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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

20e Dimanche du temps ordinaire. Année A.

Imprimer Par François-Dominique Charles

Jésus et la Cananéenne

Jésus s’était retiré vers la région de Tyr et de Sidon.
Voici qu’une Cananéenne, venue de ces territoires, criait : « Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma fille est tourmentée par un démon. »
Mais il ne lui répondit rien. Les disciples s’approchèrent pour lui demander : « Donne-lui satisfaction, car elle nous poursuit de ses cris ! »
Jésus répondit : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël. »
Mais elle vint se prosterner devant lui : « Seigneur, viens à mon secours ! »
Il répondit : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens. –
C’est vrai, Seigneur, reprit-elle ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. »
Jésus répondit : « Femme, ta foi est grande, que tout se fasse pour toi comme tu le veux ! » Et, à l’heure même, sa fille fut guérie.

COMMENTAIRE

La parole de Jésus envers cette femme libanaise est très difficile à entendre ! Jésus lui fait remarquer qu’elle n’est pas juive ! Elle fait partie des « petits chiens » ! Or les chrétiens sont presque tous d’origine païenne : la plupart des disciples de Jésus sont aujourd’hui des « petits chiens » puisqu’ils ne sont pas du peuple juif auquel appartenait Jésus. Voilà probablement pourquoi cette femme a une telle place dans l’évangile de Matthieu : elle s’introduit dans la sphère juive de Jésus pour demander avec insistance que sa mission s’entrouvre aux païens. Dès les débuts du christianisme, la question de l’accueil des païens s’est posé dans l’Église comme on le voit dans les Actes des Apôtres et les lettres de Paul. Il n’est pas étonnant qu’elle soit aussi présente dans les évangiles.

Cette femme païenne franchit la frontière pour venir rencontrer Jésus, le Messie juif. Elle fait un déplacement important : elle quitte son pays, l’actuel Sud Liban, et elle vient en Galilée. C’était probablement plus facile à cette époque où les frontières étaient perméables qu’aujourd’hui où cette frontière est devenue infranchissable tellement elle est surveillée et longée de barbelés. Cette femme représente tous les païens qui viennent vers Jésus implorer une part de salut, comme la Samaritaine au puits de Jacob représente tout le peuple samaritain (Jn 4). La question de l’accueil des non-Juifs dans l’Église est d’autant plus importante que la plupart du peuple juif ne recevra pas Jésus. Comme dit saint Jean dans son évangile, « les siens ne l’ont pas accueilli » (Jn 1,11). Ceci sera pour Paul un grand mystère sur lequel il a longuement médité dans l’épître aux Romains (Rm 9-11 ; cf. la deuxième lecture).

Mais revenons à l’extraordinaire modèle de foi que Jésus admire chez cette femme cananéenne. Dans l’évangile de saint Matthieu, Jésus ne sort pas du territoire juif d’Israël : sa mission est de rassembler « les brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt 15,24). Il ne fait que s’approcher de la frontière et la femme sort du territoire de Tyr et de Sidon pour venir à sa rencontre. La femme païenne vient vers le Messie juif. C’est ce double déplacement qui permet la rencontre : la femme vient de son pays et Jésus s’est déplacé vers la frontière nord… Notre vie de foi est marquée par ce double déplacement. Nous cherchons Dieu et Dieu s’approche de nous. La foi s’origine dans cette rencontre.

La femme païenne sait qu’elle n’est pas juive. Elle n’a donc pas droit, comme païenne, au salut juif. Ceci est à comprendre dans la perspective de la communauté chrétienne de saint Matthieu qui était constituée principalement de chrétiens d’origine juive, c’est-à-dire de juifs qui avaient reconnu en Jésus le Messie d’Israël. La femme ne s’arrête pas à ce grand obstacle. Elle va persister dans son attente et sa demande. Elle est persévérante ! Elle insiste… mais elle accepte aussi le fait qu’elle est païenne. Elle implore de Jésus le même salut pour les païens qu’elle représente. Cette femme nous représente auprès de Jésus. Avec elle, c’est chacun de nous qui se prosterne devant Jésus : « Seigneur, viens à mon secours ! »

Elle semble dire : « Oui, Seigneur, tu es le Messie d’Israël ! Tu as été envoyé aux brebis perdues d’Israël ! Mais en dehors d’Israël, il y a tant de gens perdus qui t’attendent ! Tant de gens tourmentés par des démons ! Tu ne peux pas nous laisser ! Viens aussi chez nous ! » Cette femme ressemble à la Mère de Jésus lorsque, à Cana, elle obtient de Jésus, par son insistance, qu’il change l’eau en vin ! Ici, par sa foi en Jésus, la Cananéenne obtient l’ouverture du salut aux païens.

Ce qui est au centre de l’échange entre Jésus et la femme de Tyr et Sidon, c’est le droit de pouvoir manger le pain de la table de Jésus. Il s’agit bien sûr d’une allusion au pain eucharistique ! Cela d’autant plus que ce passage est situé entre deux récits de multiplication des pains. Ce que demande la femme païenne, c’est de pouvoir accéder au « repas du Seigneur » ! Elle s’approche du Sauveur (Jésus signifie « Dieu sauve ») et lui demande le salut : « Aie pitié de moi, viens à mon secours ! » Elle demande les restes, les miettes. Or les récits de multiplication des pains nous disent que l’on a ramassé beaucoup de corbeilles pleines de restes ! A chaque fois que la Cananéenne s’adresse à Jésus, elle l’appelle du titre de « Seigneur » : « Seigneur, Fils de David » ; « Seigneur, viens à mon secours » ; « C’est vrai, Seigneur. » C’est à Jésus « Seigneur » qu’elle s’adresse et c’est au repas du « Seigneur » qu’elle demande d’être accueillie. Comme il est intéressant de nous rappeler qu’avant de communier nous disons la prière d’un autre païen : « Seigneur, je ne suis pas digne… » (Mt 8,8). Or Jésus a admiré chez ce centurion païen la foi qu’il n’avait trouvée chez personne en Israël (Mt 8,10).

La Cananéenne ne demande que des miettes ! Comme pour le pain eucharistique, les miettes d’hostie sont aussi précieuses que les hosties entières. Dans les miettes, le salut de Jésus est totalement présent. En demandant de pouvoir manger les miettes, elle demande de communier au Seigneur vivant. D’ailleurs, Saint Matthieu précise que le premier geste de la femme consiste à se prosterner devant Jésus. La foi de la femme est grande, car elle demande au Seigneur d’ouvrir son salut à tous les hommes, sans faire de différence de nationalité ou de religion ! Jésus, devant cette démarche de foi, est comme obligé d’accéder à sa demande, avant l’heure… un peu comme à Cana.

La question de l’ouverture de l’eucharistie à tous est au centre de l’évangile de la Cananéenne. Ne conviendrait-il pas de nous interroger ? Quand nous nous rassemblons pour la messe, nous accueillons-nous les uns les autres comme des frères et sœurs que la foi dans le Seigneur rassemble ? Ou nos différences de nationalités et d’appartenances sociales demeurent-elles des frontières qui nous divisent ?

Frère François-Dominique CHARLES, o.p.

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