Le Maître de l’histoire
Il conclut : « C’est bien ce qui était annoncé par l’Écriture : les souffrances du Messie, sa résurrection d’entre les morts le troisième jour, et la conversion proclamée en son nom pour le pardon des péchés à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. C’est vous qui en êtes les témoins. Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une force venue d’en haut.» Puis il les emmena jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit. Tandis qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et fut emporté au ciel. Ils se prosternèrent devant lui, puis ils retournèrent à Jérusalem, remplis de joie. Et ils étaient sans cesse dans le Temple à bénir Dieu.
Commentaire :
Que d’ombres autour de ce mystère de l’Ascension, article de notre Credo ! L’événement a-t-il vraiment eu lieu, quand et comment s’est-il produit ? Deux versions se retrouvent dans l’œuvre de Luc, historien consciencieux : celle des Actes des Apôtres (Ac.1,8-11) et celle de l’Évangile (Lc.24,50-53) . Comment alors expliquer ce double récit en deux œuvres du même auteur et destinées à former un seul tout ? Certains prétendent que le texte de l’évangile sur lequel nous nous penchons serait tardif et d’une main anonyme. Comment expliquer aussi que dans l’évangile, le même auteur présente l’événement dans la nuit ou au lendemain de Pâques, et que dans le Livre des Actes, il le situe quarante jours plus tard ? Le premier récit déroule l’événement avec la plus grande discrétion, alors que le second, celui des Actes, suppose un scénario grandiose. Faut-il croire tout simplement à un complément d’information entre l’une et l’autre rédactions ? Ou devrons-nous croire que la version évangélique présente l’apothéose du Christ alors que celle des Actes inaugure le temps de l’Église ? Quel message Luc a-t-il voulu partager avec les siens dans ce bref récit de l’Ascension du Seigneur : « Il se sépara d’eux et fut emporté au ciel » ?
L’évangéliste a coulé son récit dans un cadre chronologique de 24 heures. Précédaient l’apparition aux femmes, l’histoire prolongée d’Emmaüs et l’apparition aux apôtres. « Telles sont les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous… Il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi … » (Lc. 24, 43+) Après l’événement pascal, ne serait-il pas légitime de croire que Luc revient aux faits de la vie de Jésus pour en découvrir la signification ? L’important serait-il maintenant de se souvenir avec sa génération ? L’auteur remémore, médite, entre dans une intelligence plus profonde des mystères du Christ avec la conviction que tout cela lui vient du Seigneur lui-même et de l’Esprit qu’il a promis. L’événement passé, les Apôtres se souviennent de tout l’enseignement de Jésus et découvrent dans les textes d’hier, l’Ancien Testament, une raison de comprendre et d’expliquer les événements du jour. Déjà Jésus avait tenté d’interpréter les Écritures pour les disciples d’Emmaüs, « esprits sans intelligence et lents à croire » ( Lc 24, 25-27). Jésus ressuscité va ouvrir l’intelligence des siens à la compréhension des Écritures. Pâques change tout pour les disciples, l’histoire prend un nouveau visage et les mots une nouvelle signification. Le Christ est venu, écrit saint Paul aux Corinthiens, enlever le voile qui obscurcit la pensée et empêche de comprendre (2 Co.3,14-16) « Je vous enverrai l’Esprit de Vérité qui vous rappellera tout et vous fera comprendre bien autres choses encore. »
« Ainsi est-il écrit ». La correspondance entre les Écritures d’hier et les événements d’aujourd’hui, la Passion et la Résurrection, n’est pas due au hasard. Les Écritures ont aidé les Apôtres à accepter la Résurrection comme telle : c’est le Dieu de « nos pères » qui a ressuscité Jésus (Ac. 3,13). L’événement pascal a fait entrer les Apôtres, sous la mouvance de l’Esprit de Vérité, dans la plénitude du mystère de Jésus. En le ressuscitant « Dieu l’a fait Seigneur et Christ » (Ac.2,36) ; en exaltant son Fils, Dieu lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, le nom de Seigneur qu’il est seul à porter et que tous sont invités à vénérer. C’est au nom de Jésus-Sauveur que le salut est annoncé, et en ce nom, la rémission des péchés est annoncée. L’homme pécheur doit se convertir, condition pour que l’œuvre de Dieu soit efficace dans sa vie. Toutes les nations sont appelées au salut. Le récit de la Pentecôte nous en donne un aperçu : des hommes de toutes nationalités, races, peuples et nations. Mais tout se réalisera à partir de Jérusalem : toute la vie rédemptrice de Jésus constitue une lente et grandiose montée vers Jérusalem. C’est là que Jésus doit être enlevé de ce monde, quitter ce monde (Lc.9,51). Les Apôtres devront demeurer à Jérusalem jusqu’à la réception de l’Esprit (24,29), et la prédication débutera par Jérusalem pour se propager dans toute la Judée et la Samarie jusqu’aux confins de la terre (Ac. 1,8). « Les apôtres en seront les témoins », ils ne présenteront point des hypothèses, mais la réalité, l’expérience. Ils ont accompagné Jésus depuis son baptême jusqu’à sa résurrection. (Ac.1,21) Témoignage historique, c’est aussi un témoignage de foi. Le raisonnement n’a pas suffi face à la résurrection, il fallait la foi et ce ne fut pas facile (Lc.24,11,38,41; 24 : 25)
« Demeurez jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en Haut. » Pour l’évangéliste, l’Esprit est une force d’où émaneront toutes les énergies apostoliques et non moins les entreprises humaines, insensées et inexplicables du Livre des Actes. Il leur permettra de vivre dans la foi l’expérience de la séparation : « Jésus se sépara d’eux et fut emporté au ciel. » Après les apparitions pascales, suivront la disparition définitive et mystérieuse de Jésus. L’ont-ils vraiment vu s’élever dans le ciel, comme fut racontée l’ascension du prophète Élie : « Elie et Élisée marchaient en conversant. Or voici qu’un char de feu et des chevaux de feu se mirent entre eux deux et Élie monta au ciel dans un tourbillon. » (2 Rois 2,11-12) ? Dans la foi et l’exaltation de la venue de l’Esprit, les Apôtres furent prompts à figurer ce départ mystérieux du Christ et raconter la réalité en s’inspirant sans doute du départ majestueux du prophète Élie. Le Christ n’avait-il pas annoncé un jour : « Je pars et je vais vers mon Père. » Le récit de Luc s’achève en liturgie du Temple : louange et bénédiction qui ne cessent d’enluminer son évangile (1,14.28 ; 2,10). Tout se termine là où cela avait commencé (1,5+)
Il n’est pas déplacé de croire que c’est dans la foi, plus encore sous la mouvance de l’Esprit que Luc a vécu la glorification de Jésus. Ce n’est pas tellement de l’histoire que nous devons nourrir notre foi pascale, mais des Écritures et d’une lecture constamment renouvelée par le don de l’Esprit qui « vous rappellera tout ce que je vous ai enseigné et vous apprendra bien autres choses encore. »
Notre maître d’histoire, l’Esprit du Père et du Fils.