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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

14e Dimanche du temps ordinaire. Année C.

Imprimer Par Jacques Sylvestre, o.p.

« Allez, va ! »

Parmi ses disciples, le Seigneur en désigna encore soixante-douze autres et les envoya deux par deux devant lui dans toutes les villes et localités où lui-même devait se rendre. Il leur dit : «La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux ; priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. Allez ! Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. N’emportez pas ni argent, ni sac, ni sandales, et ne vous attardez pas en salutations sur la route. En quelque maison que vous entriez, dites d’abord : Paix à cette maison ! Et s’il s’y trouve un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle vous reviendra. Demeurez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous servira, car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Dans toute ville où vous entrerez et où l’on vous accueillera, mangez ce qui vous sera servi ; guérissez les malades et dites aux gens : le Royaume de Dieu est tout proche de vous. Mais dans toute ville où vous serez entrés et où l’on ne vous accueillera pas, sortez sur les places publiques et dites : même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous la secouons pour vous la laisser. Pourtant, sachez-le bien, le Royaume de Dieu est tout proche. Je vous le déclare : au jour du jugement, Sodome sera traitée moins sévèrement que cette ville.

Les soixante-douze revinrent tout joyeux, disant : «Seigneur, même les démons nous étaient soumis en ton Nom ! » Il leur dit : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Aussi bien vous ai-je donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents, scorpions et toute puissance de l’Ennemi, et rien ne pourra vous nuire. Cependant ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis ; réjouissez-vous de ce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux.

Commentaire :

Alors que nous vivons à une époque où tant de structures, laborieusement mises en place par l’Église, se disloquent et où le pessimisme règne en maître, cette page de Luc nous apparaît d’actualité. Depuis la Pentecôte nous vivons l’heure de la moisson ; chaque jour, quelque part, mûrit un fruit à cueillir. Pour nous tous, moissonneurs, c’est une invitation à partager les conditions de vie dans une attitude ouverte et simple : travailler à faire régner la paix et la fraternité selon Jésus.

Cet épisode est propre à saint Luc, il constitue comme un passage-clé au cour de son oeuvre. La mission des soixante-douze se situe au début de la section dite «Montée vers Jérusalem.» (9:51-19:27) À ne pas confondre avec la Mission des Douze (9:1-6) , il s’agit d’une toute nouvelle mission avec un horizon plus vaste : le monde entier. Luc en profite pour donner ici un véritable «Discours de Mission», dans lequel nous retrouvons des images usuelles telles que le feu du ciel (9:54), la moisson (10:2) le Jugement (10:12-15) et la chute de Satan (10:18). Le chiffre 72 définit le monde païen : dans la tradition juive, ce chiffre correspondait au nombre des peuples de la terre. (Ge.10; Dt.32:8-9) La comparaison «comme des agneaux au milieu des loups» évoque également ce monde païen.

La lexicographie terminée, le texte du prophète Isaïe (66:8), de la première lecture, lancera notre réflexion : «Qui a jamais entendu chose pareille ? Qui a jamais vu semblable chose ? Accouche-t-on d’un pays en un seul jour ? Enfante-t-on une nation toute à la fois, pour qu’à peine en travail, Sion ait enfanté ses enfants ?» Ce passage du prophète nous situe dans les premières décades qui ont suivi le retour du Peuple de Dieu en son pays après sa déportation d’un demi siècle (587-538). Cet afflux des exilés prend une telle importance qu’on le compare à la naissance d’un peuple. «Quand le Seigneur ramena les captifs de Sion, nous étions comme en rêve, notre bouche était pleine de rires et notre langue, de cris de joie.» (Ps.122) Et le prophète de continuer : «Car ainsi parle Yahvé, je vais faire couler la paix comme un fleuve et comme un torrent débordant, la gloire des nations» (66:12).

Ce miracle d’une certaine paix, d’un retour à l’ordre, peut s’accomplir tous les jours si les moissonneurs sont là. «La moisson est grande, disait le Seigneur, mais les ouvriers peu nombreux ; priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. Allez ! je vous envoie» d’ajouter Jésus. La mission s’adresse à tous. Il n’est plus seulement question des Douze comme en 9:1-6, mais de soixante-douze disciples. Chaque jour est temps de grâce, mais encore le moissonneur doit-il être là, porteur de paix, bâtisseur de paix. C’est là tout ce dont il doit se munir comme bagage pour ce monde nouveau.

« Pour convertir le monde, écrivait Teilhard de Chardin, le christianisme doit accepter enfin, sans réticences, les dimensions nouvelles du Monde autour de nous. Je n’ignore pas les gestes multipliés, ces derniers temps, par l’Église, pour se réconcilier avec le monde moderne. Mais la réconciliation n’est pas l’acceptation. D’une part, les incroyants du dehors, continuent à nous regarder comme non sincères, ils nous évitent parce que nous ne souffrons, ni travaillons, ni espérons avec eux. D’autre part, les fidèles du dedans, continuent à se sentir à la gêne, pris comme ils se trouvent entre leur foi et leurs aspirations naturelles. On ne convertit que ce que l’on aime : si le chrétien n’est pas en pleine sympathie avec le monde naissant, s’il ne laisse pas grandir dans son être le sens humain, jamais il ne réalisera la synthèse entre la Terre et le Ciel. S’immerger pour émerger et soulever. Participer pour sublimer, c’est la loi même de l’Incarnation. »

Ainsi pourrait-on traduire ces consignes de Jésus à ses disciples : non seulement la légèreté du moissonneur libre de tout, mais encore la liberté de ne pas perdre son temps en séjours indus et inutiles là où l’on est indisposé à faire bon accueil à la grâce de la paix. Jésus disait à la façon orientale : «Ne jetez point les perles aux pourceaux.» (Mat.7:6) Un juif, quittant un jour le souk de très mauvaise humeur par suite d’une négociation avortée, claqua ses sandales l’une contre l’autre «pour laisser là la poussière». «Sodome, ajoute Jésus, sera jugée moins sévèrement.»

Au retour de cette première mission, c’est l’euphorie, la joie des soixante-douze et la confirmation du succès par Jésus : l’ouverture sur l’avenir. Détenteurs d’une puissance plus grande que celle de Satan, les disciples ont vaincu les forces de la mort. Voilà tout ce que peut espérer l’effort missionnaire en ce monde moderne, notre propre effort comme laïcs aussi bien que religieux, si nous remplissons les conditions même établies par Jésus. À nous d’être présents à ce monde et de vivre avec ce monde en partageant ses aspirations et sa vie profonde.

« Sois sans crainte, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le Royaume. » (Lc. 12:32) Les envoyés, les moissonneurs disponibles règnent sur le monde nouveau (22:29-30), ils en ont reçu la royauté prévue originellement pour l’homme.

Allez, je vous envoie : va, je t’envoie !

Parole et vie

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