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Annonce de l’Évangile et structures d’Église

Imprimer Par Joseph Moingt

Blois – 24 septembre 2010

PLAN GÉNÉRAL :

(1) Comment témoigner de l’Évangile…
(2) de la façon la plus accessible aux hommes de ce temps…
(3) pour que tous les baptisés y soient pleinement impliqués ?
(4) Quelle restructuration nécessaire de l’Église ?

DÉTAIL :

1. Témoigner de l’Évangile :
(1) Quelle priorité ?
(2) Quel Évangile ?
(3) Quel témoignage ?

2. Parler aux hommes de notre temps :
(1) Comprendre ce qui se passe
(2) Juger selon l’Évangile

3. Envoyer les fidèles à la mission :
(1) La charge de la mission
(2) La mission du laïcat
(3) Des communautés missionnaires

4. Changer les structures de l’Église :
(1) La nécessité des réformes
(2) La possibilité des changements
(3) Pour un début de changement

Je vais traiter ce sujet en le décomposant en quatre temps, en quatre questions, dans cet ordre :

1/ en quoi consiste le témoignage de l’Évangile ?
2/ comment sera-t-il entendu des hommes de notre temps ?
3/ pourquoi requiert-il une prise de parole responsable et collective des baptisés ?
4/ quels changements suppose-t-il dans les structures de l’Église ?

Si telle est bien, la pensée des organisateurs de cette réunion, je les félicite d’avoir compris que notre souci majeur, dans la situation préoccupante qui est celle de l’Église aujourd’hui, n’est pas de la restaurer dans son ancienne puissance, mais de la mettre plus efficacement au service de l’Évangile, qui est sa mission et qui sera par conséquent son salut.

1. Témoigner de l’Évangile

Je voudrais en premier lieu justifier la priorité accordée à la visée de l’Évangile, puis chercher en quoi consiste cet Évangile dont nous devons témoigner, et je me demanderai enfin ce qu’il faut entendre par témoignage.
Quelle priorité ?

L’Église traverse présentement, dans l’ensemble des pays occidentaux, une période difficile de son histoire, peut-être la plus difficile parce que les maux qui la menacent ne viennent pas du dehors, comme si souvent dans le passé, mais du dedans : perte accélérée de fidèles, tarissement quasi total des vocations au sacerdoce et à la vie religieuse, graves divisions internes entre ceux qui acceptent Vatican II et ceux qui le rejettent, ceux qui veulent le corriger dans la ligne de la continuité avec la tradition et ceux qui le suivent dans la voie des innovations qu’il préconise, tous maux auxquels se sont ajoutées, hélas, de tristes dépravations qui ruinent le crédit de l’Église devant la société. Dans cette situation si tragique, beaucoup parlent couramment de déclin, de son proche effacement de l’histoire, il pourrait sembler que le premier souci de ceux qui l’aiment et la servent soit de voler à son secours, de stopper sa chute, de guérir ses maux. C’est la voie prise par son magistère : l’année sacerdotale qu’on vient de vivre visait la promotion aux ministères consacrés comme la base indispensable du redressement, les récentes nominations épiscopales voulaient renforcer l’unité de l’Église autour de son pôle hiérarchique, les consignes pastorales partout mises en œuvre prônent la restauration du sacré dans la liturgie pour conjurer ce qui semblait être une sécularisation rampante de la vie chrétienne, le retour à la tradition et au religieux paraît s’imposer comme unique voie de salut. Dans ces conditions, mettre en avant la mission évangélique ne serait-il qu’aveuglement et fuite en avant ?

Il importe ici de détacher notre regard des maux qui nous obsèdent et de le reporter, non en arrière, mais à l’origine même de l’Église, à la mission qu’elle a reçue du Christ, qui doit être sa principale et constante préoccupation, car elle ne peut trouver son salut en dehors de ce qui est sa raison d’être au monde, et il s’agit évidemment de l’annonce de l’Évangile, conformément aux dernières paroles de Jésus à ses apôtres: « Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Mt 2819-20).

La vie de l’Église ne peut être que la présence du Christ en elle, qui chemine à ses côtés, la précède, la pousse de l’avant et la guide vers ceux à qui il l’envoie : « Allez par le monde entier, proclamez l’Évangile à toutes les créatures » (Mc 1615). Quand elle passe par des temps difficiles, sa tentation bien naturelle serait de s’arrêter, de panser ses blessures, de reprendre souffle, de se replier sur elle-même pour refaire ses forces en puisant dans les ressources d’un passé glorieux. Mais le Christ l’en dissuade car, à son exemple, elle existe pour les autres, non pour elle-même. Toute sa vitalité tient dans sa capacité d’aller au monde pour le vivifier de la vie et de l’esprit du Christ. Si donc elle se sent souffrante et en danger, elle ne doit pas se préoccuper de se refaire d’abord une santé, mais examiner par priorité ce qu’il en est de ses capacités missionnaires et se mettre en état de mieux annoncer l’Évangile au monde : c’est de là que viendra par surcroît son rétablissement, même si elle doit pour cela abandonner quelque chose de ses traditions, des signes et des moyens de son ancienne puissance. Car c’est à elle aussi que s’adresse l’avertissement de Jésus : « Qui veut sauver sa vie, la perdra; qui la perd à cause de moi, la recouvrera » (Mt 1625). Il s’agit donc pour l’Église de se convertir, à savoir de se retourner vers le monde, non certes pour s’y conformer. « Ne vous conformez pas au monde présent », dit Paul (Rm 122) ?, mais pour communiquer avec lui, lui parler d’Évangile.

Quel Évangile ?

Ce mot résumant tout l’enseignement de Jésus, et également celui des apôtres, on ne doit pas s’étonner qu’il soit impossible de le résumer en quelques brèves formules et qu’on ne peut tenter de le définir sans laisser de côté une grande partie de son contenu. Notons cependant que le mot signifie “Bonne nouvelle” : c’est essentiellement un message de joie et d’espérance, tourné vers le futur ; il veut dire que tout peut changer, que tout va changer, car Dieu est au travail dans ce monde. Jésus a traduit son “Évangile” dans un autre mot-symbole, celui de “Royaume de Dieu” qui signifie, d’une part, l’instauration par Dieu, toute proche dans la pensée de Jésus, d’un nouvel ordre de choses, d’un règne de justice, de paix et de fraternité entre les hommes et, d’autre part, la présence actuelle et agissante de ce règne à travers les paroles, faits et gestes de Jésus : guérison des malades, libération de l’emprise des mauvais esprits, consolation des petits, réconciliation entre les adversaires, pardon des offenses, assistance mutuelle, amour poussé jusqu’au sacrifice de soi. Et en tout cela il n’est pas question de religion : attendant la venue de Dieu, Jésus ne laisse aux siens aucun code rituel, ni législatif, ni dogmatique, rien d’autre qu’un humanisme nouveau, une façon de vivre en relation les uns envers les autres qui découle directement de la Paternité universelle de Dieu. Pour tout le reste, il s’en remet à l’Esprit Saint, qui guidera les siens « vers la vérité tout entière » (Jean 1613).

L’Esprit Saint fonde l’Église sur Jésus, l’Eglise baptise en son nom, elle rassemble ses fidèles autour de la table eucharistique dans le souvenir, la présence et l’attente de Jésus. Ce que Jésus enseignait en termes de royaume de Dieu présent et à venir, l’Église naissante l’annonce en termes de résurrection universelle commencée en celle de Jésus, continuée dans l’Église comme en son propre corps et destinée à s’accomplir dans la totalité de l’univers. Et saint Paul d’annoncer l’Évangile comme une “nouvelle création” : « Les temps anciens ont disparu, un monde nouveau est apparu. Tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec lui par le Christ et nous a donné le ministère de la réconciliation » (2 Co 56-18). C’est pourquoi l’Église va au monde pour le rajeunir et le régénérer, elle lui adresse un message d’amitié, elle se met à son service pour le réconcilier avec lui-même, apaiser en lui toute haine, éteindre tout foyer de division. Elle prend pour loi fondamentale le “commandement nouveau” qu’elle a reçu de Jésus : « Aimons-nous les uns les autres car l’amour vient de Dieu et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu » (1 Jn 47). Elle vit d’amour pour le répandre autour d’elle en semence d’humanité nouvelle. De ce précepte de l’amour, Paul tire la loi organique de l’Église : « Il n’y a plus ni Juif et Grec, ni esclave ni homme libre, ni masculin et féminin, car à vous tous vous n’êtes qu’un en Jésus Christ » (Ga 328) ; et l’Église se répand dans le monde païen en ferment d’une société ouverte, qui abolit les cloisonnements et les exclusivismes des sociétés patriarcales. Et l’apôtre Jacques lui-même, si attaché aux pratiques de la Loi, mais plein de l’esprit des prophètes, donne cette définition de la “religion” selon l’Évangile : « Visiter les orphelins et les veuves et se garder des impuretés du monde » (Jc 127). Ainsi l’Évangile se traduit en acte dès ses commencements, en acte de recréation de la société, d’humanisation, de régénération du monde. Tel est l’Évangile dont nous avons à témoigner.

Quel témoignage?

L’Évangile indique lui-même, en s’énonçant, de quelle manière il faut en témoigner : par des actes de fraternité et d’union, par des messages d’amitié, d’espoir et de joie, car il est “bonne nouvelle” et parole d’amour ; et ces actes et ces messages sont toujours à réinventer en fonction de la nouveauté des temps, puisqu’il est lui-même, par essence, nouveauté et innovation. Le magistère de l’Église, pour parler de la transmission de l’Évangile et de son contenu, emploie le plus volontiers les mots enseignement ou prédication, accompagnés des termes foi, religion, doctrine, loi et préceptes du Christ ; mais ce vocabulaire suppose qu’on s’adresse à des personnes disposées par avance à écouter et à obéir. Le concile Vatican II, conscient d’avoir pour interlocuteur un monde “majeur” émancipé de la tutelle de l’Église, préfère parler d’annonce en paroles, par mode de persuasion et d’invitation, non d’enseignement ni de commandement, et encourage surtout au témoignage, par des actes exemplaires, par toute la conduite de sa vie, et également par un engagement au service des autres et de la société pour construire avec eux et avec elle un monde meilleur.

C’est dire que cette annonce ou ce témoignage ne consiste pas en formules théoriques ni en activités d’avance prescrites, mais doit toujours se renouveler et s’inventer selon l’état présent du monde. Ainsi pouvons-nous comprendre l’exhortation de Jésus à ses disciples à observer et à interpréter “les signes des temps” (Mt 163). Le pape Jean XXIII avait recueilli et retransmis cet appel, à nous d’y répondre à notre tour pour tenir aux hommes de notre temps un langage qu’ils seront susceptibles d’écouter et pas seulement d’entendre.

2. Parler aux hommes de notre temps

Observer les, signes des temps,

1) c’est nous appliquer à bien comprendre ce qui se passe dans notre monde sur le plan de la religion, à interpréter justement et sereinement cette tempête, cette secousse qui a tellement transformé la société et ébranlé l’Église, qui a creusé un tel fossé d’incompréhension entre l’une et l’autre et qui continue à vider notre Église de ses forces vives et à changer l’esprit des chrétiens ;

2) c’est ensuite juger ce phénomène selon l’Évangile pour apprendre comment aborder les hommes de notre temps dans un esprit évangélique, c’est-à-dire amorcer de notre côté le mouvement de conversion à l’Évangile que nous les invitons à faire.

Comprendre ce qui se passe

Le déclin du christianisme est largement amorcé depuis le 19ème siècle, en particulier dans le monde intellectuel et dans le monde ouvrier. L’Église en a rendu responsable l’athéisme, répandu chez les uns par une philosophie rationaliste, chez les autres par le matérialisme marxiste. Le mouvement n’a fait que s’accroître tout au long du 20ème siècle, et l’Église a incriminé la perte de la foi et la perte du sens du péché, attribuant l’une à l’éloignement des sacrements, de la prière et des pratiques religieuses, l’autre à l’invasion de l’hédonisme et à l’orgueil de l’homme qui se soustrait à la loi de Dieu. On a donc tendance, côté chrétien, à juger ce phénomène d’un point de vue purement négatif, comme un refus de la révélation et de l’enseignement de l’Église, et à l’attribuer à la décision, censée coupable, de personnes qui ont voulu rompre avec leur passé chrétien et qui se sont résolues ou résignées à abandonner la foi qu’elles avaient eue.

Or, les historiens, anthropologues et sociologues parlent du “retrait de la religion” (l’expression est de Marcel Gauchet) comme d’un phénomène culturel et social, comme d’une lente évolution de la civilisation, qui atteint sans doute de nos jours son paroxysme, mais qui se laisse observer de façon continue depuis le 17ème et même le 14ème siècle, qui plonge ses racines dans la formation des grands Empires de l’Orient ancien et s’est accentué avec l’apparition de l’État moderne et de la démocratie ; c’est un phénomène enfin et surtout qui doit beaucoup à l’éclosion de la conscience de la personne dans le christianisme, ce qui explique qu’il soit né dans les pays de tradition chrétienne et qu’il se répand partout maintenant à la faveur de la culture occidentale.

Le retrait de la religion n’est donc pas originellement un mouvement de déchristianisation dû à l’accumulation des rejets de la foi, c’est un phénomène de civilisation, de desserrement et de rupture du lien qui a uni depuis les débuts de l’histoire la religion et la société, car c’est le sacré, le culte des dieux, le mythe d’une descendance divine commune qui a formé le lien social originel des individus entre eux. À mesure donc que le droit politique prenait en charge le lien social et les divers besoins de la vie en société, il s’ensuivait une sécularisation de la société et une laïcisation du pouvoir de l’État, phénomène qui sapait la nécessité de la religion et son emprise sur les individus. Toutefois, puisque le religieux est véhiculé par la tradition sociale, la cause majeure de sa récession est l’émancipation de l’individu qui se libère de ses liens à la société et à la tradition. Or, c’est bien le christianisme qui a été le moteur de cette émancipation, lui qui est né d’une rupture avec son milieu originel, s’est répandu dans le monde païen en l’appelant à se libérer des coutumes de la cité et de l’adoration de l’Empereur, lui surtout qui a enseigné la valeur infinie de la personne aux yeux de Dieu, qui a favorisé la séparation du spirituel et du temporel et permis l’émancipation de la foi en dehors de la religion en l’exaltant en tant que relation directe de l’individu avec Dieu.

Mais il est arrivé un temps où l’Église a pris peur de cette émancipation, qui ébranlait sa tradition et son autorité, et a entrepris de la réfréner ; et c’est alors que des chrétiens de plus en plus nombreux se sont mis à la quitter, non par rejet de la foi, mais par accointance avec les idées nouvelles et les libertés nouvelles que repoussait l’Église. Il est aussi arrivé, à la faveur du progrès des sciences et des techniques, que les individus se sont davantage intéressés aux “fins naturelles” de l’existence qu’à ses “fins surnaturelles”, alors que l’Église n’attachait d’intérêt qu’à celles-ci, et s’en faisait même un moyen de domination sur les esprits, ce qui a aussi contribué à sa désertion. Mais les chrétiens sortis de l’Église ne trouvaient plus le moyen d’entretenir une vie de foi, à supposer qu’ils y aient jamais été attachés de façon réfléchie et délibérée ; c’est ainsi qu’une culture d’éloignement de la religion a entraîné la perte de la foi. Ce phénomène se poursuit de plus belle sous nos yeux, où l’on voit, non plus des adultes comme jadis, mais des jeunes et même des enfants se détacher de la foi dans laquelle ils ont été instruits, non par rejet exprès, mais du simple fait de s’émanciper de la société parentale et des traditions familiales pour se faire une place dans un monde nouveau où la religion a perdu presque toute visibilité et efficacité. Interpréter ainsi le retrait de la religion, c’est comprendre, d’une part, que ce phénomène n’est pas dû à une perte de vitalité, d’attirance ou d’énergie de la foi chrétienne, devenue incapable de convertir les esprits modernes, mais qu’il est le signe de l’entrée dans un âge nouveau de l’humanité ; et c’est comprendre, en conséquence, qu’il n’est pas une crise superficielle et passagère, mais qu’il a créé une situation toute nouvelle de l’Église par rapport au monde, un état de choses qui lui impose une attitude missionnaire résolument différente de celle du passé. Ce qui exige de regarder ce monde sous l’éclairage de l’Évangile.

Juger selon l’Évangile

Le pasteur allemand Dietrich Bonhoeffer, membre de l’Église luthérienne “confessante” au temps du nazisme, réfléchissait dans sa prison, peu avant son exécution par ordre de Hitler, à la situation de ce monde areligieux et il estimait que les chrétiens devaient lui tenir un langage semblablement non religieux, ce qui ne voulait pas dire, pour lui, non croyant, bien au contraire : n’est-ce pas le plan de Dieu, se demandait-il, que l’homme parvienne à une parfaite liberté devant lui, même à son égard, et Dieu ne préfère-t-il pas un homme devenu “majeur”, qui ne se dirige plus que selon sa conscience, aux agenouillements infantiles et craintifs de tant de chrétiens restés “mineurs” ?

Si on se rappelle que Yahvé se présentait comme le Libérateur de son peuple et que Jésus, selon Paul, nous a appelés à la liberté même en matière de religion, on ne considérera pas ceux qui ne fréquentent plus l’Église comme des révoltés qui ont rejeté Dieu, même s’ils ne croient plus en lui, ni comme des hommes qui se sont exclus du salut par leur faute, car il entre bien dans le projet créateur que l’homme accomplisse son humanité en pleine lucidité et responsabilité. Mais il ne s’ensuit pas que le chrétien ait le droit de se désintéresser du salut de ce monde areligieux, comme s’il pouvait se sauver tout seul : l’Évangile est la seule voie de salut, et c’est ce qui fonde le devoir absolu de le porter au monde.

Quel salut ? Pour Jean, comme pour Paul, Jésus a donné un seul commandement, celui de s’aimer les uns les autres, et c’est là-dessus que tous seront jugés, puisque, dit saint Jean, celui qui prétend aimer Dieu, assurément parce qu’il croit en lui, obéit à ses lois et lui rend un culte, celui-là, s’il n’aime pas son prochain, est un menteur et demeure dans la mort, car il n’y a de vie que dans l’amour qui vient de Dieu et qui est Dieu (1 Jn 4). C’est donc être dans la voie du salut que vivre dans l’amour, mais est-on jamais assuré d’aimer en vérité et autant qu’on le doit et d’y persévérer ? Voilà pourquoi, alors que nous ne devons pas penser que ce monde sorti de religion est sorti des voies du salut, il est cependant nécessaire de toujours lui annoncer l’Évangile, qui apprend aux hommes ce qu’est la vérité de l’amour, et ainsi les tourne vers Dieu et les met ou les garde sur le chemin du salut. Ce n’est pas seulement par souci du salut du prochain que les chrétiens doivent porter l’Évangile au monde, c’est aussi pour travailler avec tous les hommes de bonne volonté à l’accomplissement du projet créateur, qui est de conduire l’homme à la plénitude de son humanité créée à la ressemblance de Dieu et d’unifier tous les peuples et tous les individus dans la paix, la justice et l’amour pour que ce monde accueille dès maintenant le royaume de Dieu qui vient à nous à tout instant.

Vous objecterez peut-être : « Pourquoi se contenter d’annoncer l’Évangile aux incroyants et ne pas chercher plutôt à les ramener à la religion ? ». Je répondrai : Parce que la mission salutaire confiée expressément par Jésus à l’Église concerne son Évangile, qui est une école de vie, source d’humanisme, non un code religieux, et pour ne pas laisser croire que la religion est la seule voie assurée de salut, ce que ne dit pas l’Évangile. Et certes, il s’apprend aussi à l’intérieur de la religion chrétienne. Mais un monde qui s’est éloigné d’elle pour conquérir la liberté de penser et maîtriser la conduite de la vie et de l’histoire, un tel monde ne se remettra pas à l’école de l’Évangile en se soumettant à une institution religieuse, d’autant plus que l’homme de la modernité s’intéresse par priorité à son avenir terrestre, alors que l’Église prétend s’imposer à lui par la seule vue des choses célestes. Voilà pourquoi cet homme a besoin de redécouvrir l’Évangile pour lui-même, en dehors d’une institution du faire croire.

On objectera encore : « Mais l’Évangile ne se comprend que sous l’horizon de la foi en Dieu et de l’éternité ? ». Je n’en disconviens pas, mais, en apprenant à le lire pour lui-même, dégagé de tout appareil religieux, l’incroyant découvrira un visage de Dieu qu’il ne soupçonnait pas sous l’appareil autoritaire et oppressif des religions instituées ; il découvrira un Dieu qui, loin de chercher à l’asservir, appelle l’homme à la liberté, un Dieu père qui s’intéresse à la vie de l’homme sur terre, qui compatit à ses souffrances et à ses aspirations, qui lui a confié sa création dans l’intention que chacun l’exploite pour le bien du plus grand nombre ; peut-être que cet homme tardera à découvrir la foi au Dieu de Jésus et au Christ, mais, même s’il n’y parvient pas, il aura appris à orienter sa vie selon la volonté de Dieu et la pensée de Jésus. En cela consiste la recherche du salut. Ainsi surtout l’esprit de l’Évangile se répandra dans le monde et entretiendra dans les hommes la charité, qui est la vraie vie, le sens de l’infini, le respect et le souci de l’autre et, en définitive, la recherche du vrai Dieu.

À comprendre ainsi les “signes des temps”, en tant qu’ils requièrent une conception nouvelle de la mission évangélique, on pressent qu’elle reposera principalement sur les fidèles de la base, ceux qui sont le plus intimement mêlés à la vie du monde à évangéliser, ce qui imposera au terme une reconfiguration des offices et des structures de l’Église.

3. Envoyer les fidèles à la mission

Après avoir parlé de l’annonce de l’Évangile, puis de l’état présent du monde par rapport à l’Église, j’en viens à la charge de la mission, qui sera l’objet de la troisième partie de cette réflexion. Par origine, cette charge est commune à toute l’Église, évêques, prêtres et fidèles ; dans la situation présente du monde occidental et de l’Église, elle incombe pratiquement et principalement aux laïcs ; pour être bien remplie, elle appelle une organisation proprement missionnaire des communautés chrétiennes : telles sont les trois idées que je vais développer et qui nous conduiront, dans le quatrième et dernier temps de notre réflexion, à reconnaître la nécessité d’une restructuration de l’Église en vue de sa mission.

La charge de la mission

L’Église est tellement centrée sur le principe du pouvoir sacré que la plupart des fidèles s’étaient habitués à l’idée qu’ils n’avaient qu’à se laisser passivement conduire par leurs pasteurs, à bien remplir leurs devoirs religieux, sans aucune responsabilité dans les affaires de l’Église, et que la mission évangélique relevait exclusivement de l’autorité de ceux à qui Jésus avait confié son Église, ceux à qui il avait donné son Esprit Saint avec la charge d’en faire bénéficier les croyants. Il est vrai que, dans le texte fondateur de Matthieu que je citais au début de cette conférence, Jésus envoie ses onze apôtres et eux seuls annoncer l’Évangile à travers le monde, avec la force de l’Esprit que Jésus leur avait promis d’après Luc (2449). Mais Luc montre aussi que Jésus avait coutume, au hasard de ses voyages et de ses rencontres, d’appeler diverses personnes à le suivre en qualité de disciples (957-62), qu’il en envoya un jour soixante-douze annoncer, comme lui, la venue du royaume de Dieu dans les villages où il comptait se rendre ensuite (101-9). Au début des Actes (l15), Luc dénombre un groupe de cent vingt personnes rassemblées au Cénacle, la veille de la Pentecôte, pour inaugurer la mission sous le souffle de l’Esprit Saint. Jésus n’avait-il pas promis avant sa mort que le Père enverrait l’Esprit Paraclet à tous ceux qui avaient reçu sa parole, y compris à ceux qui la recevraient par la bouche de ses disciples, afin que le monde croie en lui (Jn 1416-26 ; 1720-21) ?

Paul énumère « ceux que Dieu a établis dans l’Église : au premier rang, des apôtres, au second, des prophètes, au troisième, des enseignants », et ensuite de nombreux autres charismes et services dont il attribue l’origine au même Esprit (1 Co 124-28) : il ne s’agit pas des douze apôtres nommés dans les évangiles, ni de ministres consacrés, mais, d’une part, de chrétiens mieux instruits que des communautés envoyaient porter la Parole de Dieu là où elle n’avait pas encore été annoncée et, d’autre part, de fidèles que l’Esprit suscitait et signalait par ses dons pour les mettre au service des besoins variés des communautés.

Le ministère de la parole était certainement le plus prisé de tous, il s’exerçait sous diverses formes, et il est clair que la parole circulait abondamment et librement en ces premiers temps, souvent avec un mandat reçu de la communauté, toujours sous son discernement, mais nul n’en était exclu a priori car l’Esprit Saint se répandait de lui-même, sans être la propriété d’aucune autorité instituée.

Les choses évoluèrent quand s’établit, à la fin du 1er siècle, la coutume de nommer des ministres, appelés indifféremment épiscopes, diacres ou anciens, et de leur imposer la main avec la consigne de pourvoir à leur succession ; et plus encore quand fut instituée, au début du 3ème siècle, la distinction entre clercs ordonnés, évêques, diacres ou presbytres, et simples laïcs : ceux-ci n’eurent plus droit à la parole et tous les ministères ecclésiastiques furent réservés aux ordres sacrés. Ce changement, si radical qu’il fût, ne suscita pas de trouble : les charismes visibles de l’Esprit avaient cessé, la multiplication de sectes plus ou moins hérétiques ou schismatiques rendait nécessaire l’intervention d’une autorité reconnue, l’enseignement doctrinal prenait le pas sur les services d’entraide communautaire, et les fidèles, pour la plupart illettrés, ne risquaient pas d’émettre quelques prétentions dans cette nouvelle institutionnalisation de l’Église, surtout quand elle devint religion d’Empire au 4ème siècle.

Cette évolution de l’Église, qui va dominer le cours de son histoire, ne doit pas empêcher de reconnaître que les premiers chrétiens se sentaient tous solidairement responsables de la mission évangélique, sous la conduite des apôtres du Christ, et qu’ils bénéficiaient tous solidairement à cet effet des dons variés de l’Esprit. Ce fait originaire est une ressource permanente à la disposition de l’Église. Le concile Vatican II a mis ce fait en lumière quand il parle du mystère de l’Église, unie et sanctifiée dans tous ses membres par l’Esprit Saint, le jour de la Pentecôte, pour annoncer et instaurer dans le monde le royaume du Christ et de Dieu ; et il a entrepris d’utiliser cette ressource en faisant appel aux laïcs, membres du Peuple de Dieu, en affirmant qu’ils participent tous à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, ce qui les habilite, dit-il, à exercer des responsabilités et des charges dans l’Église et à prendre des initiatives pour semer la parole de Dieu dans le monde (Lumen Gentium, § 4-5; 12; 31-37). Cet enseignement du Concile est une invitation à l’action missionnaire des laïcs.

La mission du laïcat

L’Église du 20ème siècle se trouve en Occident dans une situation inédite, c’est la première fois dans son histoire qu’elle annonce l’Évangile à une société massivement incroyante, agnostique et détachée de la pratique religieuse ; jusque-là prêcher le Christ consistait à exhorter les gens et les peuples à changer de religion, il s’agirait maintenant de leur enseigner Dieu. Mais Dieu est-il objet d’enseignement, la foi en Dieu peut-elle se prescrire comme une vérité évidente ? Les papes essaient de faire parvenir la parole de Dieu à tous les hommes en se plaçant de préférence sur le terrain moral ; mais le monde sécularisé ne reconnaît pas le magistère de l’Église, n’accepte plus son langage autoritaire, et ses prises de position sur les questions sexuelles ont largement entamé le crédit dont elle disposait encore.

Les papes d’ailleurs n’acceptent pas volontiers qu’on parle des pays anciennement chrétiens en termes de “pays de mission” ; ils préconisent une “seconde évangélisation” comme un retour aux pratiques religieuses dont nos sociétés se sont affranchies ; ils ont du mal à admettre comme un fait durable le retrait de la religion dont nous avons parlé. Ils n’osent plus enseigner : “Hors de l’Église, pas de salut”, mais cet adage est resté le présupposé de la théologie officielle de la mission.

Si l’on est bien convaincu que ce monde a besoin, pour être sauvé, qu’on lui annonce l’Évangile et que cela ne se réduit pas à annoncer l’Église, il faut chercher d’autres moyens que la voix officielle de l’Église hiérarchique pour se faire entendre du monde. Peut-on espérer l’atteindre au moyen des activités pastorales qui se font dans nos églises ? Ces activités constituent certainement un moyen d’évangélisation qui est loin d’être négligeable ; mais le fait que les prêtres sont si peu nombreux et tellement absorbés par les offices du culte, et que la plupart des gens ne fréquentent plus ces offices que de loin en loin et sont si peu disposés à écouter un sermon, ce fait rend très aléatoire la possibilité d’une large diffusion et d’une écoute profitable de l’Évangile dans un cadre proprement religieux.

Si donc nous comprenons l’Évangile et l’état présent du monde et de l’Église comme nous essayons d’y réfléchir, il ne reste que l’apostolat des laïcs pour prendre la mission en charge de façon vraie et efficace.

De façon vraie : nous avons admis, en effet, que le témoignage rendu à l’Évangile en tant que voie de salut revenait pour l’essentiel à aider les gens à conduire leur vie selon les préceptes du Christ, qui se résument dans celui de l’amour ; nous avons dit aussi que le souci du royaume de Dieu devait s’inscrire concrètement dans une transformation de ce monde selon l’esprit du Christ. Et prendre en charge de façon efficace la mission ainsi comprise, c’est bien l’affaire des laïcs chrétiens : ils vivent quotidiennement au contact des gens sortis de religion, ils parlent le même langage, ont souvent la même façon de penser, partagent les mêmes idées sur bien des points, et ils ont toutes facilités de mener avec eux des actions communes pour rendre ce monde plus vivable, plus humain, plus conforme à l’Évangile.

On ne doit pas se cacher cependant que cette conception de la mission aux mains des laïcs s’écarte très fort de l’idée traditionnelle que je viens de rappeler et qui était de conduire les gens à l’Église, c’est-à-dire dans une église. Il faudra donc convertir bien des chrétiens à l’idée que la mission repose désormais sur eux. D’assez nombreux évêques et prêtres y encouragent leurs fidèles depuis longtemps dans l’esprit de Vatican II. Toutefois, l’idée de la mission que j’ai développée ne se ramène pas à l’apostolat des laïcs tel qu’il était conçu par l’Action Catholique du siècle dernier dont le Concile porte nettement l’empreinte. Elle préconisait l’action d’individus sur d’autres individus de même milieu, comme on disait alors, pour les ramener au Christ, c’est-à-dire à l’Église ; ce pour quoi les évêques entendaient que cet apostolat soit dûment mandaté et contrôlé par eux pour porter au monde la voix de l’Église.

Mais les laïcs généreusement engagés dans ces mouvements se rendirent compte que ce genre d’apostolat à fort relent de propagande religieuse ne passait plus, et qu’il fallait enfouir les semences évangéliques profondément dans le monde et attendre patiemment qu’elles portent du fruit. Alors survint la vague de Mai 68 qui entraîna nombre de ces jeunes laïcs loin de l’Église. Des évêques en conclurent que la théorie de “l’enfouissement” avait eu pour seul résultat que ces laïcs s’étaient laissés absorber eux-¬mêmes par le monde, ils ne surent pas voir que leur théologie du “mandat” en était également sinon principalement responsable.

Il n’en est pas moins vrai que la mission authentique de l’Évangile doit se faire au nom du Christ et en Église, puisque Jésus lui a confié cette mission ; si donc elle ne fonctionne plus sous sa forme hiérarchique, elle devra se faire, comme au début de l’Église, sous une forme communautaire, à partir de communautés missionnaires constituées comme telles. Comment ces communautés seront-elles formées ? La réponse à cette question fera la transition avec le problème des “mutations nécessaires de l’Église” dont vous m’avez demandé de traiter et par lequel je terminerai ma conférence.

Des communautés missionnaires

Il n’y a pas seulement le lien hiérarchique qui maintient l’unité de l’Église en union au Christ, il y a aussi, il y a d’abord le lien de la charité, dont Jésus a fait le critère de l’identité chrétienne en donnant aux siens ce signe « Tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples à ceci que vous aurez de l’amitié les uns pour les autres » (Jn 1335). À une époque où il n’y avait pas encore de hiérarchie instituée et où les communautés étaient dispersées, Paul considérait qu’elles constituaient à elles-toutes l’unique Église, corps du Christ, et que cette unique Église est présente en chaque communauté, dès lors que ses membres sont unis entre eux par le même lien de l’Esprit qui fait l’unité du corps total du Christ ; il concevait ce lien de l’Esprit comme le partage de la même foi au Christ, de l’obéissance au même Évangile, du même amour fraternel ; et il identifiait le lien de l’Esprit au lien de la charité, puisque l’amour entre chrétiens naît de la foi au Christ et se nourrit de l’Évangile (l Co 12-13). Il est donc conforme à l’esprit de l’Évangile et à la pratique de l’Église apostolique de vouloir que la mission soit confiée aux laïcs et se fasse sur une base et sous une forme communautaire.

Pour qu’il en aille ainsi, chaque communauté devra, réciproquement, se donner une configuration et une finalité missionnaires : s’organiser en vue principalement d’un partage d’Évangile et non d’une célébration religieuse, orienter ce partage vers les problèmes qui se posent dans l’espace environnant, l’ouvrir à d’autres personnes désireuses de réfléchir à ces problèmes, prendre en charge cet environnement sociétal, avec ses souffrances et ses besoins, se disposer à des actions concrètes qui pourraient y être menées en s’adjoignant d’autres personnes ou en se joignant à elles. Que l’étude de l’Évangile soit mise au centre de la vie communautaire, c’est la condition pour que les chrétiens apprennent à vivre en tant que disciples du Christ, à vivre de son esprit, de sa pensée, et pour qu’ils soient capables de s’en nourrir mutuellement et de la communiquer aux gens du dehors. Paul, pour ce motif, mettait l’intelligence au-dessus des dons de prophétie et des langues, et il l’identifiait à la charité, en tant qu’elle seule pouvait et voulait se mettre au service à la fois de l’édification de la communauté et de la communication de la parole de Dieu aux non-croyants qui viendraient se mêler aux fidèles (1 Co 13) : “Que faire donc? Je prierai avec mon esprit (avec mon charisme), mais je prierai aussi avec mon intelligence […]. Frères, ne soyez pas des enfants dans vos jugements, mais des personnes majeures” (v.20). Le même acte donc par lequel les chrétiens s’entretiendront dans l’esprit et l’amour du Christ répandra l’un et l’autre autour d’eux.

À condition, je l’ai dit, que ce partage d’Évangile soit orienté par le souci concret du salut du monde. À condition encore que la parole des chrétiens soit audible et crédible pour des non-croyants imbus des idées de modernité, c’est-à-dire, qu’elle apparaisse inspirée par la liberté de jugement et pas seulement par l’obéissance à une institution religieuse, et qu’elle soit guidée par un véritable intérêt pour les choses du monde et pas seulement pour celles de la religion ? Cela aussi a été dit. À condition enfin que cette mission du laïcat, avec la liberté de pensée et d’action qu’elle suppose, s’exerce et soit connue comme une mission d’Église. Je ne fais toujours que me répéter sur ce dernier point, mais il concerne le lien hiérarchique, et c’est ici que pointe la nécessité d’une réforme structurelle de l’Église.

4. Changer les structures de l’Église

Nous voici enfin parvenus à la question que plusieurs d’entre vous attendaient peut-être avec impatience, et j’espère que vous avez compris que je ne l’aborde si tard que parce que j’ai voulu fonder la nécessité de réformer les structures de l’Église sur des arguments sérieux, sur l’Évangile, sur la pratique et l’enseignement de l’Église apostolique, sur la situation contemporaine de l’Église, du monde et de leurs rapports réciproques, sur les besoins et les conditions de la mission dans le contexte actuel ; et je n’ai pas voulu réduire cette réforme à une question de pouvoir et de pouvoir sacré, comme s’il s’agissait d’en enlever à ceux qui en ont ou en ont trop, pape, évêques et prêtres, pour en donner à ceux qui n’en ont pas du tout, c’est-à-dire aux laïcs.

Mais je vous avais aussi laissé entendre que j’aurais assez peu de choses à dire sur ce chapitre des réformes des structures, et je dois le redire au risque de vous décevoir encore plus. Envisager les réformes à faire sera assez facile. Mais beaucoup moins de prévoir les moyens et surtout la possibilité d’entreprendre d’aussi vastes changements. J’essaierai du moins de réfléchir avec vous à la manière de mettre en route un petit début de changement, afin que vous ne partiez pas d’ici sans l’espérance de pouvoir enrayer le déclin missionnaire de l’Église Peut-être sera-t-il possible d’esquisser une pastorale du changement par petits pas de travers et de côté.

La nécessité des réformes

L’ampleur des réformes à entreprendre se devine dès qu’on remarque que l’Église s’est bâtie depuis les siècles les plus lointains sur le seul principe d’autorité, de l’autorité sacrée, absolue, hiérarchique et monarchique ; si donc il s’agit de faire de la place à la liberté des laïcs, ce qui ne se fera pas sans que certains pouvoirs leur soient reconnus, le problème se posera de desserrer les rouages du pouvoir ecclésiastique à chacun de ses niveaux organisationnels. Comment cela se fera-t-il ? J’en parlerai ici d’un point de vue tout théorique et j’y reviendrai d’un point de vue plus pratique à la fin de cet exposé, après que nous aurons admis l’impossibilité d’une réforme venue d’en haut.

Commençons par le bas. Au plus bas niveau géographique et administratif de la pyramide ecclésiale, on trouve la paroisse, organisée en vue des besoins religieux du territoire qu’elle recouvre ; la raréfaction des prêtres a entraîné un mouvement général de regroupement des paroisses qu’on ne cesse et qu’on ne cessera pas dans les années à venir de remanier pour en faire des entités de plus en plus vastes, avec cette conséquence qu’il n’y a plus de communautés chrétiennes dans les communes rurales et dans maints quartiers urbains. La réorganisation en vue de la mission exigera l’arrêt et le renversement de ce mouvement de regroupement dont la finalité est purement cultuelle ; on ne demandera plus aux chrétiens de se rassembler là où il y a des prêtres disponibles, on les laissera se réunir au plus près du territoire dont ils prendront la charge évangélique et qu’ils auront à délimiter eux-mêmes.

L’organisation religieuse des groupements pastoraux actuels, avec tous leurs ministères et services, devra être reconvertie aux fins missionnaires des communautés à instaurer. Puisqu’elles devront se présenter au monde moderne sous une figure qui témoigne de la liberté selon l’Évangile que l’Église est censée reconnaître à ses fidèles, l’évêque laissera ces communautés se gérer et s’organiser elles-mêmes sous un mode démocratique, il les contrôlera discrètement mais en respectant leur autonomie et les décisions prises par leurs dirigeants et responsables. Puisqu’il n’y a pas de communauté chrétienne sans vie sacramentelle et eucharistique, il habilitera leurs dirigeants à y pourvoir. Enfin, il leur fournira toute l’aide nécessaire, soit pour leurs besoins religieux, soit pour leur formation doctrinale, en mettant ses prêtres à leur disposition.

Mais on ne peut pas envisager l’organisation missionnaire du niveau de base sans être tout de suite obligé de s’élever à un niveau supérieur. Le besoin des communautés de recourir aux services du presbyterium diocésain en est un premier exemple, d’autant plus que se posera le problème des besoins religieux de nombreux baptisés qui ne fréquenteront aucune communauté pas plus qu’ils ne le font aujourd’hui. Les besoins du travail missionnaire exigeront aussi que les communautés d’un même secteur ou diocèse se concertent entre elles pour délimiter leurs terrains respectifs et s’épaulent soit pour unir leurs forces sur un même champ d’activité soit pour se répartir des types d’actions spécifiques. La remontée à un échelon supérieur, disons diocésain, requerra que les décisions à prendre soient délibérées et arrêtées en commun et que leur exécution fasse aussi l’objet d’un contrôle commun. Le respect de la responsabilité des laïcs de la base exigera qu’ils délèguent leurs représentants, hommes et femmes, élus démocratiquement, à tous les échelons et dans tous les offices où se fait la prise de décision, et que leur voix ait le même poids décisionnel que celle du pouvoir ecclésiastique ordonné.

Jusque-là la mise en route des changements sera rude sans paraître absolument impossible. Mais il faudra vite remonter plus haut encore. Quand on observe, en effet, comment travaillent de nos jours les évêques de France, et [aussi] d’ailleurs, on voit mal un évêque prendre isolément des mesures aussi nouvelles, sinon révolutionnaires, que celles que nous envisageons sans en discuter avec ses collègues des diocèses voisins et, très vite, avec l’ensemble des évêques français en vue de parvenir à un consensus. Il faudra du coup organiser la représentation responsable du laïcat au niveau national. D’ailleurs cela s’avérera nécessaire du seul point de vue missionnaire, ainsi que l’Action Catholique en a fait l’expérience depuis longtemps, parce que la prise en compte de toutes les données d’un problème, dès lors que la mission est conçue en termes de service du monde, exige la. visée de l’universel, la visée des divers aspects, culturel, économique, politique, du service qu’on voudra rendre pour témoigner de l’Évangile au niveau d’une Église nationale. Et si l’on prend le point de vue de la communion à l’Église universelle, une petite communauté lui sera d’autant plus unie qu’elle s’élèvera au-dessus d’un bien purement local pour articuler son travail missionnaire sur celui de l’Église répandue en tous lieux.

Mais je n’ose élever mon regard aussi haut ni le porter aussi loin, et je m’empresse de poser la question des conditions de possibilité des changements structurels envisagés.

La possibilité des changements

Je ne parlerai pas des moyens de réaliser tous ces changements, des structures à mettre en place, des organismes et des régulations à prévoir, des statuts juridiques à élaborer, car tout cela exigerait des compétences que je ne possède à aucun degré. Quant à la possibilité concrète de voir se réaliser de tels changements et se mettre en place des structures nouvelles en toute tranquillité et dans un délai raisonnable, il est honnête de dire qu’elle est nulle, tant cela exigerait de déstructurations radicales. Cela mérite un mot d’explication.

Le motif de déclarer forfait dès qu’on s’élève au-dessus du local dans la voie des restructurations est simple et impérieux : la conception et l’organisation du pouvoir dans l’Église étant ce qu’elles sont, on ne voit aucun responsable diocésain oser prendre des décisions du genre de celles que j’ai évoquées sans l’aval de la Conférence nationale des évêques de France, et il en irait de même en d’autres pays, et on ne voit pas davantage ladite Conférence s’emparer du problème sans en référer d’abord à Rome ; à vrai dire, je ne la vois même pas oser le porter à Rome, tellement elle serait sûre d’avance du résultat négatif de sa démarche, ou plutôt parce qu’elle lui aurait spontanément opposé le refus qu’elle recevrait de Rome si d’aventure elle lui soumettait de telles propositions.

Pourquoi, dans ce cas, me suis-je permis d’y penser ? Parce que je disposais de l’éclairage et de l’appui du Nouveau Testament en son entier et de la tradition primitive de l’Église. Mais le magistère romain a pour habitude et pour règle d’interpréter la révélation du point de vue souverain de sa tradition propre, celle des conciles et des déclarations pontificales. À vrai dire, cette tradition, telle qu’elle s’énonce aujourd’hui, ne remonte pas en deçà de la réforme grégorienne du 11ème siècle qui a établi la suprématie du pouvoir sacré et spirituel sur le pouvoir laïc et profane.

Mais qu’importe ! La papauté, arc-boutée sur la parole de Jésus qui confie son Église à Pierre (Mt 1618), se voit instituée par lui seul juge suprême de la révélation, seul guide des destinées de l’Église qu’elle gouverne par le moyen du pouvoir épiscopal et sacerdotal, qui a sa source dans le Christ. Qu’importe que Jésus ait prononcé une seule fois le mot Église pour évoquer le Royaume des cieux (Mt 1619), qu’il n’ait envisagé de pouvoir chez ses apôtres que sous le mode du service le plus humble (Mt 2026), qu’il ne soit question de sacerdoce dans le Nouveau Testament qu’à propos du peuple chrétien (1 P 25), qu’importe tout cela : il n’est de vie et de pouvoir dans l’Église que grâce à la transmission du sacerdoce. S’il vient à tarir, l’Église est vouée à dépérir. On comprend que les évêques, affolés, aillent chercher des prêtres aux quatre coins du globe, tandis que d’autres songent à l’ordination d’hommes mariés, mais ce n’est et ne pourra être que des remèdes de fortune. Alors comment pourrait-on donner la priorité à l’annonce de l’Évangile au monde sécularisé quand l’Église n’est préoccupée que de survivre et paraît condamnée à brève échéance ?

Voilà pourquoi il est vain de penser que l’Église puisse changer ses structures: il lui faudrait se déjuger sur trop de points capitaux à ses yeux. Tout ce qu’on peut espérer, c’est que, lorsqu’elle sera à bout de ressources, l’Esprit Saint lui fera voir qu’elle détient dans l’Évangile toute possibilité pour s’innover sans avoir à se renier.

Mais devra-t-on attendre pour cela d’être au bord du gouffre ? Non, je voudrais vous laisser sur une parole d’espérance, mais elle ne peut être que rude. Nous avons appris de saint Paul que le christianisme est fondé sur la faiblesse et la folie de la Croix, qui se révèlent au croyant comme la force et la sagesse de Dieu (1 Co 121-25). Espérance sans illusion, puisque la vie ne peut sortir que de la mort, qu’il faut donc au préalable accepter. Une revue française titrait au début de l’année sur “Le déclin du catholicisme européen” ; on y lisait des diagnostics de ce genre : “Le catholicisme n’est certes pas encore mort, il n’est même pas en phase terminale, son “cadavre bouge encore” pour reprendre le titre d’un livre célèbre, et pourtant, en Europe, il semble parfois proche de la retraite” ; l’article analysait le motif de douter de son rétablissement : c’est que toute réforme est exclue d’avance, que l’Église entend “maintenir à tout prix un statut sacerdotal né comme tel au Moyen Âge” et manifeste “une volonté d’autoconservation presque suicidaire”; alors que d’aucuns mettent leur espoir dans un revival religieux [mot d’origine anglaise : retour à la vie] – concluait l’auteur. « Revient toujours la question : l’Europe, berceau du christianisme, est-elle le passé ou le futur des religions ? » (Esprit, fév. 2010, J.-L Schlegel, p. 79, 82 et 88).

S’il y a un motif d’espérer contre toute apparence, c’est de miser sur l’Évangile, non sur la religion. C’est ce que nous avons fait, et c’est sur ce terrain-là qu’il est possible de mettre en œuvre un début de changement.

Pour un début de changement

J’achèverai donc ma réflexion, mais il vous reviendra de la poursuivre, en ébauchant ce que pourrait être la mise en chantier d’une politique de réformes structurelles, ce que j’ai appelé voici quelques instants “une pastorale du changement à petits pas de travers et de côté”, je veux dire en procédant modestement et patiemment, en faisant de petits écarts par rapport aux règles habituelles, pas graves mais renouvelés, en laissant mourir quelques traditions vieillottes, en faisant des innovations audacieuses, sans provocation mais soutenues, en prenant des initiatives, en osant, encore et encore.

La première chose sera de faire exister une communauté, même réduite à quelques chrétiens, là où il y avait auparavant une paroisse, maintenant rattachée à un plus vaste ensemble. Là où il y a un lieu de vie, un centre d’habitations, une agglomération de quelque importance, un quartier urbain doté d’une vitalité propre, là doit revivre une présence d’Église, car là se trouve un terrain à évangéliser. Cela ne représente pas une innovation bien audacieuse, car cela se fait en maints endroits. Mais ce sera un premier acte créatif, la première marque de la volonté de laïcs de prendre en charge leur vivre-en-Église, de prendre la responsabilité d’un lieu pour y donner de la visibilité à l’Évangile, et ce sera aussi un premier acte de rupture, non avec les autres chrétiens du regroupement inter-paroissial ni avec les prêtres responsables du secteur, mais avec la passivité de brebis satisfaites d’aller au bercail, satisfaites de la nourriture que d’autres leur ont préparée, un petit accroc dans un organigramme officiel et traditionnel.

Ensuite, il faudra vite afficher la spécificité de cette petite communauté, sa raison d’être, à savoir d’être organisée en vue d’un partage d’Évangile. Un programme d’étude devra être établi, une méthode de travail, un calendrier des rencontres. Ce sera aussi un lieu de prière, dont le genre se précisera peu à peu, adapté au partage d’Évangile ; et il sera important que vous preniez ainsi la responsabilité de votre vie spirituelle, que l’Évangile devienne pour vous le lieu de votre rencontre avec Jésus, et pas seulement un objet d’étude. Vous aurez sans doute à décider un jour ou l’autre que cette réunion de prière, quitte à l’étoffer davantage, vous tiendra lieu de la messe dominicale : nouvel acte de rupture avec la routine liturgique, nouvelle marque d’indépendance, un petit pas de travers qui ne vous éloignera pas vraiment des autres chrétiens de l’inter-paroisse, mais qui vous aidera au contraire à devenir des animateurs responsables des messes qui se font sur le secteur.

Une autre étape importante sera d’affirmer et d’activer le profil missionnaire de la communauté. II y aura à discerner les problèmes qui doivent mobiliser par priorité votre activité missionnaire, non des problèmes religieux, mais humains, quoique discernés à la lumière de l’Évangile. De même que Jésus, dans ses tournées missionnaires, se tournait d’abord vers les malades et que, dès qu’il prenait la parole en parabole ou autrement, il s’intéressait d’emblée à la conduite concrète des gens les uns vis-à-vis des autres, au comportement d’un fils à l’égard de son père, des riches à l’égard des pauvres, des Judéens envers les Samaritains, de même donc que Jésus annonçait le royaume de Dieu en prenant à bras le corps des problèmes d’humanité, de même vous aurez à observer où il y a autour de vous le plus de souffrance à soigner, le plus d’injustice à réparer, le plus d’incompréhension entre les gens, les besoins d’entraide les plus criants, où sont les blessures d’humanité à guérir, celles du moins auxquelles il vous est possible de porter remède, par vous-mêmes et en mobilisant le dévouement d’autres personnes. Car vous ne serez pas pleinement missionnaires en restant toujours entre vous, mais en vous faisant aider par des non-croyants ou des non-pratiquants, ou en vous joignant à eux s’ils travaillent déjà sur le même terrain, et aussi en les invitant à vos réunions pour réfléchir ensemble à ces problèmes. Vous aurez alors à appliquer la consigne de Paul : ne pas prier avec l’esprit seul, comprenez : avec votre sensibilité religieuse, mais encore avec l’intelligence, à savoir : en interprétant conjointement l’Évangile et les signes des temps. Et vous découvrirez alors vous-mêmes et ferez découvrir aux autres à quel point la pensée du Christ recouvre, éclaire et stimule le sens de l’humain.

Et je passe vite à une troisième étape. Dès qu’une communauté de ce type aura été formée sur un secteur paroissial, ou du moins dès qu’elle aura acquis assez d’expérience, elle devra se préoccuper d’essaimer, de susciter la création d’une autre communauté, et d’autres ensuite sur le même secteur. Cela pour accroître sa zone d’influence, pour bénéficier des réflexions et des expériences d’autres communautés, ou parce que les activités missionnaires déjà entreprises ou qu’il faudrait entreprendre exigent l’élargissement du champ d’action primitif et l’apport de nouveaux concours, et plus simplement parce que l’esprit missionnaire et évangélique pousse à aller de lieu en lieu, ainsi que le faisait Jésus, et même à parcourir l’univers, ainsi qu’il y a poussé ses apôtres.

À mesure que s’accroîtra le nombre des communautés sur un même secteur, que s’élargira le champ de leurs activités missionnaires et que leur nature se diversifiera, des problèmes se poseront, qui réclameront de nouveaux pas de côté et de travers. La responsabilité étendue des laïcs appellera leur représentation dans les instances dirigeantes du secteur, et il s’ensuivra un partage du pouvoir clérical. Les communautés du secteur voudront se réunir entre elles et célébrer leur union en corps du Christ ; cela commencera par se faire sous l’ancien modèle des Assemblées dominicales en l’absence de prêtre (ADAP), et cela évoluera sous forme de nouvelles liturgies eucharistiques, car pourra-t-on refuser à une communauté l’aliment naturel et nécessaire de la vie chrétienne, le signe d’identité et de partage sous lequel est né le christianisme ?

Cette évolution ne se fera pas sans heurts, sans bousculer les us et coutumes des fidèles et le positionnement réciproque des clercs et des laïcs. Tant mieux, disait Paul aux fidèles de Corinthe, à propos justement des troubles de leurs assemblées eucharistiques : “Car il faut bien qu’il y ait des dissensions entre vous pour que les esprits éprouvés se mettent en évidence chez vous”, et il concluait : “Attendez-vous les uns les autres” (1 Co 1119, 33). II ne faut pas fuir les affrontements quand on y est poussé par un esprit évangélique dûment discerné en commun, on saura cependant ne pas avancer trop vite ni trop loin pour que les retardataires puissent rejoindre le peloton de tête.

D’ailleurs ces avancées pourront se faire plus facilement qu’on ne le pense, parce que de nombreux chrétiens parmi les plus assidus et les plus actifs partagent en gros le même esprit, et qu’il ne manquera pas de prêtres et d’évêques, restés fidèles à la ligne de Vatican II et bons observateurs des signes des temps, qui ne seront pas mécontents d’être un peu bousculés par leurs fidèles et qui prendront même les devants pour se décharger sur eux d’une part de leurs responsabilités et de leurs soucis. Ainsi me paraît-il permis d’espérer qu’une évolution se fasse sans trop de difficultés ni de dégâts.

Que peut-on attendre d’autre ? Que le changement se fasse par en haut ? J’ai dit pour quels motifs il est impossible que le pouvoir suprême de l’Église aille à l’encontre de la tradition qui l’a mis en place, et a-t-on jamais vu où que ce soit une administration se saborder pour se réformer ? Espérer un revival des vocations sacerdotales ? Une société qui ne produit plus de prêtres est une société qui ne désire plus se reproduire sur le modèle de son passé religieux. Quand on aura renoncé à ces vains espoirs, il paraîtra évident que le changement ne pourra venir que d’en bas, et quand des laïcs chrétiens l’auront amorcé, poussés par le souffle de l’Esprit, l’ensemble de l’Église saura y reconnaître la voie de son salut.

La société aussi, l’Esprit nous en donne l’espérance. Car la société n’a rejeté si globalement le christianisme que sous son visage religieux et autoritaire, qui voilait sa réalité évangélique. Mais le christianisme se présentera sous un jour tout différent, quand les laïcs y occuperont le devant de la scène, avec une légitimité reconnue, et qu’ils travailleront à restaurer le sens de l’humain dans le monde. On ne pourra plus dire que l’Église est l’ennemie de la liberté, ni qu’elle cherche à régenter la société, ni qu’elle ne s’intéresse qu’aux choses du ciel, et la religion chrétienne paraîtra en tant que telle toute changée, quand de nombreuses fonctions réservées aux clercs seront exercées par des laïcs. Le pouvoir, partagé, aura changé de nature, il sera devenu un service, conformément à la volonté de Jésus. Notre société pourra alors reconnaître dans le christianisme les mêmes idées à cause desquelles elle l’avait rejeté, le vrai humanisme dont l’Évangile est la source. Et on ne pourra plus dire, comme nous l’avons lu, que le christianisme est moribond et suicidaire, quand l’Esprit de l’Évangile lui aura donné une vitalité nouvelle par la libération de son laïcat.

Rêverie, crédulité aveugle, ou optimisme béat ? Rien d’autre qu’une tremblante espérance.

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