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Le psalmiste

Les psaumes, ou l’éducation de la prière

Imprimer Par Michel Gourgues, o.p.

D’ordinaire, on me laisse carte blanche: «Un psaume, n’importe lequel. À ton choix!». Cette fois, l’invitation s’est faite plus spécifique:

– Au lieu de nous parler d’un psaume en particulier, ne pourrais-tu pas nous dire ce que représentent les psaumes pour ta prière à toi? Tant à dire. Par quoi commencer?

L’inévitable dépaysement

J’avais 20 ans lorsque je fis ma première vraie rencontre avec les psaumes. J’arrivais au noviciat. À l’époque, on ne s’embarrassait guère de longues initiations: du jour au lendemain, on se retrouvait avec le livre de l’Office divin entre les mains et on n’avait qu’à plonger.

Je me souviens de l’impression de dépaysement que je ressentis. Moi qui, de tous les psaumes, ne connaissais guère par cœur que le De profundis, voilà que, chaque semaine, j’entendais les 150 défiler dans la prière commune. Et en latin par surcroît – ce qui cependant ne durerait guère plus d’un an, l’office devant passer au français peu après Vatican II. On était loin de la simplicité du Pater et du «Je vous salue, Marie» qui, même pour des étudiants du vieux cours classique, restaient les voies apprivoisées de la prière personnelle.

Au bout de deux ou trois semaines, non sans quelque impatience, je montai au bureau du Père maître et lui fis part de mon désarroi. J’avais dû, j’imagine, sélectionner quelques passages parmi les plus rébarbatifs, les plus étranges ou les moins inspirants: «Sur Édom, je jette ma sandale» (Ps 60); «contre la Philistie je crie victoire» (Ps 108); «Comment dites-vous à mon âme: ‘Fuis à ta montagne, oiseau’?» (Ps 11). Peut-être avais-je aussi parlé des «jeunes filles au milieu battant du tambourin» (Ps 68) ou encore de «nos bestiaux lourds et pesants, sans brèche ni fuite» (Ps 144)? Ou de tous ces cris de vengeance en contradiction flagrante avec l’Évangile: «Je les hais d’une haine parfaite», «Dieu des vengeances, Seigneur, Dieu des vengeances, parais» (Ps 94)? Je me souviens bien, en tout cas, du sens général de ma question: «Comme faire pour prier avec cela? Ne pourrait-on pas prendre autre chose?»

«Êtes-vous prêt à faire confiance?»

C’est surtout la réaction du Père maître qui m’est restée. Il m’écouta vider mon sac sans broncher. Quand j’eus terminé, il y a alla à son tour d’une question:

– Êtes-vous prêt à faire confiance?
– Confiance?
– Oui. Si vous savez être patient, si vous acceptez d’entrer vraiment dans la prière des psaumes, combien de temps cela prendra-t-il: deux ans? cinq ans? dix ans? Je ne sais pas. Mais un bon jour, vous verrez, ce qui vous viendra spontanément, quand vous voudrez prier, ce seront les mots des psaumes. Vous aurez l’impression que ces mots-là sont plus vrais que ceux que vous pourriez formuler par vous-même. Les psaumes seront devenus votre prière à vous.

Il avait parfaitement raison. «Dieu, toi mon Dieu, je te cherche dès l’aurore»; « Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur»; «J’ai dit au Seigneur: ‘C’est toi mon bonheur’»; «Pitié pour moi, Seigneur, en ta bonté, en ta tendresse efface mon péché»; «Je rends grâce au Seigneur de out cœur»; «L’amour du Seigneur, pour qui le craint, est de toujours à toujours»; «Sauve ton peuple, bénis ton héritage»: à partir d’un certain temps, sans même avoir à y penser, ce sont effectivement ces formules-là que, selon les circonstances, je me surpris à dire en toute vérité. Toute tissée d’emprunts à la prière des autres, comme le Magnificat de Marie, ma prière reste bien pourtant ma prière à moi.

Une lente éducation de la prière

De différentes façons, les psaumes ont éduqué ma prière.Celle-ci était presque exclusivement une prière de demande. Rien de mal à cela, puisque le Pater, la seule prière que Jésus ait enseignée aux siens, est d’un bout à l’autre une prière de demande. Et les psaumes eux-mêmes offrent toutes les nuances de la requête et de la supplication. Mais en l’ouvrant en même temps à la louange, à la bénédiction, à l’action de grâce, les psaumes élargissent l’espace de ma prière et, du même coup, favorisent l’intégration, dans la relation à Dieu, du registre de l’émerveillement, de la gratuité, de la louange désintéressée, dont témoignera aussi la prière de Jésus: «Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre…» (Mt 11,25).

Un autre apport des psaumes a consisté à élargir l’horizon de ma prière et à l’ouvrir aux autres. Déjà, le seul fait d’entrer dans la prière de cette «nuée de témoins» qui m’ont précédé dans la foi favorise le sens de la communauté et de la communion croyante. Je ne suis pas le seul à avoir «reconnu l’amour que Dieu a pour nous et à y avoir cru»: d’autres l’ont fait avant moi, d’autres le font et l’expriment en même temps que moi. Les psaumes m’intègrent dans le peuple croyant, dans la longue lignée des chercheurs de Dieu, me font communier à leurs soucis, à leurs misères, à leurs attentes et à leur espérance. En mettant sur mes lèvres les accents de la supplication à des moments où je me retrouverais plutôt dans ceux de la joie ou, à l’inverse, en me parlant de confiance, d’espoir, d’action de grâce à des moments où m’envahissent doute, épreuve ou lassitude, les psaumes me convient au dépassement, me décentrent de moi-même, me redisent que je prie en Église, que celui à qui je m’adresse n’est pas que «mon Dieu» mais «notre Dieu».

Les psaumes, enfin, me tournent vers le Dieu de la Bible et non vers quelque Dieu pourvoyeur des religions naturelles ou une simple projection de mes désirs. En priant les psaumes, je retourne à Dieu les mots que lui-même nous a donnés. Dans ces mots se reflètent diverses étapes de la révélation, qui me font entrer dans la découverte, l’attente et la maturation du peuple de la Bible. Je sais bien qu’au terme certains éléments de cette révélation, comme le visage du Dieu guerrier, la perspective particulariste ou les appels à la vengeance, sont dépassés et que ma prière ne peut les reprendre comme tels sans correctif. Et il est heureux qu’à l’Office la prière des psaumes soit suivie de cantiques du Nouveau Testament et du Pater.
Bien sûr, «les jeunes filles au milieu battant du tambourin» sont toujours là, et les sandales jetées sur Édom! Mais, ces relents d’imaginaires, de cultures et de sensibilités d’autrefois et d’ailleurs ne constituent, tout compte fait, que quelques «désavantages marginaux», en comparaison de l’immense capital d’expérience croyante et de profondeur religieuse dont les psaumes sont porteurs, alors même qu’ils n’osaient encore appeler Dieu «Père».

Le psalmiste

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