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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

5e Dimanche du Carême. Année B.

Imprimer Par Daniel Cadrin

Une dynamique du don

Parmi les Grecs qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu durant la Pâque, quelques-uns abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée. Ils lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. » Philippe va le dire à André ; et tous deux vont le dire à Jésus. Alors Jésus leur déclare :
« L’heure est venue pour le Fils de l’homme d’être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. Maintenant je suis bouleversé. Que puis-je dire ? Dirai-je : Père, délivre-moi de cette heure ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! »
Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. » En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre ; d’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. »
Mais Jésus leur répondit : « Ce n’est pas pour moi que cette voix s’est fait entendre, c’est pour vous. Voici maintenant que ce monde est jugé ; voici maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.

COMMENTAIRE

Voici que des Grecs veulent voir Jésus. Ils s’adressent à Philippe, son disciple. Commence alors une sorte de relais, assez étrange. Philippe en parle à André. Puis, les deux vont le dire à Jésus. Et celui-ci, au lieu de regarder son agenda pour voir à quel moment il pourrait rencontrer ces Grecs ou de répondre plus directement à la demande, se lance dans un discours théologique : il parle du Fils de l’homme, de l’heure venue, du grain qui meurt, de la gloire, du jugement; et même une voix du ciel s’en mêle. Ces Grecs ont dû peut-être se dire : « Mais on voulait juste le rencontrer! Finalement, on peut le voir? ».

Mais nous sommes ici dans l’évangile de Jean: ce qui peut sembler du coq-à-l’âne est en fait plus cohérent et riche de sens que ce premier regard. Oui, il s’agit de voir Jésus, d’avoir accès à lui, une requête toujours actuelle, autour de nous, en nous. Que nous dit Jean là-dessus? D’abord que l’accès à Jésus passe par ses disciples, comme si la bonne nouvelle ne pouvait passer que par des témoins personnels, de personne à personne, une sorte de relais de l’expérience croyante, passant par ceux et celles qui croient en Jésus et le suivent. L’accès à Jésus passe aujourd’hui encore par ces réseaux. Car cette bonne nouvelle n’est pas d’abord une idée, un programme, mais quelqu’un, qui fait entrer dans une communion fraternelle. Les liens personnels se trouvent autant aux débuts de la quête de Jésus qu’à son terme.

Ensuite, cet accès est pour tous, car il s’agit ici de Grecs adorateurs, des païens proches du judaïsme ; le cercle s’élargit au-delà du monde juif. Il n’est pas surprenant que ce texte se termine par l’affirmation de l’universalité de la croix, où Jésus, élevé de terre, attirera à lui tous les humains. La croix, planté en terre, entre terre et ciel, comme réalité et symbole de convergence, de rassemblement. Cela est encore plus vrai aujourd’hui où la foi en Jésus est partagée par des personnes de tous les continents, dans une communion plus universelle qu’elle ne l’a jamais été dans l’histoire.

La réponse de Jésus à cette demande d’une rencontre peut sembler étonnante. Dans ses paroles, elle n’offre pas un contact immédiat. Il est question plutôt de l’heure venue, celle de la glorification du Fils de l’homme, et du grain de blé qui meurt et porte fruit. Face à la demande, un signe est proposé: celui de la croix, celui du mystère pascal, dans son mouvement de don, de la mort à la vie. Un signe à contempler : Vous voulez voir Jésus ? Regardez la croix, c’est là qu’il se donne à voir en vérité. C’est un signe non seulement à contempler mais auquel participer de l’intérieur, dans lequel entrer pour vraiment voir Jésus. Car pour le voir, il faut aussi le suivre. Cet engagement appelle à entrer dans une nouvelle dynamique, faite de décentrement de soi et de risque. S’accrocher à soi, par peur de se perdre, mène au contraire à la perte de soi. Alors que la logique du don de soi, paradoxalement, conduit à une vie abondante. Voir Jésus, puis le suivre : il s’agit là d’un être-avec, jusqu’au bout, jusqu’au fruit abondant, car là ou je suis, dit Jésus, sera aussi mon serviteur. Aux disciples qui risquent, est promis une transformation de soi, sous l’amour bienveillant du Père.

Mais aussi, nous dit Jean, cette communion à la croix et à la gloire du Christ inclut le passage par le moment de trouble, par l’hésitation à aller plus loin. Jésus lui-même est passé par là : devant cette heure venue, il est bouleversé. Il est tenté de fuir cette heure, cette ultime confrontation. Puis il se ressaisit et choisit résolument de faire face. On retrouve ici en Jean des éléments que les autres évangiles ont mis dans la scène de l’agonie au jardin des Oliviers. La fête de Pâque se rapproche (v.20) et la pâque de Jésus aussi. Si Jésus lui-même a dû traverser ce moment de trouble intérieur, nous n’avons pas à nous étonner de nos propres périodes d’incertitude et d’hésitation devant des choix à faire. Il n’y a pas à en être gêné, comme si cela disait un manque de foi. Ces passages douloureux font partie du mouvement pascal, de la dynamique du don. Aucune technique spirituelle ne peut nous assurer une traversée de la nuit qui serait plaisante ou rapide. La croix reste plantée en terre, dans notre terre.

Voir Jésus : ce texte de Jean nous fournit finalement plusieurs pistes pour continuer cette quête. La fête de Pâques approche. Pour nous aussi. Jean nous invite à nous y préparer de l’intérieur : dans le regard contemplant un signe enraciné et élevé, entre terre et ciel ; et dans l’accueil d’un mystère de mort et résurrection, comme un grain de blé tombé en terre qui donne beaucoup de fruit.

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