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Aventure spirituelle

Espaces évangéliques

Imprimer Par Daniel Cadrin, o.p.

Dans le Nouveau Testament, nous rencontrons Jésus et ses disciples sur la montagne, au désert, sur la route, dans des maisons, dans un jardin et dans des villes, au temple et au bord de la mer. Quelles sont les significations de ces espaces, hier et aujourd’hui? Ont-ils des «couleurs spirituelles» propres? Daniel CADRIN, bibliste et directeur de l’Institut de pastorale des Dominicains à Montréal, parcourt avec nous ces lieux pour nous faire découvrir leurs diverses harmoniques.

Dans les évangiles, Jésus se déplace d’un endroit à l’autre et d’une ville à l’autre: de Nazareth à Capharnaüm, de Jéricho à Jérusalem, etc. Ces lieux sont bien concrets mais, à cause de leurs caractéristiques propres et de leur enracinement dans l’Ancien Testament, ils sont chargés d’un sens plus profond. Ils deviennent des espaces symboliques, qui nous parlent de l’expérience spirituelle et de la prière. Chaque évangile a ses lieux privilégiés, même si évidemment tous ces lieux se retrouvent dans chacun.

Dans cet article, je soulignerai les caractéristiques de certains de ces lieux: la montagne, la route, la maison, le désert. chacun est spécifique, dans le visage de Dieu qu’il évoque et l’attitude spirituelle qu’il suggère. Une expression ou une attitude corporelle pourrait aider à entrer davantage dans «l’esprit» de ces lieux et favoriser la prière personnelle ou communautaire. Dans cette perspective, la présentation de chaque lieu est suivie de quelques propositions pour soutenir et stimuler la prière.

LOUER DIEU SUR LA MONTAGNE

La montagne, par sa réalité même, évoque stabilité, hauteur, mystère. Dans les traditions religieuses, elle est un lieu sacré, médiation de la descente de Dieu et de la montée humaine. Dans l’Ancien Testament, elle est le lieu privilégié du culte, du don de la Loi et de l’Alliance; la spiritualité du pèlerinage s’y rattache, car le Temple est placé sur un haut lieu. Le Dieu qui se révèle sur la montagne est puissant, mystérieux, protecteur; sa gloire et sa sainteté sont mis en évidence. Dans les évangiles, ces éléments se retrouvent et, surtout en Matthieu, les temps forts se passent en cet endroit: une des tentations, la transfiguration, l’enseignement des Béatitudes, le retrait pour la prière, le don des pains, la mort de Jésus, l’envoi en mission. Jésus s’y manifeste comme le Seigneur et le Maître qui donne la Parole.

La montagne est ainsi l’espace où écouter la parole, recevoir notre vie comme un don et rendre grâces. Elle appelle à la louange et à l’adoration. L’Église y célèbre comme peuple de Dieu universel, lumière du monde et témoin de l’absolu de Dieu. La prière y est collective ou individuelle, centrée sur la grandeur du Dieu vivant. L’expression corporelle qui exprime bien l’attitude priante de la montagne est la prosternation profonde ou la station debout, les mains élevées vers le haut.

SUIVRE JÉSUS SUR LA ROUTE

Descendre de la montagne et se retrouver sur la route, c’est entrer dans un autre univers, non seulement physique mais symbolique. La route évoque l’inconnu et l’horizon, la mobilité et le nomadisme; elle est le lieu des peurs et dangers mais aussi des découvertes et rencontres. L’Ancien Testament est riche d’expériences qui s’y rattachent: le départ d’Abraham et la promesse de Dieu; l’exode et la marche vers la Terre promise; le pèlerinage comme recherche de Dieu; la Loi elle-même comme chemin de vie. Le Dieu de la route est guide et compagnon, qui soutient et dérange, qui invite à ne pas s’installer et à repartir. Dans les évangiles, surtout en Luc et en Marc, la route est par excellence le lieu de la suite de Jésus et de la mission. Jésus y prêche, guérit, enseigne, interroge, voyageant avec des bagages légers, invitant à devenir disciples, dans le risque et la confiance. Jésus s’y manifeste comme le compagnon et le maître auquel ses disciples sont liés de façon personnelle, et aussi comme étant lui-même le chemin et la voie.

L’espace de la route est celui des cheminements et détachements, de l’itinérance et du témoignage joyeux. La route fait appel à la disponibilité et à l’espérance. L’Église célèbre sur la route comme un peuple de pèlerins en marche, une communauté de disciples attachés à Jésus et poursuivant sa mission. La prière y est celle d’une équipe qui fait pause, qui chantonne en marchant, compagnons s’entraînant et s’éclairant pour mieux tenir. Diverses positions peuvent exprimer l’expérience de la route: se tenir debout, main sur le front, regardant au loin; marcher, aller et venir; s’asseoir mais sans trop de confort, prêts à partir sur-le-champ.

FAIRE COMMUNAUTÉ DANS LA MAISON

Avec la maison, nous quittons l’incertitude de la route pour nous retrouver en un lieu d’accueil, de repas et de fête, associé à la famille et à la sécurité mais aussi aux conflits autour de la table et à propos de la place de chacun. Dans l’Ancien Testament, la maison évoque d’abord la descendance et l’hospitalité, le monde des relations et des solidarités, mais aussi les risques de l’installation et de la richesse. Elle est particulièrement associée au Temple, lieu saint de la présence de Dieu avec son peuple, espace sacré par excellence où le peuple célèbre et se constitue en communauté d’appartenance, avec les enjeux de l’exclusion et de l’universalité. Le Dieu qui se fait présent dans la maison est proche et entourant; il est celui qui demeure parmi nous, avec nous et qui reste saint. Dans les évangiles, surtout Luc et Jean, rencontres, guérisons, enseignements ont lieu dans la maison, ainsi que les repas avec les exclus, les fêtes de la Cène, et les défis du service à table. Jésus s’y montre tant le serviteur que le rassembleur, il est pain de vie offert et finalement la maison elle-même puisque son corps est le nouveau Temple.

La maison, comme lieu symbolique, est l’espace de la communion et du service. Elle invite à des attitudes d’accueil de l’autre, de partage du pain et de la parole, et de réjouissance. L’Église y est le nouveau Temple et le Corps du Christ, à recevoir et à construire pour que prenne forme une communauté fraternelle. La prière y est spontanément communautaire et festive. Diverses expressions sont possibles: s’asseoir en cercle ou autour de la table, mains jointes; se tenir debout en mouvement pour le service, mains actives.

LUTTER AU DÉSERT

Il faut savoir sortir de la chaleur de la maison pour aller au désert, lieu aride et désolé, espace d’errance et de solitude, repaire des forces hostiles mais aussi refuge et lieu des renaissances. Le désert joue un rôle central dans l’Ancien Testament: il rappelle l’exode et le passage libérateur, l’épreuve et la rébellion; c’est aussi le lieu du rendez-vous amoureux entre Dieu et son peuple. Dieu s’y révèle comme guide et protecteur miséricordieux, mais aussi comme Dieu caché et exigeant, et comme amant passionné. Dans les évangiles, surtout Marc et Jean, l’appel à la conversion y retentit; Jésus va s’y rendre pour vivre l’épreuve mais aussi pour prier. Il s’y manifeste comme un ami intime de Dieu et comme étant lui-même eau vive.

Se retirer au désert, c’est entrer dans l’espace des combats intérieurs, c’est accepter la traversée de la nuit, au plus profond de soi, c’est entendre l’appel à renaître et à faire des choix. L’Église y est peuple croyant, refusant les idoles et renouvelant son histoire d’amour avec Dieu. La prière y est plus intérieure, personnelle et silencieuse. Pour favoriser l’entrée en désert, on peut s’asseoir en position de méditation, mains ouvertes, dans l’attente; ou se tenir debout, en position de combat, le regard attentif.

D’UN ESPACE À L’AUTRE

En lisant les évangiles, nous nous promenons d’un lieu à l’autre; les tentations en Matthieu en sont un bon exemple. En chacun de ces lieux, le peuple de Dieu est constitué et l’alliance est présente, donnée sur la montagne, rompue et renouvelée au désert, célébrée dans la maison et mise en pratique sur la route. Des connivences variées existent entre les lieux: montagne et maison évoquent davantage présence et stabilité, alors que route et désert sont des espaces de mobilité et d’absence. Montagne et désert invitent au retrait contemplatif, alors que route et maison sont plus relationnels et actifs. D’autres lieux pourraient être explorés: la mer, qui a des affinités avec le désert; le jardin, qui permet de relire toute la Bible; la ville qui intègre des éléments de la maison, de la route et de la montagne.

Quand nous prions, l’attention aux lieux dans les textes bibliques et évangéliques peut nous aider à entrer davantage dans l’espace spirituel qui est le leur, pour y prier avec tout notre être et pour découvrir le lieu dans toutes ses harmoniques.

Cet article est paru dans la revue Célébrer les heures, no 22, été 1999. Dans ce numéro consacré aux espaces liturgiques, on trouvera un article d’Isabelle Renaud-Chamska, «Il faut entrer» sur la visite d’une «église imaginaire». Le frère Didier de Tamié (France) parle de l’art floral dans son article «Deux notes qui s’aiment…» Enfin, Denis Gagnon, O.P., réfléchit sur les lieux où célébrer la liturgie des Heures, «N’importe où, mais…»

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