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Témoins du Christ,

Responsable de la chronique :
Témoins du Christ

Vincent Shigeto Oshida

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Ce dominicain japonais est né en 1922 à Yokohama, dans une famille bouddhiste et shinto. Il a étudié la philosophie à l’université de Tokyo, puis est parti poursuivre ses études de théologie au Canada où il a rejoint l’ordre dominicain. De retour au Japon, à Takamori Soan, un village au pied du mont Fuji, il a fondé une communauté basée sur la pauvreté, la méditation zen et la vie dans la nature. Ce dialogue pionnier et interreligieux a été pleinement reconnu quand la conférence des évêques asiatiques s’est tenue dans ce lieu en 1990 où il est mort et enterré en 2003.

Comment cette communauté est-elle née ?

Toute ma vie est un processus continu de maladie. Un jour, alors que j’étais de allongé à l’hôpital, j’ai eu une intuition soudaine et importante : une vie vraiment spirituelle doit commencer dans la pauvreté absolue. J’ai décidé de vivre dans la solitude comme un ermite, et comme un chrétien, et comme un véritable Japonais. Au début, (à mon retour au Japon après mon ordination sacerdotale), je vivais seul dans un temple bouddhiste abandonné. Les dominicains du Canada ne comprenaient pas mon mode de vie, mais ils m’ont aidé à construire une cabane avec du carton et d’autres matériaux de récupération. A mon grand étonnement, de nombreuses personnes sont venues et voulaient vivre de la même manière ! Nous avons acheté un terrain à très bas prix à Takamori Soan, un village où je ressentais l’ancienne culture japonaise, et la communauté s’est développée. Le moment arrivé où nous avions tout utilisé, l’argent et les matériaux. Nous ne savions pas quoi faire. Mais le lendemain des villageois sont venus et nous ont spontanément proposé leur aide. C’est ainsi que les choses se sont toujours passées. A deux occasions seulement nous n’avons rien eu à manger et pas d’argent, nous étions tellement heureux ! Enfin, nous n’avions rien ! Mais cela n’a pas duré car le lendemain quelqu’un a posé des légumes sur la table. Qui ? Je ne sais toujours pas, mais nous avons appris quelque chose de très important : Dieu vous donne ce dont vous avez besoin, et si vous êtes pauvre vous en avez constamment conscience. Être pauvre, c’est s’en remettre entre les mains de Dieu.

La pauvreté est-elle vraiment la condition d’une vie spirituelle ?

Quelqu’un qui est riche et possède de l’argent ou de la connaissance ne sait pas comment donner de sa personne. Au fond, il faut se libérer de toutes les positions que vous occupez. De quelle autre façon pouvez-vous parler avec les êtres vivants qui vous entourent, avec les pierres, la terre, l’eau ? Quand il gèle, l’eau gèle. Quand l’atmosphère se réchauffe, la glace fond. Voilà la spiritualité, la spiritualité maternelle de la terre, mais nous n’y comprenons plus rien. L’utilisation d’engrais chimiques tue la terre et la qualité de notre riz diminue. Nous appelons cela la civilisation, et nous pensons comprendre comment les choses fonctionnent, mais ce n’est pas quelque chose que l’on comprend par l’intellect. Il faut bien plutôt se rendre compte que blesser un seul être vivant blesse aussi d’autres êtres vivants ! En réalité, çà n’a rien à voir avec l’esprit. Je repense souvent à la plus belle époque de ma vie, juste après la guerre. Tout le monde avait faim, mais tout le monde était si gentil avec autrui. Votre cœur doit être tendre pour être capable de ressentir la souffrance d’un autre. Si vous en êtes capable, vous êtes vraiment humain. Vous n’apprenez pas la sensibilité à l’universalité, vous ne pouvez l’apprendre qu’auprès d’autres personnes expérimentées.

Quelles règles les visiteurs doivent-ils respecter ?

Nous n’avons qu’une seule règle : porter la croix d’autrui comme si c’était la nôtre. Nous vivons en solidarité avec le Christ et les uns et les autres. Au moment de la récolte, nous allons dans les rizières avec les villageois. Le travail n’est pas seulement un moyen de gagner sa vie, c’est aussi une pratique spirituelle. Tous ceux qui viennent ici sont les bienvenus car ils sont envoyés par Dieu. Nous prions, travaillons et mangeons ensemble. Les cabanes sont séparées mais nous n’avons aucune possession personnelle. Quand je suis venu vivre ici, mon frère voulait me donner de l’argent mais j’ai refusé car l’argent n’est pas mon but.

Mais pourquoi les gens viennent-ils ici ?

Dieu, la providence, la vie contemplative, le zen, dhyâna. Quand j’emploie le mot « zen », je ne parle pas seulement de la méditation bouddhiste zen. J’emploie le mot dans son sens original : dhyâna, le terme sanscrit pour le zen. En Chine, on le traduit ch’an, et au Japon zen, il signifie la méditation. Je l’utilise en un sens particulier, le zen est la voie de la Réalité, c’est faire l’expérience de la Réalité et non pas en discuter ! Selon moi, cette réalité est inséparable de la Révélation de Jésus Christ, et je l’explore à travers le zen.

Tous les matins à cinq heures, nous pratiquons le zazen dans notre petite chapelle qui est bâtie comme une simple maison de campagne japonaise. Les rituels zen sont accomplis dans le zendo, pas dans la chapelle. Nous prenons notre temps pour la liturgie du matin et nous lisons les Écritures très lentement. Les psaumes ne sont pas chantés mais murmurés. Après l’heure du déjeuner, nous travaillons en silence jusqu’à l’heure du déjeuner. L’après-midi nous nous reposons un peu, puis nous poursuivons notre travail jusqu’à cinq heures. La messe est célébrée de cette même manière lente et contemplative. Autrefois il y avait un autel dans la chapelle, mais après mon voyage en Inde je l’ai remplacé par un petit bloc en bois. Je voulais être plus proche de la terre et j’ai décidé de m’asseoir sur le sol pour célébrer la messe. Nous avons remplacé la boîte de collecte par un pot en fer où nous faisons brûler des brindilles comme symbole de l’offrande. Après le dîner, nous lisons parfois la Bible de manière contemplative. La journée s’achève avec les prières su soir à huit heures et demie.

Pourquoi la conférence des évêques asiatiques s’est-elle tenue ici ?

En 1990, dix évêques asiatiques ont passé huit jours ici. La rencontre a posé des problèmes à cause des conditions de pauvreté de notre communauté, puis les évêques ont été impressionnés par la simplicité et la contemplation. Par exemple, quand un évêque thaï est rentré dans son diocèse, il a fait changer les choses. Il a réuni les prêtres et d’autres personnes et a expliqué que selon l’exemple de notre communauté la messe devait être célébrée en contact avec la terre. Il ne s’agit pas d’intellect mais d’expérience ! Les évêques ont jeûné pendant trois jours ici et cela aussi a posé des problèmes parce que l’Église a perdu l’habitude de jeûner. La pauvreté aussi a disparu. De nos jours, chaque monastère a ce dont il a besoin, nous ne connaissons plus la joie de la pauvreté.

N’idéalisez-vous pas la pauvreté ? Non, car nous sommes heureux ! Notre relation aux choses est très simple, mystérieuse et riche aussi. La pauvreté est nécessaire car quand le corps est gâté, que nous sommes prisonniers de notre intellect ou de notre ego, nous ne pouvons pas mener une vie spirituelle. Au nom de la paix sur terre, certains pays doivent être libérés de l’arrogance de leur ego. L’économie a besoin de spiritualité ou bien tout s’écroulera.

Pourquoi avez-vous transformé les bois autour de Takamori Soan en bois de souvenir ?

Nous avons érigé une croix pour les victimes dont on ne se souvient nulle part ailleurs. Il y a aussi une fontaine abreuvée par trois sources où je baptise ceux qui le souhaitent. La fontaine représente l’eau qui a coulé du flanc de Jésus sur la Croix – même la nature représente ce mystère ! Une femme philippine pleine d’amertume dont la famille avait été assassinée par l’armée japonaise est venue ici. Elle était troublée car malgré ses convictions catholiques, elle ne parvenait pas à pardonner. Quand j’ai marché avec elle dans le bois, elle s’est mise à pleurer et ne s’arrêtait plus. « A présent, je peux enfin pardonner », a-t-elle dit. Son amertume s’est transformée en libération. Eh bien, c’est la raison d’être de l’Église.

Quels problèmes vous semblent les plus importants ?

Cinq pays riches – les États-Unis, la Russie, la France, l’Angleterre et la Chine – possèdent déjà des armes nucléaires. L’Inde et le Pakistan sont en train d’en construire. Les dirigeants de ces pays affirment qu’ils sont contre l’emploi de ces armes mais, dans ce cas, pourquoi n’arrêtent-ils pas d’en produire ? Ce qui s’est passé à Hiroshima et à Nagasaki, et ce qui se passe encore est une tragédie ! (…) Le processus ne s’arrête pas ! Si la guerre nucléaire éclate, l’humanité sombrera dans des ténèbres terribles. L’Église a du travail : il faut intervenir et arrêter la production d’armes nucléaires. Tant que nous ne devenons pas humbles et simples – car c’est en cela que consiste la vie spirituelle – il n’y a pas d’espoir. C’est pour cette raison que les personnes spirituelles font peur : non pas parce qu’elles sont pauvres, mais parce qu’elles voient très nettement ce que les autres, ceux qui ont le pouvoir, font. Tant que l’Église est riche, elle ne peut pas guider les gens dans une autre direction, ce qui est son travail. Nous devons servir autrui et non le dominer.

Selon vous, quel rôle doivent jouer l’Église et la religion au XXIe siècle ?

La loi et les enseignements de l’Église ne peuvent pas remplacer une véritable vie spirituelle. Aujourd’hui même la méditation au Japon est devenue trop institutionnalisée. Nous devons faire un retour vers la vraie spiritualité, la simplicité du contact avec Dieu dans notre néant. Les vœux (religieux) expriment cela. Nous devons être prêts à mourir de faim dans la rue car nous ne faisons que suivre la main de Jésus. A ce moment-là, nous comprendrons que Dieu offre une aide réelle, matérielle. Je parle d’expérience. A Tkamori Soan, bien que nous soyons pauvres, nous n’avons jamais eu à nous débrouiller. Au cours de ma vie, j’ai senti que la main de Dieu était posée sur nous. L’Église doit donc retourner en Galilée. Le Christ ressuscité a dit : « Je vous verrai en Galilée ».

4 thoughts on “Vincent Shigeto Oshida

  1. el-hedri marie-claude

    élevée dans le christianisme, j’ai rencontré à 58 ans apres une vie riche en évènements fondateurs pour ma vie intérieure, la méditation dans le mouvement du soto zen initié par maitre Deshimaru. J’ ai fait ma première ordination
    et je retire énormément de cette expèrience mais moi pour qui le Christ avait représenté ce “silence foufroyant”, cette porte ouverte vers l’absolu, si cette pratique magnifique que j’ai le bonheur et l’honneur de connaitre et de faire m’en rapproche-chose que je ne trouvais pas dans l’église- me manque la dimension de l’innocence, du coeur sincère et vunérable sans laquelle tout n’est que lettre morte.la vie de Vincent Shigeto Oshida
    est rafraichissante comme devait l’etre de son temps celle de Saint François. Je suis tres interressée pour connaitre ces communautés cela me permettrait de refaire le lien avec l’essence meme de la tradition et par la meme d’une de ses voies: le Christianisme restée si proche de mon coeur.

  2. Rémy Gouyette

    Catholique,je médite quotidiennement et pratique le karaté Wado ryu. J’espère un rapprochement des cultures occidentales et orientales qui peut s’avérer très constructif.

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