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Méditation chrétienne

Communauté (2ème partie)*

Imprimer Par Dietrich Bonhoeffer

Dietrich Bonhoeffer est né à Breslau (Allemagne). Après des études en théologie à Berlin, il obtient son doctorat et devient pasteur de l’Église luthérienne en 1931. Par son opposition ouverte aux mesures antisémites du régime nazi il est interdit de prédication et d’enseignement, puis arrêté par la gestapo en 1943. Suite à l’attentat manqué contre Hitler, en 1944, il est condamné à mort et exécuté le 9 avril 1945 au camp de concentration de Flossenbürg. Dietrich Bonhoeffer est considéré comme l’un des plus grands spirituels et théologiens protestants du XXème siècle. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages marquants. Son livre « De la vie communautaire » se présente comme le témoignage de ce qu’il a vécu avec les jeunes candidats au ministère pastoral au séminaire clandestin de Finkenwalde entre 1935 et 1937.

LA COMMUNAUTÉ APPARTIENT À JÉSUS CHRIST

Concernant le troisième point : lorsque le Fils de Dieu a pris chair, il a aussi, par pure grâce, assumé notre être, notre nature, nous-mêmes vérita­blement et corporellement. Tel fut le décret éternel du Dieu trinitaire. Désormais, nous sommes en lui. Là où il est, il porte notre chair, il nous porte. Là où il est, nous sommes aussi, dans l’incarnation, dans la croix et dans sa résurrection. Nous lui appartenons parce que nous sommes en lui. C’est pourquoi l’Ecriture nous appelle le Corps du Christ. Mais si, avant même que nous puissions le savoir et le vouloir, nous avons été élus et adoptés en Jésus Christ avec l’assemblée tout entière, alors nous lui appartenons tous ensemble pour l’éternité. Nous qui vivons ici dans sa communion, nous serons un auprès de lui dans une communion éternelle. Celui qui considère son frère doit savoir qu’il sera éternellement uni à lui en Jésus Christ. Une communauté chrétienne signifie une communauté par et en Jésus Christ. C’est sur ce fondement que repose tout ce que donne l’Ecriture comme enseignements et règles pour la vie communau­taire des chrétiens.

« Sur l’amour fraternel, vous n’avez pas besoin qu’on vous écrive ; car vous avez appris vous-mêmes de Dieu à vous aimer les uns les autres […]. Mais nous vous exhortons, frères, à faire encore de nouveaux progrès » (1 Th 4,9s.). C’est Dieu lui-même qui se charge de nous ins­truire dans l’amour fraternel ; tout ce que l’être humain peut encore ajouter ici, est de rappeler cet enseignement qui ne vient pas de nous, et d’exhorter à y persévérer plus pleinement. Lorsque Dieu se fit miséricor­dieux à notre égard, lorsqu’il nous révéla Jésus Christ comme le frère, lorsqu’il gagna notre cœur par son amour, c’est là que commença en même temps cette instruction dans l’amour fraternel. Sa miséricorde nous a du même coup appris la miséricorde avec nos frères. En recevant le pardon au lieu du jugement, nous avons déjà été préparés au pardon fra­ternel. Nous sommes devenus redevables envers nos frères de ce que Dieu nous a fait à nous-mêmes. Plus nous avions reçu, plus nous pouvions donner et moins riche était notre amour fraternel, moins nous vivions manifestement de la miséricorde et de l’amour de Dieu. Dieu lui-même nous a appris ainsi à nous rencontrer les uns les autres comme il nous a rencontrés en Christ. « Accueillez-vous donc les uns les autres comme Christ vous a accueillis, pour la gloire de Dieu » (Rm 15,7).

C’est en partant de là que la personne appelée par Dieu à une vie com­munautaire avec d’autres chrétiens apprend ce que veut dire avoir des frères. Paul appelle les membres de l’assemblée de Philippes « frères dans le Seigneur » (Ph 1,14). C’est par Jésus Christ seul que l’on est frère l’un pour l’autre. Je suis frère pour l’autre à cause de ce que Jésus Christ a fait pour moi et en moi ; l’autre est devenu un frère pour moi à cause de ce que Jésus Christ a fait pour lui et en lui. Le fait que nous sommes frères seulement par Jésus Christ est d’une importance incalculable. Ainsi, le frère n’est pas l’autre, sérieux et pieux, assoiffé de fraternité, qui me fait face, et avec qui je vais avoir affaire dans la communauté ; le frère est l’autre, sauvé par le Christ, absous de son péché et appelé, comme moi, à la foi et à la vie éternelle. Ce n’est pas ce que quelqu’un est en soi comme chrétien, avec toute sa vie intérieure et toute sa piété, qui peut fonder notre communauté ; ce qui est déterminant pour notre fraternité, c’est ce que quelqu’un est à partir du Christ. Notre communauté consiste unique­ment en ce que le Christ a fait pour nous deux et ce n’est pas seulement vrai au début, en sorte qu’il pourrait encore s’ajouter au cours du temps un nouvel élément à cette communauté qui est nôtre, mais cela reste ainsi pour l’avenir et pour toute l’éternité. Je n’ai et je n’aurai de communauté avec l’autre que par Jésus Christ seul. Plus notre communauté sera authentique et profonde, plus le reste passera à l’arrière-plan entre nous, plus apparaîtra avec plus de clarté et de pureté ce qui la rend une et vivante : Jésus Christ seul et son œuvre. C’est seulement par le Christ que nous nous appartenons l’un l’autre, mais par le Christ notre appartenance réciproque est réelle, intégrale et pour l’éternité.

LA FRATERNITÉ CHRÉTIENNE

Ainsi toute aspiration confuse à plus que cela se trouve éliminée d’emblée. Celui qui veut davantage que ce que le Christ a établi entre nous ne veut pas une fraternité chrétienne ; il s’en va à la recherche de je ne sais quelles expériences communautaires inédites qui lui ont été refu­sées ailleurs et il introduit dans la communauté chrétienne des désirs qui ne sont ni clairs ni purs. C’est justement ici que la fraternité chrétienne est menacée par le plus grave des dangers – et cela, la plupart du temps, dès le début : l’intoxication par l’intérieur, provoquée par la confusion entre la fraternité chrétienne et un rêve de communauté pieuse, par le mélange de la nostalgie naturelle d’une communauté venant d’un cœur pieux et la réalité spirituelle de la fraternité chrétienne. Or, il est de la plus grande importance que ceci soit clair dès le début : premièrement, la fra­ternité chrétienne n’est pas un idéal, mais une réalité donnée par Dieu et, secondement, la fraternité chrétienne est une réalité, pneumatique et non pas psychique.

D’innombrables fois, une communauté chrétienne tout entière s’est effondrée du fait qu’elle vivait d’une image illusoire. C’est précisément le chrétien sérieux, entré pour la première fois dans une communauté de vie chrétienne, qui apportera souvent avec lui un idéal très précis de ce qu’elle doit être et s’efforcera de le réaliser. Mais c’est la grâce de Dieu qui mène rapidement à l’échec toutes ces sortes de rêves. C’est quand nous sommes submergés par une grande désillusion sur les autres, sur les chrétiens en général et, si tout va bien, sur nous-mêmes que Dieu veut nous conduire à la connaissance d’une véritable communauté chrétienne. C’est par pure grâce que Dieu ne permet pas que nous vivions, ne serait-ce que quelques semaines, selon une image chimérique, que nous nous abandonnions à ces expériences exaltantes et à cet emballement gratifiant qui nous envahit comme une ivresse. Car Dieu n’est pas un Dieu d’émotions sentimentales, mais un Dieu de vérité. C’est pourquoi seule la com­munauté qui entre dans la grande désillusion qu’elle éprouvera avec tous les phénomènes désagréables et négatifs qu’elle peut connaître com­mence à devenir ce qu’elle doit être devant Dieu et à saisir dans la foi la promesse qui lui est donnée. Plus l’heure de cette désillusion sonne tôt pour le croyant et pour la communauté, mieux cela vaut pour tous les deux. Mais une communauté, qui ne supporterait pas une telle désillusion et qui ne la traverserait pas, qui s’accroche par conséquent à son illusion, alors qu’elle devrait la voir se briser, devra tôt ou tard faire faillite. Toute image humaine illusoire, qui se trouve introduite dans la communauté chrétienne, empêche la communauté authentique et doit être brisée pour que la communauté authentique puisse vivre. Celui qui préfère son rêve d’une communauté humaine à la communauté chrétienne elle-même, celui-là devient le destructeur de toute communauté chrétienne, quels que soient l’honnêteté, le sérieux et le dévouement qu’il exprimait, personnel­lement, dans ses intentions.

CONTRE LA RÊVERIE

Dieu hait la rêverie, car elle rend orgueilleux et prétentieux- Celui qui rêve de l’image idéale d’une communauté, celui-là exige de Dieu, des autres et de lui-même qu’elle se réalise. Il se présente dans la commu­nauté des chrétiens avec ses exigences, érige une loi qui lui est propre et en fonction de laquelle il juge les frères et Dieu lui-même. 11 s’impose avec dureté et comme un reproche vivant pour tous les autres dans le cercle des frères. Il agit comme s’il avait d’abord à créer la communauté chrétienne, comme si son idéal imaginaire devait lisser les liens qui unis­sent les êtres humains. Ce qui ne va pas selon sa volonté, il le considère comme un échec. Là où son rêve se brise, il voit la communauté s’effon­drer. Ainsi devient-il l’accusateur de ses frères, puis l’accusateur de Dieu et enfin l’accusateur désespéré de lui-même. En fait, c’est parce que Dieu a déjà posé le seul fondement de notre communauté, c’est parce que depuis longtemps, avant que nous entrions dans la vie communautaire avec d’autres chrétiens, Dieu nous a reliés ensemble dans un seul corps en Jésus Christ, c’est pour cette raison que nous entrons dans la vie commu­nautaire avec d’autres chrétiens non avec nos exigences, mais avec grati­tude et prêts à recevoir. Nous remercions Dieu pour ce qu’il a fait en nous. Nous le remercions de nous donner des frères qui vivent sous son appel, sous son pardon et sous sa promesse. Nous ne nous plaignons pas de ce que Dieu ne nous donne pas, mais nous le remercions de ce qu’il nous donne chaque jour. Et que nous faut-il de plus que des frères qui doivent aller et vivre avec nous dans le péché et la détresse sous la bénédiction de sa grâce ? Le don de Dieu, quels que soient les jours, même les plus diffi­ciles et les plus noirs d’une fraternité chrétienne, est-il plus parcimonieux que cette grande réalité insaisissable ? Ce don n’est-il pas encore là où le péché et l’incompréhension pèsent lourd sur la vie communautaire ? Le frère pécheur aussi n’est-il pas toujours le frère avec lequel je me tiens solidairement sous la parole du Christ et son péché n’est-il pas pour moi l’occasion de rendre grâce sans cesse pour le fait que nous avons tous deux le droit de vivre sous l’amour et le pardon de Dieu en Jésus Christ ? L’heure de la grande déception par rapport au frère n’est-elle pas incom­parablement salutaire pour moi, parce qu’elle m’enseigne profondément que nous deux nous ne pouvons jamais vivre de nos propres paroles et de nos propres actes, mais seulement d’une parole et d’un acte, qui nous relient en vérité, à savoir le pardon des péchés en Jésus Christ ? Là où les brumes matinales des idéaux imaginaires se dissolvent, là se lève en pleine clarté le jour de la communauté chrétienne.

LA RECONNAISSANCE

Pour la reconnaissance dans la communauté chrétienne il en va comme pour le reste dans la vie chrétienne. Seul l’être qui remercie pour la moindre chose reçoit aussi les plus grandes. Nous empêchons Dieu de nous donner les dons spirituels plus importants qu’il nous a préparés, parce que nous ne remercions pas pour les dons quotidiens. Nous pensons que nous ne devrions pas nous satisfaire de la faible mesure de connais­sance spirituelle, d’expérience et d’amour qui nous est donnée et que nous aurions toujours à considérer avec convoitise les dons spirituels les plus grands8. Nous nous plaignons de n’avoir pas la certitude, la foi, l’expé­rience que Dieu a données à d’autres chrétiens, et qui ne seraient pas aussi grandes, fortes et riches en nous, et nous tenons ces doléances pour pieuses.

Nous demandons de grandes choses dans nos prières, et nous oublions de rendre grâce pour les petites choses – mais sont-elles si petites ? – que nous recevons journellement. Comment Dieu pourrait-il confier de grandes choses à celui qui ne veut pas recevoir avec reconnais­sance les petites que sa main nous accorde ? Ne disons-nous pas merci chaque jour pour la communauté chrétienne dans laquelle nous nous trou­vons, même là où il n’y a ni grande expérience, ni de richesse constatable, mais là où nous rencontrons beaucoup de faiblesse, de foi pusillanime et de difficulté, nous préférons toujours nous plaindre à Dieu que tout soit si pauvre, si médiocre, et ne corresponde pas du tout à ce à quoi nous nous attendions ; ainsi, nous empêchons Dieu de faire croître notre commu­nauté selon la mesure et la richesse qui sont déjà préparées pour nous tous en Jésus Christ.

Cela vaut en particulier pour la plainte, souvent entendue, de pasteurs et de paroissiens zélés à propos de leurs paroisses. Un pasteur ne doit pas se plaindre de sa paroisse, surtout pas devant les gens, ni non plus devant Dieu ; elle ne lui a pas été confiée pour qu’il s’en fasse l’accu­sateur devant Dieu et devant les hommes. Celui qui commettrait l’erreur d’accuser la communauté chrétienne dans laquelle il se trouve, qu’il se demande d’abord si ce n’est pas seulement son image illusoire qui doit être détruite par Dieu et, s’il en juge ainsi, qu’il remercie Dieu qui l’a conduit dans cette situation difficile ; s’il juge la situation autrement, qu’il se garde cependant de devenir l’accusateur de l’Eglise de Dieu ; qu’il s’accuse plutôt lui-même de son incrédulité, qu’il prie Dieu de lui faire connaître sur quel point particulier il a failli ou péché et de l’empêcher d’être coupable envers ses frères, qu’il intercède pour eux en reconnais­sant sa propre faute, qu’il accomplisse la tâche qui lui a été confiée et qu’il remercie Dieu.

Il en est de la communauté chrétienne comme de la sanctification des chrétiens. Elle est un don de Dieu sur lequel nous ne pouvons exprimer aucune prétention. Ce qu’il en est réellement de notre communauté et de notre sanctification. Dieu seul le sait. Ce qui nous paraît faible et médiocre, cela peut être grand et magnifique pour Dieu. Le chrétien ne doit pas prendre continuellement le pouls de sa vie spirituelle ; de même la communauté chrétienne ne nous a pas été donnée par Dieu pour que nous mesurions continuellement sa température. Plus nous recevons chaque jour avec gratitude ce qui nous est donné, plus la communauté grandira et croîtra de jour en jour selon le bon plaisir de Dieu de manière plus sûre et plus équilibrée.

* deuxième d’un groupe de trois articles. Le troisième article sera publié en avril.

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