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Responsable de la chronique : Yves Bériault, o.p.
Témoins du Christ

Père Chenu, théologien de métier

Imprimer Par Jacques Duquesne

Le Père Marie-Dominique CHENU, théologien dominicain, est né à Soisy-sur-Seine, en France, le 7 janvier 1894 et est décédé le 11 février 1990. Avec le Père Yves Congar, il fut de ces théologiens qui ont soutenu le mouvement des prêtres-ouvriers et en ont été sanctionnés par le Vatican, au milieu des années 1950. Ses livres furent ainsi condamnés. Il reconnut au début des années 1980 la théologie de la libération, et en particulier l’œuvre de Gustavo Guttiérez, comme un « exemple éminent » de la « nouvelle théologie ». Comme le Père Congar, le Concile Vatican II le reconnut comme un grand théologien.

« Comment définir votre fonction ? ». Un théologien est un professionnel, un monsieur qui a un métier. C’est un très beau mot, métier. Vous savez qu’il vient du latin « ministerium » qui signifie : fonction exercée dans une société, service rendu dans une société. Donc le théologien exerce son métier, son ministère si l’on préfère, à l’intérieur d’un groupe humain qui s’appelle la communauté des croyants.

Un biologiste, un chimiste, un psychologue, un sociologue, chacun voit le rôle qu’ils jouent. Le théologien, non. Pourtant, c’est un homme de science, de connaissance, comme ceux que je viens de citer. Mais la foi, la connaissance religieuse, sont devenues marginales, parce que la société s’est sécularisée. Jadis, le théologien était incorporé à l’Université, comme les autres experts en sciences diverses, et donc à la vie sociale. Jusqu’à la Révolution française, les facultés de théologie faisaient partie de l’Université, – cela existe encore dans certains pays, d’ailleurs. Et même, les théologiens étaient les meneurs, la conscience critique de l’ensemble universitaire. Il y avait le droit, la médecine, la faculté des arts, des lettres, des sciences ; la faculté de théologie était la régente de l’ensemble.

Avec la laïcisation de l’État et de l’enseignement, après 1870, en France, les facultés de théologie sont éliminées des cadres universitaires. Elles furent alors reconstituées grâce aux Instituts catholiques, mais dans un statut extérieur au régime universitaire, ce qui n’allait pas sans un préjudiciable isolement par rapport aux disciplines profanes, en sciences et en culture.

« Pourquoi vouloir lier la théologie aux sciences ? » C’est Abélard qui, le premier, au XIIIe siècle, a donné au mot « théologie » le sens technique d’un savoir. Jusque-là, dans le langage des Pères de l’Église, la théologie voulait dire « parole de Dieu ». Quand je crois à la parole de Dieu, je suis théologien.

« Nous sommes tous des théologiens… ? » Ce n’est pas tout à fait faux, d’ailleurs. Mais à partir du moment où la théologie devient un savoir particulier, elle se limite à quelques-uns. Alors, dans un monde où la foi devient marginale, la théologie, métier exercé par quelques-uns seulement de ceux qui ont la foi, est plus marginale encore.

Pendant longtemps, on cherchait le prêtre plus que le théologien… et cela existe encore : il demeure comme une défiance à l’égard du théologien. parce qu’il est considéré comme un « intellectuel ». Là encore, le passé explique bien des choses. Il y eut une époque où je n’osais pas me présenter comme théologien devant des groupes de prêtres – qui pourtant avaient fait appel à moi, ce dont j’étais très heureux. C’est que, dans leurs séminaires, ils avaient fait une théologie dont ils ne voulaient plus. La théologie qu’on y enseignait avant 1940 était – comment dire ? – séparée, à huis clos. Les études étaient livresques et d’un grand conservatisme intellectuel ; elles rebutaient les jeunes prêtres engagés dans les vraies batailles. Pour eux, la théologie était une discipline abstraite, aristocratique, une discipline scolaire. Bien sûr, il y avait de bons théologiens, il y en a toujours eu. Mais je vous parle de la moyenne. Ainsi se méfiait-on du théologien.

« Et l’on s’en méfie moins aujourd’hui ? ». J’assiste à un nouvel épisode de cette évolution : depuis plusieurs années, on a commencé à décléricaliser la théologie. Il n’est pas nécessaire d’être prêtre pour être théologien. Puisque l’Église a conscience d’appartenir au monde, et puisque les hommes qui vivent dans ce monde sont partie prenante de la conscience de l’Église, la théologie se sécularise, et même des femmes qui sont professeurs de théologie. De sorte que je me trouve désormais en communion de travail, de recherche, d’expérience, avec des laïcs. Et la marginalisation dont je parlais commence à se résorber.

« Le champ d’application de la théologie n’a-t-il pas évolué lui aussi ? ».
Oui, il s’est étendu dans la mesure où l’Église s’est intéressée de plus en plus aux problèmes du monde. Grâce au développement des sciences humaines, elle n’est plus enfermée dans sa tour d’ivoire ; elle est entourée de tout un appareil de sciences religieuses : la sociologie religieuse, la psychologie, l’ethnologie, etc. Je me retrouve donc, comme théologien, dans des groupes d’études de savants, qui sont parfois incroyants, mais que leurs disciplines incitent à étudier le phénomène religieux qu’ils considèrent comme important. Bien sûr, il ne faut pas annexer ces hommes-là, et ils doivent se protéger contre une mainmise inconsciente des théologiens. Mais, grâce à leurs sciences, la théologie retrouve un sol humain qu’elle avait un peu perdu. Même si ces sciences la remettent quelque peu en question.

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