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Témoins du Christ

« Nous avons tant de choses à nous dire… »

Imprimer Par Rachod Benzine et Christian Delorme

Sur la scène du monde et dans nos quartiers, Islam et Occident, Islam et Christianisme se trouvent en présence comme jamais auparavant dans leur histoire. Va-t-on vers un affrontement de ces cultures et de ces religions, ainsi que certains le prédisent et même le souhaitent ?

Dans ce livre à deux voix, Christian Delorme et Rachid Benzine tentent de répondre à cette question cruciale à partir de leur propre parcours. Le premier, quarante-six ans, prêtre dans le diocèse de Lyon, est plus connu comme sous le nom de « curé des Minguettes ». Impliqué depuis des années dans les combats pour la reconnaissance des droits des immigrés, membre du Haut Conseil de l’Intégration, il a déjà une longue expérience du dialogue interreligieux. Rachid Benzine, de vingt ans son cadet, est lui aussi l’un des acteurs de la paix sociale dans des quartiers sensibles. Musulman d’origine marocaine, enseignant, il prépare une thèse sur l’Islam des banlieues.

P 98-101 – Jésus tendresse

Quand Jean-Michel avait en charge la paroisse de Trappes, le presbytère nous était ouvert même en son absence. Un jour, à l’âge de dix-sept ans, alors que je l’attendais, je me mis à consulter les livres dans sa bibliothèque. Pour un homme aussi cultivé, je m’étonnais qu’il en possédât si peu. Comme on pouvait s’y attendre, les étagères contenaient surtout des ouvrages touchant au christianisme. Cependant, à mon grand étonnement, je tombai aussi sur un Coran. Que pouvait-il bien faire là ? C’était une édition bilingue, français-arabe, avec une belle reliure dorée. Je m’en suis emparé et j’ai lu quelques sourates. Mais lorsque j’ai voulu le reposer, impossible de retrouver sa place. Je tentai alors de la faire entrer dans un espace qui s’offrait. La place était étroite. En forçant un peu, je vis l’ensemble des ouvrages se déséquilibrer. Un livre tombe, grand ouvert. Je me baisse pour le ramasser. Mes yeux s’arrêtent sur les deux pages qui s’offrent à moi, et je lis : « car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger. J’avais soif, et vous m’avez donné à boire. J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli. J’étais nu et vous m’avez habillé. J’étais malade, et vous m’avez visité. J’étais en prison, et vous êtes venu à moi (…). Amen, je vous le déclare : à chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait ! ». Mt 25, 35.

Je suis subjugué. Je lis et relis ce texte, les pages qui précèdent et les pages qui suivent. Au plus profond de moi, mon cœur est touché. Ces phrases, qui sont venues à moi plus que je ne suis venu à elles, dégagent une force extraordinaire. Une lumière semble en jaillir. Mais qui a pu parler ainsi ? Qui a lancé ce cri du cœur ? Qui est l’auteur de ce formidable appel à la fraternité avec les plus pauvres ? Quel est cet homme qui s’identifie à ce point aux exclus, aux affamés, qui lie son sort aux damnés de la terre ? EN haut des pages il est écrit : «  Evangile selon St Matthieu » : cela ne me dit rien.

Quand Jean-Michel arrive, je lui demande des explications. Il paraît à peine étonné de ma soudaine envie de comprendre. J’ai droit à un exposé général sur la Bible, cet ensemble de deux mille pages dont la rédaction s’est étendue sur plus de dix siècles. Pour la première fois, j’entends parler de l’Ancien et du Nouveau Testament, de textes reconnus comme « Parole de Dieu » soit par les Juifs et les Chrétiens, soit par les Chrétiens seuls. Je réalise ainsi que le Coran, en évoquant les Ecritures des juifs et des chrétiens, parle de la Torah, soit cinq Livres, et de l’Evangile, mais point de la Bible. Et ce n’est pas un seul évangile qui s’est trouvé entre mes mains, mais quatre. Quatre regards croisés pour parler de Jésus de Nazareth, celui que dans l’islam on appelle « notre maître, le prophète Aissa ».

(…)

Ce livre est tombé et ouvert a été pour moi un éblouissement. Sans doute ne m’étais-je encore jamais beaucoup posé la question du jugement dernier. Or ce passage de Mt 25 me disait que Dieu nous rétribuerait selon que nous avons, ou non, été généreux avec les plus pauvres. Je réalisais également autre chose : les chrétiens qu’il m’était donné de connaître grâce à Jean-Michel étaient presque tous engagés au service des plus souffrants. Sans doute cet Evangile n’était-il pas étranger à leurs comportements. D’ailleurs, mon expérience du monde chrétien militant me fait facilement dire que chrétiens et musulmans se distinguent particulièrement par le fait que les premiers sont plutôt des hommes et des femmes d’action, tandis que les seconds se montrent davantage des gens de prière.

En tout cas, ce jour-là chez Jean-Michel, j’ai commencé à faire connaissance avec Jésus, prophète de l’islam et figure essentielle de la foi chrétienne. Au cours des années qui ont suivi, et de plus en plus ces derniers temps, j’ai cherché à aller plus loin dans la découverte de celui que les soufis appellent « le prince des errants », et qui a tant compté dans la vie spirituelle de quelques grands mystiques musulmans comme Hallâj, Rûmi, … D’une certaine manière, c’est une rencontre personnelle de Jésus que j’ai faite et dont je peux ici témoigner.

Quand j’évoque le Jésus des Evangiles, je retiens avant tout sa tendresse. « Jésus Tendresse » : tel est le surnom que je lui ai donné. Sans doute parce qu’il y a dans cette attitude quelque chose qui résonne très profondément en moi.

Les récits des quatre Evangiles nous donnent à voir et à entendre un Jésus très souvent en situation de rencontre, avec des foules, avec des individus… avec chacun de nous, dès lors que nous pouvons nous retrouver dans les différents personnages qui sont présentés. Les hommes et les femmes rencontrés sont presque toujours des gens blessés, fragilisés, humiliés. Leur mise en présence de Jésus est alors libératrice, parce que c’est un regard d’amour qui est posé sur eux. Un regard qui jamais ne condamne mais qui, au contraire, rétablit dans sa dignité celui qui en a besoin. Aux yeux de Jésus, chacun a de l’importance. Malgré tes défauts, fait comprendre Jésus aux pécheurs, Dieu t’aime ! Tu te sens coupable ? Probablement as-tu raison, mais Dieu dans sa clémence, miséricorde, et devant Lui tu peux te sentir pardonné et aimé !

Pour le maître de la Création, c’est ta vie qui compte, non tes limites ou tes grandeurs d’un instant. Et si tu es mal portant, si tu es petit, en situation de souffrance, c’est vers toi que je suis envoyé en priorité ! Parce que c’est toi, en manque, qui peux te montrer le plus disposé à recevoir la Parole de Dieu.

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