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Le psalmiste,

Responsable de la chronique : Michel Gourgues, o.p.
Le psalmiste

Le rapport à la Liturgie des Heures dans la tradition dominicaine

Imprimer Par Yves Bériault

En apparence, la vie communautaire dominicaine semble marquée par la stabilité et la régularité. Il suffit de regarder d’un peu plus près la vie des frères, et ce, depuis les origines de l’Ordre, pour constater combien elle porte en elle comme une empreinte indélébile, un appel vers le large qui est au cœur même de notre vie apostolique. Saint Dominique laisse un précieux trésor à l’Église en fondant son Ordre : un nouveau modèle de vie religieuse où la vie régulière est au service de la prédication, et où cette même prédication est fondée sur l’étude et la contemplation de la Parole de Dieu, vécues dans l’unanimité de la vie commune à l’exemple de la première communauté apostolique de Jérusalem (Ac 2,42-47; Ac 4, 32-33).

Les origines

Dès les origines, la réforme de la vie religieuse que propose Dominique cherche à conjuguer l’imitation des apôtres, la pauvreté mendiante et la prédication itinérante. Ces trois lignes de force constitueront les fondements de la naissance de l’Ordre des Prêcheurs. Elles détermineront non seulement la vie missionnaire de l’Ordre, mais la nature même de la vie conventuelle des frères et leur vie de prière.

Notre vie religieuse « fut, on le sait, dès l’origine spécifiquement instituée pour la prédication et le salut des âmes » (1). En saisissant bien cette articulation entre la vie commune des frères et les impératifs de notre mission, on peut comprendre la spécificité de la liturgie des Heures dans notre tradition et son articulation avec les autres éléments qui fondent le charisme de notre Ordre.

La fondation de l’Ordre, en 1216, est le résultat d’une quête passionnée chez un chanoine castillan, Dominique de Guzman, confronté au phénomène des hérésies cathares et albigeoises dans l’Europe du 13e siècle. Il s’engage avec son évêque dans une mission de prédication dans le sud de la France. Cela le convainc que l’Église doit créer de toute urgence un ordre de frères prêcheurs, sans vœux de stabilité, comme les moines, sans liens particuliers à un évêque, comme les chanoines ou le clergé séculier. Ils seront des prédicateurs entièrement voués à la mission, libres de parcourir l’Europe, et au-delà, afin d’annoncer la bonne nouvelle du Christ à toutes les nations.

Dès les débuts de la fondation, l’intuition de Dominique repose sur la nécessité de former des prédicateurs, le clergé de l’époque n’étant pas instruit. À cette fin, il envoie ses premiers frères dans les centres universitaires naissants. Dominique insiste sur la nécessité de donner aux frères un cadre de vie leur permettant de répondre sans délai aux impératifs de la mission. Il y a urgence : le salut des âmes est en jeu. À cette urgence fait écho le célèbre cri de Dominique dans sa prière nocturne : « Mon Dieu, que vont devenir les pécheurs! » .

Le couvent des frères : une « sainte prédication »

Les couvents dominicains sont conçus comme de « saintes prédications » . La prédication des frères s’enracine dans une vie régulière qui annonce déjà la bonne nouvelle. La tâche de prêcher, première responsabilité des frères, est portée par toute la communauté. La communauté tout entière est « prédicante », à la fois lieu de formation des frères et d’envoi en mission.

Les grands axes de la vie religieuse des frères sont au service de cette prédication : vœux, observances, liturgie, vie commune et étude. Cet ensemble d’observances s’harmonise dans le quotidien et tend vers l’imitation de la vie des apôtres. Cette nouvelle forme de vie religieuse conjugue l’idéal communautaire des Actes des Apôtres : « Ils étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Actes 2, 42) et l’idéal missionnaire de Jésus qui envoie ses disciples « deux par deux » (Mc 6, 7)). « L’imitation des Apôtres », si chère au monachisme prend donc une coloration nouvelle au 13e siècle. Avec ces nouveaux “moines”, la clôture devient le monde. Leur mode de vie itinérante les fera même qualifier de « gyrovague » par certains opposants. Le bénédictin Mathieu de Paris, s’écriera indigné en voyant les premiers dominicains : « ils ont pour cloître l’univers et l’océan pour clôture! » .

Liturgie des Heures et mission

La vie dominicaine est structurée par une tension entre vie commune et appels du monde extérieur. La liturgie, et plus particulièrement la liturgie des Heures, vécue à l’intérieur des couvents, sera donc fortement marquée par celle-ci. Comme le souligne le fr. Vincent de Couesnongle, O.P., dans sa lettre de promulgation de la nouvelle édition du « Propre de l’Ordre des Prêcheurs » pour la liturgie des Heures en 1983 : « Notre vie dominicaine exige que nous soyons fervents dans la célébration des mystères divins et totalement adonnés à l’annonce de l’Évangile. » (2)

Saint Dominique donne donc une orientation nettement apostolique à la célébration liturgique et aux conditions régissant l’office choral. Le « breviter et succinte » dominicain, cette manière allègre et brève de réciter l’office chorale, se démarque nettement de la liturgie monastique en vigueur au 13e siècle et qui souffre de la surcharge des siècles passés. La liturgie des Heures, tout en étant belle et soignée, ne doit pas avoir pour but un pur souci d’esthétisme ou d’enchaînement de dévotions sans fin. Il y a urgence dans la demeure de l’Église. La Parole de Dieu doit être annoncée! Et la profonde intuition de Dominique est que le but de la prière liturgique des frères est de porter et nourrir cette annonce de l’Évangile, non pas de la restreindre.

Une première mesure visant à favoriser la mission sera l’instauration de la dispense. Elle permet à des frères, quand la mission ou l’étude l’exige, de se soustraire à l’office chorale de la communauté pour le célébrer seuls ou en petits groupes, avec moins de solennité. D’ailleurs dès l’année 1221, les frères de l’Ordre obtiennent le privilège de célébrer l’eucharistie hors des couvents, lorsqu’ils sont en mission, en apportant avec eux un autel portatif. Pour Dominique, la vie régulière des frères ne doit pas devenir un empêchement au soin des âmes. À défaut de la célébration avec la communauté, les frères se joignent à la prière de l’Église locale où ils se trouvent. Afin de faciliter cet équilibre délicat entre mission et observances communautaires, Dominique refuse que les observances lient les frères sous peine de péché, ce qui était le cas jusqu’à cette époque. Dominique veut des frères libres et responsables afin d’affronter les défis d’un siècle nouveau, dans un monde en plein bouleversements sociaux.

Conclusion

La prière dominicaine d’aujourd’hui demeure fidèle à son intuition première et porte toujours en elle le cri de saint Dominique : « Mon Dieu, mon Dieu! Que vont devenir les pécheurs… » Notre prière, toute imprégnée de la parole de Dieu, se nourrit des cris et des espoirs du monde. Comme le précise la lettre de promulgation du maître de l’Ordre ci-haut mentionnée : « … notre marche à la suite du Christ, selon le charisme particulier de saint Dominique, cherche à se renouveler constamment dans la prière communautaire, afin de pouvoir prendre en charge les “inquiétudes, les difficultés et les joies de notre apostolat”(2). » Voilà la mission que poursuit l’Ordre des Prêcheurs depuis huit cents ans .

Fr. Yves Bériault, o.p.

Fête de l’Annonciation, le 25 mars 2003. Article paru dans la revue “Célébrer les Heures”.

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