Le face à face
Jésus s’était rendu au mont des Oliviers; de bon matin, il retourna au temple de Jérusalem. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner. Les scribes et les pharisiens amènent une femme qu’on avait surprise en train de commettre l’adultère. Ils la font avancer, et disent à Jésus: «Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la loi, Moïse a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu? » Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé, et, du doigt, il traçait des traits sur le sol. Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit: «Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre.» Et il se baissa de nouveau pour tracer des traits sur le sol. Quant à eux, sur cette réponse, ils s’en allaient l’un après l’autre, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme en face de lui. Il se redressa et lui demanda: «Femme, où sont-ils donc? Alors, personne ne t’a condamnée?» Elle répondit: «Personne, Seigneur.» Et Jésus lui dit: «Moi non plus, je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus.»
Commentaire :
Face à face ! Face à la Loi, on privilégie souvent une attitude mathématique, légaliste, intransigeante. Face à l’être humain, l’attitude peut et doit être différente. Voilà la grande leçon de cette page, «La femme adultère», dont Jésus doit, au petit matin, faire le procès, sur le parvis du Temple, en descendant du mont des Oliviers, son lieu de prière.
L’épisode de «La femme adultère» (Jn 7:53-8:11) ne faisait pas partie de l’évangile primitif de Jean. Son vocabulaire et son style sont plutôt du genre des évangiles synoptiques Matthieu, Marc et Luc. L’incident provient d’une tradition dont il faut probablement attribuer la source et peut-être même la rédaction à saint Luc, tellement les tendances théologiques donnent à penser à l’ouvre de l’évangéliste. La difficulté d’insertion de l’événement dans les évangiles vient d’une part de l’extrême largesse du Seigneur face à l’adultère et d’autre part de la sévérité des églises primitives.
«Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat» avait répliqué Jésus, un jour que les Pharisiens lui faisaient remarquer que ses disciples transgressaient le jour du sabbat (Mc. 2 :23-27). Gardiens jaloux de la loi, ces mêmes pharisiens et scribes placèrent, un jour, face à Jésus, une femme prise en délit d’adultère. Il ne s’agit pas de rumeurs, mais d’un fait, sanctionné très sévèrement par la Loi: la peine de mort pour l’homme et la femme adultères (Lév.20 :10), et la lapidation des fiancés adultères (Dt.22;22-24). Comme la sévérité de la Loi contrastait avec la miséricorde prêchée par Jésus, les sentinelles de la Loi trouvaient là une occasion opportune de mettre Jésus dans l’embarras: «Et toi, qu’en dis-tu?» Si Jésus prenait parti contre la loi, on l’accuserait, et s’il allait dans le sens de la Loi, il se compromettrait. De toutes les questions pièges posées à Jésus, celle-ci était certes la plus décisive: «Ils disaient cela pour lui tendre un piège afin de pouvoir l’accuser.» (6) Ce face à face devenait pour Jésus question de vie ou de mort, on mettait en cause toute sa prédication. C’était Jésus et son Évangile ou Moïse et la Loi.
«Se baissant, Jésus se mit à écrire avec son doigt sur le sol.» Comme les sentences romaines devaient être écrites, d’aucun ont supputé que Jésus s’était plié à la coutume, rédigeant la sentence une première fois et l’absolution de la condamnée la seconde. Mais qu’importe le sens du geste posée, l’important réside davantage dans la sagesse dont Jésus fait preuve: «Que celui qui est sans péché, lui lance la première pierre.» Façon très habile de défiler la loi, sans y déroger pour autant et sans mettre en doute la licéité du jugement porté ni de l’authenticité des témoignages. L’adresse de Jésus aux conservateurs de la Loi ne peut que rejoindre notre conscience à chacun car elle résume tout l’enseignement de Jésus (Lc 6:37-42). Jésus défend la femme adultère en se basant sur la Loi qui en appelle à la responsabilité du témoin, mais Jésus ne défendra pas la Loi si juste soit-elle en condamnant l’accusée. Si l’amour du prochain n’empêche pas de voir la faute et sa gravité, il exige davantage encore davantage de le traiter avec justice, c’est à dire de mettre avant tout de l’ordre dans sa propre conscience: «Qu’as-tu à regarder la paille dans l’oil de ton frère, alors qu’une poutre est dans le tien?» (Lc 6:40) On peut comprendre sans la moindre ironie que tous se retirèrent à commencer par les plus vieux, supposons les plus sages, même si l’histoire de la chaste Suzanne nous induit à penser le contraire (Daniel 13).
L’épisode de la femme adultère comporte donc deux développements aussi importants l’un que l’autre: la sage réponse de Jésus au piège de ses adversaires (7) et le pardon à la pécheresse (11). Luc a eu le génie de transformer la question insidieuse des pharisiens en une démonstration de la pensée fondamentale et de la mission de Jésus: «Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, non pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui» (Jn. 3:16-17)
La beauté et la qualité de cette histoire la rendaient vraiment apte à prendre place dans le 4e évangile, même si l’événement témoigne avec toute la délicatesse de l’écriture de Luc de la miséricorde de Jésus. Son calme, son tact rencontrent la majesté dont est imprégné l’évangile de Jean. La pécheresse et Jésus, confrontés à la Loi, demeurent face à face: drame exceptionnel de toute beauté. «Personne ne t’a condamnée, moi non plus, je ne te condamne pas.» Faut-il croire que notre attitude de jugement ou de pardon inspire Dieu dans la réprobation ou la justification de chacun. «Personne?. Moi non plus!» Misera et misericordia (S.Augustin)
Combien d’entre nous n’espèrent-ils pas semblable attitude des frères et des sours qui les entourent! Les dernières paroles de Jésus constituent le sommet de l’histoire. L’épisode de «La femme adultère» demeure l’un des hauts lieux concernant l’amour de Jésus pour le pécheur. Une fois encore, «Le Fils de l’homme n’est pas venu condamner mais pour que le monde soit sauvé par lui» et par nous…