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Témoins du Christ

« Quand un à-Dieu s’envisage »

Imprimer Par Christian de Chergé

Voici le testament spirituel de Christian de Chergé, moine assassiné, en 2001, avec 6 autres cisterciens du Monastère de Tibhirine (Algérie). Il était signé avec l’indication : Alger, 1er décembre 1993 – Tibhirine, le 1er janvier 1994.

S’il m’arrivait un jour – et cela pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était donnée à tous et à ce pays.

Qu’ils acceptent que le Maître Unique de toute ma vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu’ils prient pour moi : comment saurais-je me trouver digne d’une telle offrande ? Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes laissées dans l’indifférence de l’anonymat. Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre, elle n’en a pas moins non plus. En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance. J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde, et même celui-là que me frapperait aveuglément.

J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m’aurait atteint.

Je ne saurais souhaiter une telle mort, il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre.

C’est trop cher payé ce que l’on appellera, peut-être, « la grâce du martyre » que de le devoir à un Algérien quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam. Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.

L’Algérie et l’islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église, précisément en Algérie, et déjà, dans le respect des croyants musulmans. Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf ou d’idéaliste : « Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense ! » Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voilà que je pourrai, s’il plait à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père, pour contempler avec Lui les enfants de l’islam tels qu’il les voit, tout illuminé de la gloire du Christ, fruits de la Passion, investis par le don de l’Esprit, dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.

Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulu tout entière pour cette joie-là, envers et malgré tout. Dans ce merci où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis !

Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas sus ce que tu faisais. Oui pour toi aussi, je le veux ce merci, et cet « à-Dieu » en-visagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larron heureux, en Paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père et à tous deux. Amen ! Incha Allah !

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