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Transhumance

Imprimer Par Denis Gagnon

L’être humain se croit sédentaire, propriétaire d’un lieu ou du moins locataire à long terme. Il pense appartenir à une région de la planète qui le définirait. Elle le constituerait citoyen de quelque part. Il imagine alors une patrie bien spécifique, avec une langue particulière Une langue maternelle comme pour s’inscrire dans une continuité. Une généalogie des communications humaines qui s’harmoniserait avec une généalogie des lieux humains d’habitation et d’enracinement.

Cependant, l’être humain a gardé – et garde toujours – un espace intérieur voué au nomadisme. Comme si étaient restés en lui quelques gènes des grands déplacements qui marquaient la vie de ses lointains ancêtres.

Cet espace profondément délimité dans la personne constitue un refuge plus ou moins identifié ou plutôt un lieu qui prend le nom des déplacements physiques. Il dessine ses paysages à même ses voyages d’un lieu à l’autre. J’oserais dire d’un rêve à l’autre.

Que nous le voulions ou non, nous demeurons des errants, à la recherche d’enracinements possibles et toujours en quête d’un ailleurs. Nous ne restons pas en place. Nous avons besoin de voir autre chose, de communiquer avec d’autres. Nous nous habituons vite aux réalités qui nous entourent. Nous nous fatiguons de ce qui change trop lentement. Aussi nous recherchons constamment du neuf. Nous avons soif d’inédit. Nous prêtons l’oreille pour capter de l’inouï.

Ce neuf, cet inédit, cet inouï, de quoi le voulons-nous fait? De tout et de rien. Nous sommes des arbres déracinés en quête de forêt sans jamais vraiment trouver celle où notre essence se sentirait à l’aise. Quelqu’un disait: «Nous sommes des anges déchus qui se souviennent des cieux»! L’auteur du livre de la Genèse présente la naissance d’Adam dans un endroit idyllique, un paradis où tout semble parfait. Peut-être était-il un grand insatisfait, sentant en lui-même l’appel d’un lieu idéal à l’origine de son être, à l’origine de son ascendance. La tradition judéo-chrétienne a adopté le vieux récit de la création sans sourciller, du moins en apparence, peut-être pour les mêmes raisons qui habitaient le rédacteur primitif. L’histoire d’Israël et, par la suite, celle du christianisme sont tissées de déplacements, d’exodes, d’exils, de va-et-vient constants. Et, quand nous balayons plus large, nous constatons la même itinérance dans l’histoire de l’humanité tout entière.

L’insatisfaction nous habiterait depuis toujours, nous demandons-nous? Oui et non. Je pense plutôt que l’être humain est avant tout un mystère sans fond qui se dévoile lentement. Sa découverte restera toujours partielle. Chaque coin de terre nouvellement exploré appelle à poursuivre la route, à s’enfoncer plus profondément au plus intime de l’être. En acceptant ou en se résignant, peu importe: nous resterons toujours en bordure de notre être, presqu’au point de départ de notre univers intime.

Intérieur avant tout, notre voyage est infini, vers une terre infinie. Plutôt que de nous trouver errants, peut-être devrions-nous nous reconnaître pèlerins. Nous avons sans doute une patrie. Mais celle-ci se trouve en avant de nous plutôt que derrière, dans l’avenir plutôt que dans le passé. Terre sacrée, lieu saint, sanctuaire, au bout d’une vie de transhumance.

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