprême, à son enfantement Ce que Marie, sous le voile de la foi ne pouvait qu’attendre pendant la grossesse avec assiduité et patience lui est donné maintenant avec une joie qui dépasse infiniment toute attente, cela parce qu’aussi elle reconnaît à présent combien féconde sa propre foi est devenue pour Dieu lui-même. Ce qu’elle met au monde à Noël n’est pas seulement le fruit de son sein ; c’est aussi le don que, de la plénitude de sa fécondité virginale, elle offre à Dieu et aux homme, dans la reconnaissance débordant de son âme et de son corps.

Ni l’angoisse de l’attente ni la joie de la naissance ne portent atteinte à son intégrité. Celle-ci reste au contraire constamment la condition de possibilité même de ces souffrances autant que de cette joie. Seulement, par cette intégrité, elle échappe à la malédiction du péché originel et obtient ce qui avait été promis à Eve au Paradis mais perdu par sa faute : l’union de la virginité et de la fécondité. Pour Marie, la virginité n’a de sens que pour autant qu’elle garantisse une plus grande fécondité pour Dieu : c’est à lui qu’elle remet son intégrité pour qu’il la façonne à son bon plaisir. Et Dieu se sert de son abandon pour en faire une fécondité surabondante et surnaturelle. C’est un don réciproque : la virginité immuable de Marie est un don que lui fait son Fils et qu’elle lui rend pour permettre à l’Esprit de la couvrir de son ombre et laisser s’accomplir la grossesse, mais que le Fils lui restitue avec reconnaissance, pour la posséder aussi pendant sa maternité comme l’Epouse éternellement vierge.

Et Marie .peut faire rayonner quelque chose de ce privilège sur d’autres femmes. Il y a des femmes qui ont mis au monde des enfants, peut-être même beaucoup, et qui pourtant ont gardé l’esprit vierge. Elles ont choisi le mariage et rempli fidèlement leurs devoirs conjugaux. Mais arrivées à l’âge où elles ne peuvent plus avoir d’enfants, elles retrouvent l’essence virginale de leurs années de virginité. Peut-être leur mari n’a-t-il plus besoin d’elles, peut-être les époux se sont-ils mis d’accord ou peut-être Dieu leur a-t-il donné l’esprit de renoncement Ce qui les anime là, c’est certainement une grâce mariale. Comme si celle qui a toujours été Vierge en même temps que Mère pouvait gratifier d’une sorte de retour à la virginité, non pas physique mais spirituelle. Ce qu’il y avait dans le mariage est comme voilé dans l’oubli et ce voile est un voile de grâce.

Que Dieu donne les enfants pour les reprendre, Marie ne le sait pas seulement d’un savoir humain, mais bien plus encore par sa connaissance du Fils dans la foi. Car son Fils est celui qui vient du Père et retourne au Père. Elle n’a été investie de sa maternité que pour pouvoir donner au Père ce Fils comme un Fils fait homme. Mais elle le donne à Dieu tout en respectant sa volonté qui est de s’abandonner au monde. Ainsi à Noël, elle le donne à la foi au monde et au Père. Elle le donne au monde crée par Dieu pour qu’il puisse être sauvé et elle le donne au Père pour qu’il sauve le monde. Dans un tel acte, elle accomplit une double mission : elle fait don de son Fils unique à Dieu et au monde : au monde qui réclame à grands cris la Rédemption, et à Dieu qui aspire à son retour. Elle se tient au foyer de ce double appel à la Rédemption, celui de Dieu et celui du monde.

L’attente qui était une plénitude cachée devient à la naissance de Fils une plénitude manifeste. La promesse a pris forme dans l’apparition du Dieu incarné. La mère qui l’a mis au monde et le serre dans ses bras porte l’Enfant que son corps a formé, mais elle porte aussi son Dieu en qui elle croit, ce Dieu qui a façonné et lui a donné toute sa foi. Ainsi sait-elle aussi qu’à l’avenir elle devra vivre davantage pour la foi que pour l’Enfant, pour Dieu que pour le Fils, et que, devenue la Mère du Fils unique, elle doit devenir la Mère de tous.

Dans la conception il n’y avait rien de sensible; il n’y avait que la foi. Maintenant elle serre l’Enfant dans ses bras. C’est déjà là un développement prodigieux du petit grain de moutarde de la foi. Mais bien plus important sera le progrès qu’il faut encore attendre ; le pas qui mène de la crèche à la Croix, de l’Enfant à l’humanité. Cette ouverture est aussi pour Marie le véritable mystère de la Nativité.

Et de même que la Mère est devenue féconde pour recevoir le Fils, elle devient désormais féconde en lui pour devenir la Mère de tous. Ainsi dorénavant il y aura une double fécondité : celle du Fils dans la Mère et celle de la Mère dans le Fils.

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