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Méditation chrétienne

L’amour de la croix

Imprimer Par Edith Stein

Philosophe et religieuse allemande d’origine juive. Convertie au catholicisme en 1922, elle entre au carmel de Cologne (193), puis doit fuir au Carmel de Echt (Pays-Bas) en 1938. Elle est arrêtée par les nazis en 1942, déportée au camp d’Auschwitz-Birkenau où elle meure gazée. Béatifiée en 1987, canonisée en 1998, elle est rpoclamée co-patronne de l’Europe en 1999.

On nous rappelle constamment que saint Jean de la Croix ne désirait pour lui rien d’autre que la souf­france et le mépris. Quelle est la raison de cet amour de la souffrance ? Est-ce simplement une réminiscence aimante du chemin de souffrance de notre Seigneur sur cette terre ? Est-ce l’élan d’une âme fervente qui, pour se rapprocher humainement de lui, cherche une vie semblable à la sienne ? Cela ne correspondrait guère à l’exigeante et forte spiri­tualité du maître mystique ; et ce serait presque occulter le roi triomphant, le divin vainqueur du péché, de la mort et de l’enfer, au profit de l’Homme de souffrance. Le Christ n’a-t-il pas emmené captive la captivité ? Ne nous conduit-il pas à un royaume de lumière pour que nous y soyons les joyeux enfants du Père céleste ?

Le spectacle que nous offre le monde, sa détresse et sa misère, et l’abîme de la méchanceté humaine sont propres à constamment tempérer l’allégresse que la victoire de la lumière fait naître en nous. L’huma­nité continue à se débattre dans un bourbier, et ce n’est encore qu’une petite troupe qui, en gravissant les plus hautes cimes, s’en est dégagée. Le combat entre le Christ et l’Antichrist n’est pas terminé. Dans ce combat, ceux qui suivent le Christ ont un rôle à tenir. Leur arme principale est la Croix.

Comment faut-il l’entendre ? Le poids de la croix dont le Christ s’est chargé n’est rien d’autre que la déchéance de la nature humaine, avec le cortège des péchés et des souffrances dont est frappée l’huma­nité. Le sens du chemin de croix est de libérer le monde de ce fardeau. Le retour en Dieu de l’hu­manité délivrée, et son adoption, sont un pur don de la grâce, de l’Amour miséricordieux. Mais ce retour ne saurait se faire aux dépens de la sainteté et de la Justice divines. La somme totale des fautes humaines, du péché originel au Jugement dernier, doit être compensée par une mesure correspondante d’actes expiatoires. Le chemin de croix est cette expiation. L’écroulement, par trois fois, sous le poids de la croix correspond à la triple chute de l’huma­nité : la chute originelle, le rejet du Rédempteur par son peuple d’élection, l’apostasie de ceux qui portent le nom de chrétien.

Sur le chemin de la Croix, le Sauveur n’est pas seul, et il n’est pas entouré que d’ennemis qui le harcèlent. Il y a aussi la présence des êtres qui le soutiennent : la Mère de Dieu, modèle de ceux qui, en tout temps, suivent l’exemple de la Croix ; Simon de Cyrène, figure de ceux qui acceptent une souf­france imposée et qui, dans cette acceptation, sont bénis ; et Véronique, image de ceux que l’amour porte à servir le Seigneur. Chaque homme qui, dans la suite des temps, a porté un lourd destin en se souvenant de la souffrance du Sauveur, ou qui a librement fait œuvre de pénitence, a racheté un peu de l’énorme dette de l’humanité et a aidé le Seigneur à porter son fardeau. Bien plus, c’est le Christ, Tête du Corps mystique, qui accomplit son œuvre d’expiation dans les membres qui se prêtent de tout leur être, corps et âme, à son œuvre de rédemption.

On peut supposer que la vision des fidèles qui allaient le suivre sur son chemin de souffrance a soutenu le Sauveur au jardin des Oliviers. Et l’appui de ces porteurs de croix lui est un secours à chacune de ses chutes. Ce sont les justes de l’Ancienne Alliance qui l’accompagnent entre la première et la deuxième chute. Les disciples, hommes et femmes, qui se rallièrent à lui pendant sa vie terrestre sont ceux qui l’aident de la deuxième à la troisième station. Les amants de la Croix, qu’il a éveillés et qu’il éveillera encore tout au long des vicissitudes de l’Eglise combattante, sont ses alliés jusqu’à la fin des temps. C’est à cela que, nous aussi, nous sommes appelées.

Quand un homme demande la souffrance, il ne s’agit donc pas simplement d’une pieuse façon de se souvenir des souffrances du Seigneur. La souffrance pénitentielle est ce qui, au plus profond, nous lie véritablement au Seigneur. Ce désir ne peut prendre sa source que dans le lien qui nous unit déjà au Christ, car l’homme fuit naturellement la souffrance. La recherche de la souffrance pour le plaisir d’une douleur perverse est à l’opposé de l’exigence d’une souffrance d’expiation. Elle n’a rien d’une aspiration spirituelle et n’est qu’un désir sensuel nullement meilleur que n’importe quel autre appétit de la chair, et même pire, dans la mesure où il est contre nature.

L’exigence de la souffrance pénitentielle ne peut naître que chez ceux dont l’œil spirituel s’est ouvert aux connexions surnaturelles entre les événements du monde ; et cela n’est possible que chez ceux en qui vit l’Esprit du Christ ; ceux qui, membres de son Corps, tiennent du Chef la force, le sens et la direction de leur vie.

D’autre part, l’expiation nous relie tous plus étroitement au Christ, de même qu’une commu­nauté, travaillant à un but commun, se trouve plus intimement unie, et de même que les membres d’un corps, dans le jeu harmonieux de leurs interactions, forment un tout plus cohérent.

Or, l’union au Christ étant notre félicité, et la progression vers cette union notre bénédiction sur cette terre, l’amour de la Croix n’est nullement en contradiction avec la joie d’être enfant de Dieu. Aider à porter la Croix du Christ donne une joie pure et profonde. Ceux à qui sont données cette possibilité et cette force — les bâtisseurs du Royaume de Dieu – sont les plus authentiques enfants de Dieu.

Une prédilection pour le chemin de croix ne signifie pas non plus un regret de voir le Vendredi Saint passé et accomplie l’œuvre de Rédemption : seuls des êtres sauvés, des enfants de la grâce, peuvent porter la Croix du Christ. Seule son union au Chef divin confère à la souffrance humaine une force pénitentielle.

Souffrir et trouver dans la souffrance sa félicité, se tenir debout et avancer sur les sentiers rudes et boueux de cette terre tout en trônant avec le Christ à la droite du Père; rire et pleurer avec les enfants du monde et chanter sans cesse les louanges du Seigneur avec le chœur des Anges, telle est la vie du chrétien jusqu’à ce que se lève le matin de l’éternité.

Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, Edith Stein (1891-1942)

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