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« Frère André » devenu saint André Bessette

Imprimer Par Micheline Lachance

Alfred Bessette (1845-1937) est né près de Montréal, dans le petit village de Saint-Grégoire. A son nom de religieux « Le Frère André » fondateur de l’Oratoire Saint-Joseph, à Montréal est rattachée la réputation d’un humble saint et d’un grand thaumaturge. Il a été canonisé le 17 octobre 2010.

Reste la méthode du frère André. La plupart du temps, il recommandait au malade ou à l’éclopé de se frictionner avec l’huile d’olive bénite, puisée dans un vase brûlant placé sous la statue de saint Joseph. « Frottez-vous et saint Joseph fera le reste », répétait-il aux visiteurs qui défilaient devant lui et à qui il distribuait des médailles miraculeuses. Il n’en fallait pas plus pour que ses dénonciateurs le traitent de frère graisseux et de vieux frotteuxs. L’usage de l’huile peut surprendre. Pourtant, tous les thaumaturges emploient un corps quelconque et se prêtent à des manipulations corporelles. Ainsi, Jésus délayait de la poussière dans sa salive, puis l’appliquait sur les yeux d’un aveugle. L’onction des malades, recette empruntée à la Bible, est une tradition dans l’Église. Certains voient toutefois dans l’application de l’huile sur les membres malades un mélange de superstition et de fétichisme. Ont-ils raison ?

« Oui, répond le père Benoît Lacroix, spécialiste des religions populaires à qui j’ai posé la question. Le peuple a droit à ses rites qui lui viennent de la tradition. S’il lui faut des bibelots, pourquoi pas ? » Selon lui, il y avait chez le frère André un côté magicien qui n’avait pas peur des médailles, de l’huile et de tout ce qui paraît suspects aux yeux des érudits. Un mélange inséparable de foi et de naïveté. « Il avait la confiance absolue que les malades guériraient grâce à saint Joseph et il prédisait leur guérison ». La guérison oscille entre la superstition et l’adoration, dit-il. Et l’Oratoire saint-Joseph est l’alliance réussie du profane et du sacré, de l’imaginaire et du réel : « Il faut capituler devant la superstition quand elle n’est pas désordonnée. Mais lorsque les églises en profitent pour s’enrichir, là, je ne marche plus ».

Le père Benoît Lacroix, qui a effectué une impressionnante recherche pour essayer de comprendre le phénomène, ne croit pas facilement aux miracles. Mais il a foi dans les capacités insoupçonnées de l’être humain. « Freud nous a fait découvrir les mille facettes du subconscient. Le surconscient, lui, n’est pas encore exploré. Un jour viendra un nouveau Freud qui démontrera que chaque personne détient un pouvoir spirituel sur une autre ».

Le frère André réalisait-il qu’il guérissait ? D’après le père Lacroix, il était surtout un homme d’instinct. Il voyait que quelque chose se passait, mais ne savait pas quoi. En ce sens, il apparaît comme l’exemple parfait du médiateur qui refuse de se placer au-devant de la scène. Lui, il préférait valoriser saint Joseph. « La guérison n’est pas seulement la rencontre de deux confiances : celle du guérisseur et celle du patient. Un élément à ne pas délaisser est la confiance qu’on a en la toute-puissance divine. La guérison s’opère à trois : le malade, le médiateur et Dieu ». (…)

Lors d’une rencontre, j’ai demandé au père Lacroix quelle signification il donnait au fait que le sanctuaire se trouve haut perché sur le mont Royal, quasi inaccessible aux malades et aux handicapés ? « Le frère André a deviné d’instinct que la montagne était un lieu sacré naturel », m’a-t-il répondu, en soulignant qu’à l’origine de tous les grands cultes, dans toutes les religions, il y a quelque chose qui dépasse l’ordinaire. « Car le peuple aspire à l’extraordinaire. A l’Oratoire, il y a du rationnel et de l’irrationnel, de l’imaginaire et du vécu. »

Autre trait important qu’il souligne dans sa recherche, l’homme est essentiellement pèlerin. Or, là-haut, les paralysés se sentent portés par les autres, comme réhabilités dans leurs fonctions de marcheurs. Et de faire remarquer qu’en ce pays démesuré, on a besoin de vaincre la distance, de conquérir l’espace qui l’entoure. Spécialiste de l’histoire médiévale, il rappelle que, pour les pèlerins, et sans qu’ils en prennent toujours conscience, il se passe à l’Oratoire Saint-Joseph, comme dans les cathédrales du Moyen Age, un phénomène prophétique. Car cet édifice symbolise le monde idéal en miniature.

C’est là l’œuvre visible du frère André qui, selon l’historien, résume à lui seul un siècle de religion populaire en Amérique francophone, comme Lionel Groulx représente à sa façon presque un siècle de nationalisme. « C’est le peuple qui l’a identifié, dit-il. Les gens de toutes les origines et de toutes les religions ont senti qu’il les comprenait. Il a réussi à s’imposer dans son milieu parce qu’il incarne les valeurs spirituelles de nos traditions. » Pour le père Lacroix, nul doute, le frère André fait partie de la race des défricheurs. « Dans un pays jeune comme le nôtre, la spiritualité n’est pas passive, conclut-il. C’est l’action qui prime. Or le frère André était un mystique à l’intérieur et un homme d’action à l’extérieur. Il a commencé une œuvre et l’a organisée. C’est un pionnier. »

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