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Parole communion

Imprimer Par Denis Gagnon

D’après les antiques récits de la Genèse, l’être humain commence à parler quand il trouve un vis-à-vis qui lui est semblable. À son réveil, l’homme découvre la femme. Il se met alors à parler: «À ce coup, dit-il tout ébahi, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair». Le reste de la Bible rapportera l’inépuisable conversation des humains. On dira plus tard, parmi les philosophes comme chez les anthropologues: l’être humain est humain parce qu’il parle, en tant qu’il adresse la parole, la partage avec d’autre. Bref, l’être humain est un être de dialogue.

La parole nous rapproche les uns des autres. Elle s’adresse. Elle est dirigée, orientée. Nous parlons toujours à quelqu’un. Même lorsque nous parlons tout seul, nous adressons notre parole, nous nous parlons au moins à nous-mêmes.

Avant tout, parler signifie créer des ponts ou en détruire. Parler suppose toujours deux interlocuteurs: celui qui adresse la parole et celui à qui est adressée la parole. Celui qui parle suppose celui qui écoute et accueille la parole de l’autre. C’est pourquoi il n’existe de véritable parole qu’en forme de dialogue. Même quand ma parole s’exprime en écriture, elle est dialogue avec mon lecteur. Je le reconnais devant moi. Je lui donne le droit de réagir. Je lui permet d’acquiescer ou de s’opposer à moi.

En cette période de négociations dans les secteurs publics québécois, n’est-il pas important de nous arrêter, ne serait-ce qu’un instant, pour redire l’importance de la parole et de son dialogue. On négocie. La table qui réunit devient lieu de prise de parole. La négociation devient partage de parole.

Le spectacle n’est pas toujours grandiose. La parole émise n’est pas toujours accueillie comme elle souhaite l’être. Si, habituellement, elle cherche à créer un lien, à bâtir un pont ou un lieu de rencontre, la méfiance peut la garder à distance. La peur des paroles à double sens, l’hésitation à reconnaître la bonne intention derrière les mots, tout cela peut durcir les opinions, les réactions verbales. La parole peut alors dresser des murs et rendre le partage difficile. Elle peut être anti-parole.

Les époux qui traversent un conflit de couple pourraient facilement apporter des illustrations éloquentes de ces paroles dévastatrices. Ils savent dire des paroles dures. Ils sont souvent marqués pour longtemps par des paroles qui blessent. Pensez-y: de simples sons, des sons bien ordinaires peuvent causer des blessures plus douloureuses que l’épée ou le fusil de l’ennemi. De simples sons!

Les bons mots, les mots tendres, les mots affectueux ont aussi leur impact. Heureusement. Les déclarations d’amour dépassent la plus belle musique de Mozart. Les premières syllabes du bébé bouleversent une mère plus que les oeuvres d’art les mieux réussies. Il y a des poètes qui ont ciselé des petits bijoux de poésie comparables à un jardin de roses.

De temps à autre, il faudrait s’arrêter et faire le bilan de tout ce que nous disons jour après jour. Le bilan des paroles qui réchauffent et éclairent. Le bilan des mots qui ressuscitent et réconfortent comme l’oasis au milieu du désert. Peut-être aussi, prendre le temps de recueillir les paroles malheureuses, moins pour accentuer la culpabilité que pour retrouver le sentier vers le mot juste, la parole vraie, l’instant de lumière qui dévoile le château intérieur de celui qui parle et – pourquoi pas? – de celui qui écoute. Car parler c’est non seulement se découvrir ou se dévoiler, mais aussi donner à l’autre l’occasion de s’exprimer ou du moins le reconnaître avec son mystère, son trésor secret.

La beauté d’un être humain se trouve souvent dans sa parole, la parole qu’il prononce ou celle qu’il garde. Parole proférée ou silence contenue, la beauté est faite du jaillissement du mystère qui habite la personne. Il revient souvent à la parole et au silence qui l’accompagne de laisser deviner ce mystère et de l’offrir à la parole et au silence de l’autre.

Incomparable dignité de la parole que même Dieu fait appel à elle pour entrer en communication avec l’être humain. D’un couvert à l’autre de la Bible, Dieu ne cesse de parler. Constamment, il s’adresse à l’être humain. On aurait sans doute souhaité qu’il se montre, qu’il se rende visible. Il fait mieux: il est parole, il est musique du coeur, il est verbe qui se fait chair. Et si nous l’avons vu, c’est avant tout parce qu’il s’est laissé entendre. S’il nous est apparu, c’est avant tout parce qu’il est depuis toujours parole adressée, parole communiquée. Et, au bout des mots, communion.

Denis Gagnon, o.p.

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