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La vie comme un automne

Imprimer Par Denis Gagnon

Chaque année, l’automne s’habille de tous ses paradoxes. C’est la saison où la fécondité et le dépouillement se marient presque harmonieusement. D’une part, les jardins s’épanouissent dans de généreux accouchements de fruits et de légumes. La pluie inonde-t-elle la terre comme cet été? Ou refuse-t-elle d’abreuver le sol? Peu importe. Le potager se débrouille autrement. Ses légumes parviennent à se donner suffisamment de consistance pour quelques savoureux bouillis. Les vergers donnent assez de pommes pour nous procurer le plaisir de mordre à belles dents. Promenez-vous dans les marchés publics, ces temps-ci. La richesse de la nature y dévoile toutes ses couleurs. L’automne s’éclate dans tous ses déploiements.

Par ailleurs, la troisième saison tire sur la quatrième. Sans aucune gêne, le vent chante déjà l’hiver. Il annonce les grands froids sans crier gare. La pluie se fait cinglante comme une vieille grincheuse. Les jours se couchent de bonne heure comme si la traversée du temps les fatiguaient plus que d’habitude. À moins que ce soit le ciel qui les déprime en s’assombrissant plus souvent que de coutume. Frileusement, les fleurs se replient sur elles-mêmes et abandonnent. Les arbres résistent du mieux qu’ils peuvent. Mais eux aussi finissent par lâcher prise. Leurs feuilles se détachent et vont mourir sur le sol. Les oiseaux fichent le camp vers des contrées plus hospitalières. Les corps – nos corps – perdent de leur liberté, de leur désinvolture. Ils se recroquevillent. Ils s’emprisonnent sous des tuques et des manteaux pour éviter de geler. Ils se résignent enfin à s’enfermer et à ne céder à la vie sociale qu’au compte-gouttes.

J’en connais qui croient que c’est le prix qu’il faut payer pour goûter aux petits bonheurs des récoltes. Mais c’est là une vision des choses plutôt mercantile. Elle laisse peu de place à la gratuité. Il y a des joies qui ne demandent pas de paiement. Il y a des bonheurs qui viennent comme ça, gratuitement. Juste pour le plaisir de faire plaisir. S’il y a des choses qui se payent, il y en a d’autres qui s’offrent sans rien demander en retour.

Cette danse qui va de la richesse au dépouillement, de l’abondance au dénuement nous donne une leçon de sagesse. La vie est en perpétuel contraste. Nous recevons et perdons constamment. Souvent un même événement nous donne et nous retire tout à la fois. En passant à l’adolescence, le jeune abandonne son enfance. Les cheveux blancs de l’expérience ont pris la place de la jeunesse et de ses audaces. Chaque minute gagnée se transforme en même temps en minute perdue. C’est Lucrèce qui disait: «Aucune chose ne demeure semblable à elle-même: tout passe, tout change, tout se transforme.» (De rerum natura, V, 828-831)

Constamment, la vie et la mort se donnent rendez-vous. L’automne nous propose de participer à leurs noces. La fête n’est pas macabre si nous savons tirer profit de nos pertes comme nous aimons goûter à ce qui nous enrichit. Perdre a aussi un côté positif. Il révèle le prix des choses et des êtres, le prix de la vie. Précieuse vie qui traverse nos fragilités. Perdre nous apprend la liberté dans le détachement. La soif est maîtresse de vie tout autant que le verre d’eau. Quand le décor est dépouillé, les quelques choses qui le composent prennent de la valeur.

Le dépouillement n’est pas confortable. L’opulence se dresse comme une garantie. Mais ce n’est qu’illusion. Rien n’est sûr dans la vie. Épicure disait: «Contre toutes les autres choses, il est possible de se procurer la sécurité; mais, à cause de la mort, nous, les hommes, habitons tous une cité sans murailles» (Sentence vaticane 31). Malgré nous, nous sommes des êtres exposés. Les vents surgissent de tous côtés. Ils fouettent. Nous apprenons avec le temps à résister; nous apprenons à résister en composant. Les otages apprennent vite à composer avec leurs ravisseurs.

Le plus difficile et, en même temps, la seule ouverture sur la liberté, c’est le deuil. Nous avons, tout au long de la vie, à faire des deuils. Les ruptures nous font mal au point de refuser la réalité. Freud affirmait avec raison: «Nous ne savons renoncer à rien» (Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Idées-Gallimard, 1980, p. 71). Nous ne savons pas, mais nous pouvons apprendre. Les deuils les meilleurs conduisent à la liberté. Même à la liberté en face de notre propre mort. Non pas indifférence, mais abandon serein, certitude de l’existence d’une aurore au bout de toutes les nuits.

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