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L’Épiphanie

Imprimer Par Anselm Grün

Anselm Grün, moine bénédictin, est abbé du monastère de Münsterscharzach en Allemagne. Docteur en théologie et psychologie, il est accompagnateur spirituel. Ses livres connaissent un grand succès en Europe. Plusieurs ont été traduits en français.

Au lieu de celle du petit enfant soleil, les chrétiens ont célébré la naissance du véritable soleil, de Jésus, né lui aussi dans une grotte, à Bethléem.
 
Pour les Grecs, l’Épiphanie était le jour anniversaire de la naissance du dieu; pour les chrétiens l’incarnation du Christ est la plus haute épiphanie qui puisse se concevoir.
 
Peut-être l’Église primitive a-t-elle aussi voulu donner une réplique à la fête grecque de Dionysos. Dionysos était le dieu de l’ivresse. La veille de sa fête, dans la nuit du 5 au 6 janvier, on plaçait dans son temple trois cruches remplies d’eau, que l’on retrouvait au matin plei­nes de vin. Lors de la fête de l’Épiphanie, l’Église primitive n’évoquait pas seulement les Mages venus adorer l’Enfant divin, mais aussi le baptême de Jésus et les noces de Cana. La triple manifestation de la majesté de Dieu : face au monde entier (l’adoration des Mages), dans les éléments de la Création (le baptême de Jésus dans le Jourdain) et dans l’amour humain (les noces de Cana) répondait à la nostalgie des Grecs telle qu’elle s’exprimait dans leur philosophie, leur culte du dieu solaire, Aion, et celui de Diony­sos.
 
Dionysos représente l’ivresse qui vise à nous élever au-dessus de la sphère terrestre et à donner à notre vie un goût nouveau et plus fort, ce que Dieu réalise en se faisant homme; l’eau de la vie humaine se change en vin. L’Église primitive a repris à son compte la nostalgie de la religion grecque, elle a annoncé et fêté la naissance de Jésus de telle façon que les hommes, à l’époque, ont senti qu’en ce Jésus de Nazareth leur désir le plus profond était comblé. Le culte de Dionysos voulait établir un lien entre l’esprit et le corps, entre la mystique et l’Éros. En la personne de Jésus, Dieu a célébré ses noces avec nous, il s’est lié à nous pour toujours. Quand le culte de Dionysos dégénéra, devenant trop effréné, trop barbare, il fut remplacé par celui d’Orphée, le divin chanteur que l’Église primitive a considéré comme un prototype du Christ. Quand Orphée chantait, le tigre et le lion, le loup et l’agneau se couchaient, paisibles, à côté de lui pour l’écouter. En Jésus, cette promesse du paradis est devenue réalité; le boeuf et l’âne sont là, devant sa crèche. Jésus chante le nouveau chant de l’amour, qui promet à l’être humain déchiré la réconciliation entre l’amour et la sexualité, entre l’esprit et la pulsion, entre Dieu et l’homme.
 
Les textes tardifs du Nouveau Testament présentent déjà l’Incarnation de Jésus-Christ comme une épiphanie. Dans son Épître à Tite (2,11), Paul dit que « la grâce de Dieu [est] source de salut pour tous les hommes ». L’amour de Dieu s’est rendu visible en Jésus-Christ. Seul peut nous toucher et nous transformer ce qui se manifeste à nos sens; les paroles qui ne s’adressent qu’à la pensée n’ont pas le pouvoir de nous délivrer à tous les niveaux de notre être. Pour qu’il nous soit donné de nous éprouver comme des hommes nouveaux, la majesté de Dieu doit se rendre visible. L’Épître à Tite sait même décrire le mystère de la Nativité comme l’apparition de « la bonté de Dieu notre Sauveur et [de] son amour pour les hommes [humanitas] » (3,4). Cette phrase a touché au plus profond le philosophe catholique Péter Wust; destitué par les nazis, malade, mourant, il l’a reprise dans un message de Noël adressé à ses étudiants. Au plus profond de l’inhumanité du Troisième Reich, il puisait sa consolation dans l’idée que la naissance du Christ avait rendu visible la véritable humanité, l’humanité idéale de Dieu lui-même; il était convaincu que cette humanité s’imposerait contre toutes les violences, extérieures et intérieures.
 
À l’Épiphanie, nous célébrons la manifestation de la majesté de Dieu dans notre chair. Lors d’un exercice de méditation, nous avons pris à la lettre cette célébration ; tout un Jour durant, nous l’avons méditée, et nous avons cherché à sentir, en pratiquant des exercices corporels, le sens de ce fait : la majesté de Dieu se manifeste dans ma chair ; mon corps est le lieu où son éclat devient visible ici-bas, sur cette terre. Quelle expérience fais-je de moi-même, s’il est vrai qu’à travers ce corps. Source de tant de souffrances, c’est la beauté lumineuse de Dieu qui apparaît ? De quel oeil vois-je mes frères et mes sœurs, si je crois qu’en eux c’est la visage même de Dieu qui rayonne pour moi ? Dans son livre Ich hörte auf die Stille (littéralement : « J’ai prêté l’oreille au silence »), Henri Nouwen rapporte que son abbé lui donna comme thème de méditation, pour des journées entières, ces mots : « Je suis la majesté de Dieu », afin qu’il apprît qui il était dans sa vérité. De même, cette fête de l’apparition de la majesté divine dans la chair vise à te faire découvrir, à toi qui me lis, le mystère de ton propre corps, le vrai sens de l’antique commandement de la philosophie grecque : « Connais-toi toi-même ! » Tu te connaîtras toi-même si tu trouve Dieu en toi, et si tu te trouves en Dieu. Tu accéderas à la véritable humanité si ta chair, devenant un lieu de l’Épiphanie, fait rayonner la majesté de Dieu.

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