Le grain miracle
En ce jour-là, Jésus sortit de la maison et s’assit au bord de la mer. Des foules nombreuses s’assemblèrent auprès de lui, si bien qu’il monta dans une barque et s’y assit ; toute la foule se tenait sur le rivage. Et il leur parla de beaucoup de choses en paraboles. Il disait : Voici que le semeur est sorti pour semer. Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux du ciel sont venus tout manger. D’autres sont tombés en des endroits pierreux où il n’y avait pas beaucoup de terre, et aussitôt ils ont levé, parce qu’il n’y avait beaucoup pas de profondeur de terre ; mais une fois le soleil levé, ils ont été brûlés et, faute de racines, se sont desséchés. D’autres sont tombés parmi les épines, et les épines ont monté et les ont étouffés. D’autres sont tombés dans la bonne terre et ont donné du fruit, l’un cent, l’autre soixante, l’autre trente. Entende, qui a des oreilles !
Commentaire :
Nous venons de lire la parabole du semeur ; suit un commentaire qu’en donna saint Matthieu à sa communauté primitive. Cette lecture brève conduit à nous interroger sur ce que Jésus, au cours de son ministère public, a voulu faire comprendre aux premiers auditeurs de cette histoire. Vraisemblablement, la parabole et son explication font partie de la catéchèse que l’évangéliste donnait aux chrétiens de la fin du premier siècle, destinataires de son évangile. Examinons donc la parabole en elle-même et le sens qu’elle pouvait avoir dans le cadre du ministère de Jésus.
A L’ HEURE DE JÉSUS
Semeur, semence, terrains et résultats, comment lier ces données les unes aux autres ? Le semeur accomplit son travail puis disparaît aussitôt de la scène. Les semences retiennent alors l’attention. Quatre espèces de terrains reçoivent l’ensemencement. Mais cela importe peu, toute la réflexion semble concentrée sur les semences et la diversité des résultats obtenus selon le sol où elles sont tombées.
Une parabole en quatre petits morceaux : cela s’apparente quelque peu à l’apologue de Yotam et les arbres qui veulent se donner un roi. (Jg.9) Comme dans la fable, la parabole du semeur tente de mettre en valeur un contraste : trois catégories de semence sont perdues et une seule porte du fruit ; trois cas d’échec opposés au triple succès qui clôt la narration. Antithèse entre les semences non productives et celles qui portent fruit.
Le message de Jésus dans les paraboles (Mat.13) n’est pas toujours évident en raison de la confusion des circonstances dans lesquelles elles ont été prononcées. Il arrive parfois que dans certaines, la situation évoquée est inscrite dans le récit parabolique lui-même : les récriminations des ouvriers (20 : 11-12) , le mauvais serviteur (25 : 24-25) et autres font écho aux protestations de l’auditoire. D’autres exigeront une explication.
Ici, la parabole du semeur traite de semences perdues. Cette description détaillée des échecs donne à l’auditeur l’impression que tout se perd. Exceptionnellement, une semence donne d’excellents résultats. S’adressant à des gens défaitistes dont tous les espoirs s’écroulent, Jésus tente de ranimer l’espoir. Son entourage ne voyait dans le ministère du Maître qu’abandons, défections et oppositions. Jésus veut leur faire comprendre que les échecs incontestables n’empêcheront jamais le succès final et ce dernier compensera toutes les pertes. Cette parabole du semeur garde donc toute son actualité car elle devient parabole de l’espérance.
NOTRE HEURE
Mais l’espérance ne se résume pas à une quelconque attente, elle suppose des efforts. D’un bout à l’autre du récit, l’attention porte sur les différentes catégories d’auditeurs de la Parole. Les uns sont comparables à la voie publique, au sol rocailleux, à la terre couverte de ronces, et les autres à la bonne terre. La pointe de la parabole est ici placée sur la différence de terrain et non sur la semence qui tombe dans ces terrains ; non sur le fait, mais la raison des différents rendements. Le motif des échecs : intervention de Satan, présence des soucis, séduction des richesses. La préoccupation de l’évangéliste est de mettre ses auditeurs en garde contre une attention insuffisante à la parole de Dieu. Il tente de prévenir les chrétiens contre les dangers auxquels les exposent les dispositions superficielles qui empêcheraient la fécondation spirituelle.
Au verset 9e, Matthieu, pour expliquer ces échecs, diagnostique une raison plus personnelle que l’intervention du Mauvais ; l’auditeur entend la parole sans la comprendre, il ne se donne pas le temps ou ne trouve pas l’espace pour y réfléchir. Ce manque d’intelligence cause son malheur. Au verset 23e par contre, l’auditeur comprend la parole. Cette insistance sur la nécessité de réagir sur la Parole entendue laisse bien voir que comprendre n’a pas ici un sens purement passif ; Matthieu a emprunté le verbe d’un passage du prophète qui précise également le motif pour lequel Jésus parle en paraboles. Va, et dis à ce peuple : Écoutez de toutes vos oreilles sans comprendre, voyez de vos yeux sans apercevoir. Appesantis le cœur de ce peuple, rends-le dur d’oreille, bouche-lui les yeux… de peur qu’il ne se convertisse et ne soit guéri. (Is. 6 : 9-10)
La parabole du semeur a donné à l’évangéliste l’occasion de réfléchir sur la responsabilité de tout auditeur de la parole du Royaume. Le fait que certains comprennent alors que d’autres ne comprennent pas relève des dispositions intimes de chacun. On ne peut pas comprendre le message sans le vivre, et c’est en se laissant transformer par lui qu’on le comprend. La compréhension à laquelle Matthieu invite ses chrétiens n’est pas simple conformité de l’intelligence à un objet, mais conformité libre et responsable de tout l’être aux exigences d’un message de vie.
CONCLUSION
D’autres exemples suivront, paraboles susceptibles de mettre en relief la grâce inhérente à toute parole de Dieu qui comme la pluie et la neige descendent des cieux et n’y remontent pas sans avoir arrosé la terre, l’avoir fécondée et fait germer pour qu’elle donne la semence au semeur et le pain comestible ; de même la parole qui sort de ma bouche ne me revient pas sans résultat, sans avoir fait ce que je voulais et réussi sa mission. (Is. 55 : 10-11)
La graine sans apparence et défiant en quelque sorte toutes les espérances, sait produire du fruit, du cent pour un : miracle de la nature et de la grâce. Comprenne qui peut comprendre !